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Sur la route de Compostelle - Camino Primitivo (2024) - 9ème étape : A Fonsagrada - Paradavella (12 km)

Nous sommes le lundi 7 octobre et nous entamons à A Fonsagrada, en Galice, notre dernière semaine sur le Camino Primitivo. Il s’agit de la première étape entièrement dans la communauté autonome la plus au nord-ouest de la péninsule ibérique, et la dernière étape qui doit présenter, par son relief et sa succession de dénivelés, des difficultés relativement importantes. A partir de là, nous débutons notre descente globale vers Lugo, et plus généralement vers Saint-Jacques-de-Compostelle.

Nous avons bien récupéré dans l’appartement douillet et moderne de l’auberge, et, prêt relativement rapidement, j’en profite pour descendre le sac de transport d’Adriana à la réception, comme toujours avant 8 heures. Cet horaire pourrait représenter une contrainte, mais, désormais bien rompus au rythme des étapes et des pèlerins, nous sommes toujours réveillés avant. Dans le hall d’accueil, j’aperçois une rangée d’autres sacs, assez imposante, dans la pièce où les lave-linge et sèche-linge sont assemblés façon Lego. A première vue, ces sacs sont une bonne vingtaine et d’un coup, je repense à la rumeur de Claudia : les Andalous sont bien là. Lorsque nous quittons l’auberge, quelques minutes plus tard, le nombre de sacs a encore augmenté. Nous serons un peu plus nombreux sur le chemin, peut-être dans les auberges, mais nous n’avons pas de visu sur ce groupe pour savoir où il se rend, et surtout où il s’arrête, car, à des vitesses forcément différentes, nous risquons de le retrouver à certains endroits, comme à un café ou à une auberge.

Un dernier moment sur les hauteurs

Nous partons en petit groupe et quittons A Fonsagrada par la descente, et très vite nous ne sommes plus que trois : Claudia est partie à l’avant, Susana s’est jointe à nous, et va nous accompagner jusqu’au bout de cette étape qui restera particulière. Nous jouons encore au chat et à la souris avec la route codifiée LU-530, en réalité la route qui relie Grandas de Salime à A Fonsagrada. Le ciel est couvert et frais au départ, et pour le moment, il n’y a pas de pluie, en tout cas jusqu’à O Padrón, le premier hameau que l’on croise, sur la droite, après le départ et à peu près un kilomètre. Cette appellation n’a rien à voir avec les fameux piments de Padrón, mais le nom me rappelle une autre localité galicienne, au sud de Saint-Jacques-de-Compostelle, dont j’avais apprécié la visite, à plusieurs reprises, au cours de mon volontariat.


Panorama plein sud dans la montée vers Montouto
7 octobre 2024 (Photo d'Adriana)

Le ciel se gâte, comme annoncé, et la pluie fait son apparition par la suite, peut-être un kilomètre plus loin, lorsque nous longeons de nouveau la route. Nous devons laisser de côté un espace prévu pour le pique-nique avec des bancs et des tables en pierre sur notre gauche. De toute manière, il est trop tôt pour nous arrêter et le temps ne nous invite pas à la halte à ce moment-là. Nous alternons les montées et les descentes, jamais vraiment prononcées, comme nous alternons aussi les passages près de la route, dans les prés ou dans le bois. Notre altitude oscille entre 900 et 1 000 mètres et, comme la veille à partir du Puerto de Acebo et de l’entrée en Galice, nous poursuivons notre périple sur la ligne de crête. Le chemin n’est pas inoubliable, et avec la météo qui ne nous est pas favorable, nous avançons avec un champ de vision plutôt réduit. Seuls les bruits des pas et des bâtons se fait entendre.

A hauteur de Pedrafitelas, mais en surplomb du lieu-dit, le chemin change un peu de configuration. Nous poursuivons maintenant le chemin sur une piste mi-herbeuse mi-terreuse assez serrée, entre les haies de barbelés, et nous grimpons faiblement mais régulièrement pendant près de trois kilomètres pour atteindre une altitude de 1 020 mètres. Le temps change aussi, le vent – frais – se renforce, ce qui casse la pluie qui tombait régulièrement depuis plusieurs kilomètres. Sur les derniers hectomètres, deux jolis chiens nous dépassent, visiblement heureux d’être lâchés là dans les éléments, et leur maître suit derrière. Nous les recroisons à leur retour, près du sommet, et nous arrivons alors au Real Hospital Santiago de Montouto, dont… il n’y a aucune trace. A vrai dire, c’est en relisant la carte que je prends conscience de cette information.

Nous ne le savons pas encore, mais il ne nous reste plus qu’un tronçon à effectuer sur cette étape. Dans la préparation, nous avions repéré une longue descente qui allait nous mener à mi-chemin, pas aussi longue certes que celle nous conduisant au barrage de Salime, mais assez significative pour que nous l’ayons relevée. Nous descendons de 350 mètres en un peu plus de 3 500 mètres, soit un pourcentage de 10 %. Nous devons donc être prudents en théorie pour l’affronter. En réalité, cette piste forestière est large et n’a rien de techniquement difficile. Mais, comme sur l’étape de Salas à Tineo, la pluie, certes un peu moins soutenue, va décider de notre sort.


Des éoliennes sous la pluie
Entre Montouto et Paradavella - 7 octobre 2024 (Photo d'Adriana)

Une météo rédhibitoire dans la descente

Un jeune pèlerin, allemand si mes souvenirs sont bons, est revenu sur nous depuis l’arrière et nous dépasse, alors que Susana est toujours là, à quelques dizaines de mètres de distance. Il prend ses distances à l’avant et, comme souvent en descente, je passe devant Adriana. Notre configuration ne va pas évoluer jusqu’au bout, la Casa Mesón. Je recherche désespérément quelques passages pour m’abriter, et ainsi indiquer la voie par ricochet à Adriana, qui de fait pourrait en faire de même pour Susana. Mais la pluie est trop intense, la forêt trop peu couvrante, et surtout, la piste bien trop large pour trouver un quelconque abri continu. A ce moment-là, le chemin n’a rien d’agréable et, plus inquiétant même, alors que je marche plus lentement que je ne le ferais seul, Adriana ne revient pas sur moi à l’arrière, et Susana, toujours prudente, semble la reprendre.

Une pensée me vient alors. En avril, le jour où nous nous étions rencontrés, Adriana m’avait rattrapé dans la descente de l’Alto del Perdón, certes plus technique, et avec d’autres conditions météorologiques. Il y a sans doute un problème et à cet endroit, où nous subissons notre environnement de manière implacable, nous ne sommes pas encore à mi-chemin. Il nous reste la difficile montée du Crapaud à effectuer, et la fin d’étape ne promet pas de répit avec ses nombreux dénivelés. La brume environnante, qui ne nous laisse entrevoir que la vallée, n’augure pas de changement à venir.

Cette descente marque un seul replat lors d’un croisement, et le jeune pèlerin qui nous avait dépassé s’arrête à son tour, trempé, pour consulter son téléphone. Le vent forcit à ce moment-là, mais contrairement à ce qui s’était passé trois kilomètres plus en amont, la pluie ne cesse pas et continue de nous assommer. Nous sommes maintenant trois. Je suis en bonne forme mais, à la vue de la Casa Mesón (indiquée là « La Taberna »), je m’arrête car je sais que ma partenaire mexicaine voudra en faire de même. Pressée de satisfaire un besoin naturel, Adriana me commande un café au lait, alors je rentre dans l’établissement (qui est bien une taverne), et va pour m’adresser au comptoir. Mais, très rapidement, à l’intérieur, je ressens une énergie négative, bien différente de la veille lorsque nous sommes entrés en Galice.

Tout d’abord, j’ai une sensation étrange d’oppressement. Les pèlerins sont nombreux, j’ai l’impression que le plafond est bas et que le lieu est bruyant. Je me concentre sur le comptoir, tout petit par rapport à celui de la veille, et clairement seulement deux personnes peuvent y travailler. Elles enchaînent les commandes, que ce soit de la bière ou des boissons chaudes, et je comprends en regardant plus en détail ce qu’il se passe que les pèlerins ne les laissent pas respirer. Ils ne respectent pas la file, parlent fort, veulent tout et tout de suite et Adriana me dira plus tard que ce mauvais esprit se manifeste aussi dans les toilettes. J’attends patiemment mon tour, remet le café demandé à ma petite mexicaine et ressort de l’endroit, parce que je ne peux pas lutter. Mon corps et mon esprit sont en conflit : le premier veut poursuivre le chemin, le second lui dit d’attendre.

Ne sachant pas où je me trouve, Adriana sort et me demande ce qu’il se passe. Je lui réponds que je n’aime pas l’endroit (je lui expliquerai ce que j’ai ressenti par la suite à l’auberge) et elle me réplique que, trempée et en souffrance physique, elle n’ira pas plus loin. J’avais pensé à cette éventualité, épisodiquement, avant de débuter le Primitivo. Alors que la taverne commence à se vider, je rentre une deuxième fois et je découvre qu’elle avait sorti une part de bocadillo pour nous. L’étape entamée trois ans plus tôt à Saint-Seurin-de-Cursac me revient alors en mémoire, et, alors que les démarches sont entamées pour faire venir un taxi depuis O Cádavo, la raison s’impose à moi : je fais le chemin avec quelqu’un qui a fait plusieurs sacrifices pour le partager avec moi depuis si loin, et je n’ai pas de téléphone opérationnel en cas de pépin sur les douze kilomètres restants. Nous voyageons ensemble, quelque chose nous a uni depuis six mois, alors nous resterons ensemble jusqu’au bout. Susana est attablée avec nous également, et, après un temps d’hésitation, se joindra aussi à notre taxi. Pendant douze kilomètres, nous serons donc des taxigrinos mais sur les trois cent huit autres, nous avons bien été et serons bien des peregrinos jusqu’au kilomètre zéro.

L’établissement s’est bien vidé lorsque le taxi arrive et à vrai dire, je ne ressens pas de frustration particulière. Si j’avais vécu la situation inverse, j’aurais bien été heureux qu’Adriana m’accompagne ainsi jusqu’à l’auberge, et après tout cela ne signifiait en rien la fin de notre Camino. Notre chauffeur de taxi retrouve la route très vite à Paradavella, et va la suivre bien sûr jusqu’à l’arrivée. Comme cela m’était arrivé en France, je suis surpris de voir à quel point les distances semblent minuscules en véhicule motorisé, alors que cela fait maintenant plus d’une semaine que nous nous déplaçons au rythme de nos pas, entre 2 et 4,5 kilomètres par heure. Nous cherchons cette fameuse montée du Crapaud, que la route court-circuite, et au hasard d’un virage, nous reconnaissons la petite foulée et l’allure cambrée de Claudia, qui nous dira par la suite combien cette étape était difficile, notamment dans sa deuxième partie.

La vie à l’auberge : Partis dans des temps habituels et avec seulement douze kilomètres au compteur, il n’est pas encore 13 heures lorsque nous arrivons devant l’auberge Porta Santa de O Cádavo, lieu-dit principal de la municipalité de Baleira, qui compte un peu plus de 1 000 habitants. C’est donc un petit village, que nous pourrions comparer à Grandas de Salime. Une personne ouvre la porte de l’auberge, j’en profite pour rentrer et faire rentrer mes deux compagnons de taxi. Nous nous séchons, buvons un thé pour nous réchauffer, et nous nous séparons de Susana avec émotion. La pèlerine catalane a choisi de poursuivre son chemin jusqu’à Castroverde, pour s’avancer sur la grande étape qui mène à Lugo. C’est notre première séparation importante et pour nous, cela commence à signifier que nous nous approchons, doucement mais sûrement, de la nôtre.

Notre hôte arrive ensuite. Dès les premiers échanges, nous nous sentons très bien accueillis par Mery. Elle s’occupe de tout, jusqu’à la corbeille à linge, et se montre extrêmement disponible pour nous renseigner. Ce sera un de nos meilleurs accueils sur le Primitivo, et avec elle nous en oublions presque la pluie. Parfois le dessert, s’il est réussi, donne une touche finale au repas qui nous fait oublier la qualité moyenne du plat principal. Mery nous donne toutes les indications pour nous débrouiller et nous allons tout combiner : une bonne douche dans une bonne chambre, un passage au supermarché Claudio où nous allons flirter avec l’heure de fermeture pour acheter du chocolat, des chips, des pommes et du riz (pour tenter de retirer l’humidité du téléphone et le faire fonctionner de nouveau), et un bon menu au restaurant du coin.

Cette organisation un peu particulière devait nous permettre de ne pas ressortir au frais le soir, alors que la météo est encore incertaine, bien que des éclaircies fugaces apparaissent maintenant. Adriana a découvert que l’ampoule qui s’était formée sur son pied et déplacée sur le dessus avait disparu naturellement et sans douleur. Nous sommes rassurés, et de retour à l’auberge, nous allons pouvoir nous reposer et nous préparer à vivre le dernier tiers du Primitivo.

Je n’ai curieusement pas le souvenir du nom du restaurant où nous nous sommes arrêtés, ni de ce qui nous a été proposé, mais de la réception ! Nous y entrons, demandons si la cuisine est encore opérationnelle pendant cette après-midi, et j’ouvre alors la porte, pensant que l’entrée dans la salle à manger était libre. Mais je reçois un « Attendez » assez ferme depuis le comptoir, signe que le client n’est pas tout à fait roi dans l’établissement.

Entre temps, j’ai pu apercevoir l’intérieur, et j’ai la sensation qu’il y a beaucoup de monde dans cette pièce assez vaste. Mais lorsque le gérant (?) nous ouvre la porte, cette fois dans le bon ordre, toute la partie gauche est vide. Nous nous y installons, et, un temps plus tard, Claudia se joint à nous pour ce qui sera notre dernier repas en commun, annonçant ainsi une deuxième séparation. Le serveur en tout cas est bien plus aimable que son collègue et, toujours courtois, nous explique le contenu des plats si nécessaire. Il y avait probablement une assiette avec une escalope avec des frites, mais, avec cette succession de menus façon menu peregrino, je ne m’en souviens plus, ce qui me laisse à penser que la cuisine n’était ni médiocre ni particulièrement savoureuse. Nous rentrons ensuite à l’auberge et de mon côté, je pense aux six dernières étapes qui restent avec une certaine émotion…


De A Fonsagrada à O Cádavo Baleira (Google Earth)

Profil de l'étape : Avec ses 947 mètres de dénivelé positif cumulé, sur 25 kilomètres, la première étape intégralement en Galice fait figure de dernière étape difficile sur le Primitivo, du fait du relief. Une vraie étape casse-pattes, où il est nécessaire de conserver de l'énergie jusqu'à mi-étape et Paradavella, après une longue descente en forêt, avant d'aborder la deuxième partie faite de montées et de descentes, en particulier la montée dite "du Crapaud". A l'arrivée, le relief s'adoucit quelque peu mais la deuxième partie d'étape semble tout de même davantage technique.




Par ici la suite ! 10ème étape : O Cádavo Baleira - Vilar de Cas (14 km)


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