Sur la route de Compostelle - Camino Primitivo (2024) - 10ème étape : O Cádavo Baleira - Vilar de Cas (14 km)
Nous sommes le matin du mardi 8 octobre à l’auberge Porta Santa de O Cádavo. Nous sommes précisément dans la « pensión », puisque les pèlerins logeant en chambre privée sont séparés de quelques dizaines de mètres de ceux qui dorment en couchettes, en dortoir, dans un autre bâtiment de la même auberge. Il n’y a pas foule ce matin, et il fait encore nuit lorsque nous approchons les 8 heures. Un homme demande à rentrer dans l’établissement. Je lui ouvre la porte et je comprends immédiatement qu’il s’agit d’un employé d’une société de transport de bagages, venu récupérer les sacs déposés devant l’entrée. Le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle draine tout un ensemble de professions associées, et ce commerce millénaire, qui contribue à maintenir une vie tout au long des différentes voies, n’est pas près de s’interrompre.
Après nous être séparés de Susana, qui a poursuivi la veille vers Castroverde, c’est au tour de Claudia de nous quitter. Plus exactement, Claudia va poursuivre sa route plus tard vers Lugo, et nous allons donc partir avant pour une étape enfin courte, en direction de Vilar de Cas, à peu près à mi-chemin. Celle-ci va succéder à une autre étape courte, mais par la force des choses, et depuis la France et le Mexique, nous avions prévu de couper le rythme à cet endroit, avant de terminer le Primitivo par quatre étapes plus longues depuis Lugo. Le passé nous avait servi de leçon, avec nos ampoules, nos passages répétés à la pharmacie, et nos nécessités antérieures de revoir notre chemin. La sagesse avait prévalu dès notre préparation et la suite nous confirmera que nous avons eu le nez creux.
Partie de campagne
En guise de petit-déjeuner, je m’adapte au régime d’Adriana, soit un yaourt tout de même saveur galette (!), parfois accompagné d’un thé et finalement, l’absence de mon pain chéri ou de tout aliment sucré ou fariné à la couleur brun / marron ne me manque pas tant que ça de si bonne heure. Enfin, tout est relatif, puisqu’à cette période de l’année, le soleil se lève tardivement. J’ai des fourmis dans les jambes et, comme souvent le matin, hâte d’enfiler mes chaussures de randonnée, mon sac à dos et mes bâtons de marche pour aller découvrir ce que le Camino me réserve. Je profite que nous ayons vraiment le temps (la météo est annoncée favorable au moins pour toute la matinée, voire une bonne partie de l’après-midi) pour tester la température extérieure, savoir s’il pleut ou non à l’aube, découvrir le début du chemin et repérer, sur une bonne centaine de mètres, les deux premières flèches. Puis, nous nous élançons pour une première descente, le temps de sortir du village, avant de faire face à l’une des dernières ascensions significatives de notre route.
Sur environ deux kilomètres, le chemin grimpe en pente régulière, traversant Pradeda, pour arriver jusqu’à l’Alto de Baqueriza. Le dénivelé est de 120 mètres, soit un peu plus de 5 %, ne rendant pas cette montée difficile, réalisée dans la prairie (d’où le nom). En réalité, il s’agit d’un raccourci pour rejoindre la route de A Fonsagrada à Lugo, que nous avions quittée dès le départ. Sur le reste de la journée, soit douze kilomètres, nous ne grimperons que 90 mètres, et descendrons globalement en pente continue. En réalité, nous ne sentirons pas le relief nous nos pieds, contrairement à toutes les étapes que nous avions vécues jusque-là.
Peu après, le Camino nous propose un choix entre le chemin principal, de 4,5 kilomètres, passant par Vilalle et le chemin complémentaire, de 5,2 kilomètres, passant par Vilabade. Ce sont deux possibilités, qui ne diffèrent principalement que par le nombre de mètres parcourus, et nous optons donc logiquement pour le plus court. Nous pouvons rentrer dans cette étape, et, pour l’une des premières fois depuis Salas, nous pouvons réellement marcher tous les deux de front, sans pèlerin autour. Nous sommes partis un peu plus tard et il est fort probable que la majorité des pèlerins, en cette fin de saison et sur ce Primitivo qui n’est pas le plus couru, soit partie plus tôt pour rejoindre Lugo directement. Sur ce parcours, paisible, champêtre et bucolique, nous prenons notre temps, en profitons pour ressentir l’âme des lieux, observons notre paysage tout proche, et faisons un premier bilan de ce que nous avons vécu, tout en nous projetant sur l’avenir. Nous ressentons tous les deux que nous approchons du terme et que l’essentiel du chemin, surtout le Primitivo proprement dit, est derrière nous. Les pèlerins que nous avons connus jusque-là nous quittent, et à six journées du terme, il apparaît peu probable de vivre de nouvelles rencontres et de les suivre dans la durée.
En réalité, il s’agit d’une étape rêvée pour nous à ce moment-là, et, jusqu’au bout de la soirée, elle va nous proposer ce dont nous avions tant besoin jusque-là : profiter du chemin dans sa simplicité et dans la douceur des lieux, tout en conservant la joie et la chaleur des rencontres. Je retrouvais un peu l’ambiance que j’avais connue en avril, et surtout je retrouvais la Galice telle que je l’avais connue, et en charmante compagnie. Jusque-là, nous nous étions appuyés l’un sur l’autre pour faire face aux défis divers de ce chemin ; alors il était temps de vivre, au moins pour une étape, le bonheur d’être là et de dérouler cette journée en laissant nos esprits parler sans préoccupations.
Halloween approche
Près de Souto de Torres - 8 octobre 2024 (Photo d'Adriana)
A la grandeur des montagnes asturiennes s’offre maintenant la découverte des hameaux galiciens. Aux vues lointaines sur l’horizon découpé répond la quiétude des collines de proximité. Notre monde est devenu beaucoup plus micro, centré sur un voisinage mouvant composé de bois, de haies et de champs. Ici, un lapin se cache et là, un chat traverse la route pour se cacher dans la propriété voisine. Nous atteignons Villale puis Tarrio et Castroverde après huit kilomètres. Castroverde est une commune de 2 500 habitants, de loin la plus peuplée de l’étape, mais ceux-ci sont disséminés en de multiples hameaux, même s’il y a là tout de même un centre-bourg qui s’annonce presque un kilomètre avant d’y arriver. Nous cherchons le café le plus adapté pour nous arrêter et prendre notre vrai petit-déjeuner, tout en sachant qu’il ne nous reste plus que six kilomètres, sans relief, à parcourir ensuite.
Là, à la cafetería A Lenda, nous profitons d’un café au lait, et alors que nous sommes entre dix et onze heures, d’un demi-bocadillo avec une tranche de lomo (filet de porc espagnol). C’est plus une sorte de brunch, et le temps est plutôt frais et variable, tellement galicien, semblant toujours hésiter entre un côté et l’autre. La pause fait du bien, d’autant que pour une fois, nous n’arrivons pas trempés. Nous avons une pensée pour Susana, qui s’est arrêtée là la veille avant de poursuivre son chemin vers Lugo. Nous reprenons ensuite notre chemin, toujours sur un rythme paisible. Sur ce terrain quasiment plat, nous longeons la petite rivière Chamoso, affluent du Miño, et comme le thème dominant de ce Primitivo est l’eau, un torrent vient presque se confondre avec le chemin sur une portion singulière. Nous suivons notre Camino légèrement en hauteur, sur une partie presque pavée, pour admirer cette œuvre conjuguée mais simple de l’homme et de la nature.
Toujours au fil de l’eau
Après onze kilomètres, nous parvenons à Souto de Torres, un petit hameau galicien d’une trentaine d’habitants mais nous ne nous y arrêtons pas. Nous nous demandons si nous pourrions vivre là, dans ce havre de paix que nous ressentons, mais qui manque tout de même d’un petit plus. Une auberge ici, pourquoi pas ? L’idée a tout juste le temps de traverser notre esprit que nous en ressortons déjà.
Nous poursuivons notre chemin dans la forêt pendant un kilomètre, toujours guidés par les nombreuses bornes galiciennes identiques (mozón) faites d’un bloc en forme de trapèze, plus épais à la base, gris comme le temps et avec quatre informations dont trois immuables : la coquille Saint-Jacques jaune et bleue, la flèche jaune sur fond bleu, le nom « Galicia » et, ce qui varie heureusement, le kilométrage restant avec une précision métrique supposée. A A Agriña, la piste se transforme en bitume et il ne nous reste plus qu’à la suivre pour arriver à Vilar de Cas, hameau qui n’est pas plus grand que Souto de Torres, et rejoindre l’auberge A Pociña de Muñiz, qui va s’offrir en face de nous. Mais après cette étape où la météo nous aura offert enfin un peu de répit, il était écrit qu’elle allait revenir à la normale locale. « Chassez le naturel, il revient au galop ! ». Dans ce décor qui pourrait être propice aux chevaux, la pluie vient perturber nos tous derniers hectomètres, pas suffisamment pour nous saper le moral, mais assez pour que nous réfléchissions de nouveau, en tout cas à comment rentrer dans l’auberge.
L'entrée de A Pociña de Muñiz à Vilar de Cas
8 octobre 2024 (Photo d'Adriana)
La vie à l’auberge : L’entrée s’effectue en deux temps. Nous arrivons face à un portail, et après que nos hôtes nous accueillent (José alias « Pepe » pour le moment), nous devons franchir quelques mètres sous une pluie désormais battante pour rentrer dans la partie « hébergement », car l’établissement est particulier : la cuisine, et la « salle à manger », semi-ouverte sur l’extérieur, est coupée du reste de l’auberge. J’adhère tout de suite à l’endroit, où trois maîtres-mots sautent immédiatement aux yeux : confort, espace et originalité. Il s’agit certes, de peu, de la nuit la plus onéreuse de tout le Primitivo, mais avec ses 60 euros, la nuit tout confort surpasse toutes les autres, avec l’appartement pratique et spacieux d’A Fonsagrada. La chambre est vaste, douillette, bien équipée, avec une vue sur la campagne environnante, un peu gâchée cette après-midi-là par la pluie qui va nous interdire toute découverte du joli jardin.
C’est le cadre que nous payons et, avec une grande cuisine, un espace ouvert sur le salon (et sur un dortoir attenant !), une salle de détente, et un vaste bloc sanitaire, nous en avons pour notre argent. Vraiment, nous ne regrettons pas d’avoir coupé cette étape de Lugo en deux parties et la suite, le lendemain, nous le confirmera. Nous profitons du moment pour procéder à nos tâches habituelles liées à l’hygiène, pour manger la deuxième partie de notre bocadillo (nous ne sommes qu’à la moitié de l’après-midi) et pour nous replonger en enfance en disputant une partie du juego de la oca (le jeu de l’oie) et tentant de nous rappeler des règles. Car il y a bien là quelques distractions paisibles et après tout, coupé du monde depuis Tineo, je veux bien profiter des équipements locaux.
Vient alors l’heure d’un des moments les plus exquis de mes 1 217 kilomètres, tous épisodes confondus. La nuit est tombée et la pluie continue à en faire de même, mais, alors que nous avons bien sûr réservé le dîner à l’auberge dans cet endroit où il n’y a pas d’autres services, le poêle alimenté toute la soirée va nous réchauffer. Mariano, qui nous avait présenté l’étape inter-communautés à Grandas de Salime, séjourne aussi dans la même auberge et répète le Primitivo. Il connaît bien Pepe et sa femme Fina, et va agrémenter la soirée de chansons espagnoles et tubes internationaux à la guitare. Il y a là une carte du monde, où chaque pèlerin est invité à poser une aiguille sur son lieu d’origine, et, même si certains endroits de la planète sont encore visibles car peu d’aiguilles y ont été plantés (Afrique notamment), Adriana et moi peinons à trouver place au centre de la France et au cœur du Mexique. Elle y parvient finalement, aidée peut-être par la taille du pays.
Le décor est assuré, et, sachant que la météo du lendemain s’annonce horrible (une tempête est annoncée, avec une pluie abondante, et des vents dépassant les 100 km / h), nous profitons d’autant plus du moment. Tout dans cette soirée est délicieux et même la présence à table d’un autre pèlerin, qui a emporté avec lui des casseroles de sa vie qui sautent aux yeux, ne vient pas ternir le moment. Nous dégustons en apéritif une empanada gallega au thon, qui a un furieux goût de reviens-y. Une soupe de potiron onctueuse nous réchauffe. Une tortilla succulente, que Pepe avait préparée « au cas-où », ne résiste pas à l’appétit des pèlerins. Le plat de résistance, des frites maison avec des paupiettes de veau, est des plus savoureux. Même le dessert, une tranche de fromage avec un peu de confiture combinée, termine très agréablement le repas.
La viande a d’autant plus de goût que Fina, éleveuse, détaille pendant plusieurs minutes comment le bétail est élevé et comment la viande est ensuite préparée. Je savais que tout un art, tout un métier se cachait derrière cette profession mais je ne le mesurais pas. Les mots de Fina m’en donnaient la démonstration et avec Adriana, nous sommes tous les deux impressionnés. Mariano, peut-être inspiré par la présence d’un pèlerin irlandais à table, termine sa prestation par une reprise de One, de U2. Nous sommes bercés par le moment et prêts à rejoindre notre chambre, en espérant que les dieux du ciel ne soient pas trop sévères pendant la nuit…
De O Cádavo Baleira à Vilar de Cas (Google Earth)
Profil de l'étape : La descente se poursuit vers Lugo, terme de l'étape classique depuis O Cádavo (hameau de la commune de Baleira). Cette étape courte de 14 km ne présente pas de difficultés techniques, avec une montée progressive vers Castroverde en début d'étape et une fin de parcours dans le bocage galicien. C'est la première étape où le Camino Primitivo peut laisser le pèlerin cheminer sans trop se soucier de la difficulté du parcours.


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