Sur la route de Compostelle - Camino Primitivo (2024) - 8ème étape : Grandas de Salime - A Fonsagrada (26 km)
Cette huitième étape arrive à l’équateur de notre Camino Primitivo. Nous sommes le petit matin du dimanche 6 octobre, après une nuit réparatrice, soit une semaine après notre départ d’Oviedo et une semaine avant notre arrivée à Saint-Jacques-de-Compostelle. C’est une étape longue, avec ses 26 kilomètres, annoncée éprouvante, avec son dénivelé positif de 890 mètres, et elle marque le passage des Asturies à la Galice, un moment que j’attends depuis plus de treize ans.
Nous nous préparons pour le départ et j’aide Adriana à descendre son bagage de transport jusqu’à la réception. Je suis prêt en avance et, au vu du profil de l’étape, j’en profite pour effectuer quelques étirements. Claudia et Susana sont là et elles se préparent aussi. Nous partons à quatre pour cette étape à la météo incertaine, où la pluie est annoncée, comme toujours depuis Salas, mais où les conditions peuvent rapidement évoluer, automne oblige et approche aussi de l’océan Atlantique, jour après jour.
Jusqu’au bout, les Asturies m’auront imposé une lutte avec moi-même, le Camino et les éléments
Nous n’avons pas effectué cinq cents mètres que nous nous trouvons face à un carrefour sans flèche jaune. Chacune de mes trois compagnons de l’instant recherche la marche à suivre sur son téléphone et, de mon côté, je me fie au terrain mais ne trouve pas la solution. Je consulte Adriana, puis Susana, et j’en arrive à la conclusion que tous les chemins indiqués sur le téléphone mènent à Saint-Jacques-de-Compostelle. Nous sommes indécis, et une pèlerine que nous avions déjà rencontrée auparavant sort du bar (ou de son auberge ?) et tranche dans le vif. Nous avions peut-être besoin d’une décision à ce moment-là et finalement nous suivons la montée la plus raide, sans que celle-ci n’atteigne des pourcentages insurmontables. Le départ ressemble à celui de la veille à Berducedo, à la différence près que Claudia dispose bien de ses bâtons, que le vent se fait moins présent après le premier virage, et que rapidement, nous nous retrouvons tous les deux devant avec Adriana, puisque Susana monte à son rythme, accompagnée par Claudia. Elle nous dira par la suite que nos deux couches de protection de nos sacs à dos jaune fluo lui ont servi de point de repère dans le mauvais temps, ou pour se caler sur un rythme qui lui convenait.
Le Camino avait coupé jusque-là dans les prés, mais invariablement, il finit par retrouver la route reliant le barrage de Salime au Puerto de Acebo. Elle se poursuit ensuite vers A Fonsagrada, changeant de nom mais nous la suivrons, plus ou moins en parallèle, tout au long de cette belle étape, à coup sûr un des plus beaux passages du Primitivo, lorsque la pluie ne se mêlera pas de la partie. Jusqu’à Penafonte, en passant par le petit village de Castro (qui dispose d’une auberge), la longue montée vers le col délimitant aussi les deux communautés autonomes s’effectue entre nous dans un silence quasiment complet. Cette fois, contrairement à l’étape de la veille, et surtout à celle de Los Hospitales, le profil ne m’avantage pas. L’ascension n’a rien de difficile ni de particulièrement pentue (5 % de moyenne sur 13 kilomètres, soit la moitié de l’étape), mais elle est extrêmement régulière et je peine à trouver mes nécessaires changements de rythme, qui dictent aussi mon moral et mon humeur. Le temps est très variable, nécessitant parfois que nous nous mettions rapidement à l’abri comme dans les tous premiers kilomètres, où nous échangeons vite sur ce que nous ressentons du temps à venir dans les prochaines minutes. Je ressens qu’Adriana s’ouvre à moi, compte sur mon expérience de la randonnée, tout comme je suis à l’écoute de ses difficultés. Nous sommes toujours aussi là l’un pour l’autre pour nous orienter, et nous nous fions aussi à certaines flèches en pierre assemblées au sol, là où la flèche jaune fait parfois défaut. Le bois, ou tout du moins une rangée d’arbres en bordure du chemin, nous permet aussi de nous abriter par moments des averses.
Dernier regard sur les Asturies
Puerto del Acebo - 6 octobre 2024 (Photo d'Adriana)
Je réfléchis et je me dis alors que, puisque le terrain ne me permet pas de trouver mon rythme, je vais l’imposer alors à la route : je choisis, par moment, de ralentir plus nettement ou au contraire d’accélérer lorsque je sens que ma petite mexicaine devant commence à me décrocher. Finalement, tout un petit groupe se retrouve près d’une chapelle en mauvais état à Penafonte, où nous partageons une madeleine (nous n’avons plus beaucoup de réserves à ce moment-là, mis à part mes fruits secs !) et à partir de là, une deuxième partie d’étape va pouvoir commencer. Nous passons tout d’abord à droite de la route, puis arrivons sur un premier petit col, à près de 1 000 mètres d’altitude. Nous comprenons alors que nous sommes près du sommet, mais nous ne le visualisons pas encore. Plus loin, un petit groupe de quatre pèlerins poursuit son chemin par la route… et Adriana m’informe qu’une pèlerine s’est blessée sérieusement au genou. Le groupe l’accompagne-t-elle prudemment par la route jusqu’à A Fonsagrada plutôt que de passer par le Camino ? Vont-ils à la recherche d’un taxi ou est-ce une démarche délibérée d’éviter de passer par les hauteurs ? Nous ne le savons pas.
Nous sommes bien sur le Camino et le petit groupe, comme nous l’avions d’ailleurs fait la veille avant d’arriver à Grandas de Salime, poursuit par la route. Je pars en tête de notre binôme sur la gauche, marche désormais sur une voie carrossable, mais j’entends derrière moi d’autres pas. Ce sont ceux d’un homme qui a tout en plus par rapport à nous : une plus grande taille, de plus grandes cuisses, de plus grands pas, un plus grand sac… sauf des bâtons de marche. A ce moment-là de l’étape, j’ai besoin de me tester physiquement. Nous franchissons un nouveau passage pour troupeaux à droite et rentrons dans une partie plus pentue et plus technique aussi. J’entreprends de le suivre, mais rapidement, après une vingtaine de mètres, je me rends compte que cet homme va trop vite pour moi, pour nous, et qu’il faut que je revienne à la raison. Si mes jambes pouvaient être capables d’emprunter le même pas, mon souffle ne suit pas et je ne suis pas là pour courir derrière un objectif qui n’est pas le mien. Non, le mien est de partager encore 170 kilomètres avec celle qui est venue me rejoindre depuis l’autre côté de l’océan, et dont je réalise au quotidien que le temps passé ensemble est si précieux, parce qu’il s’échappe inexorablement.
La Galice, comme un havre de paix attendu depuis longtemps
Après une partie raide en forêt, et environ 110 mètres de dénivelé positif, nous atteignons finalement le col, qui à cet endroit n’en est pas un. Il n’y a qu’un seul bruit : celui des éoliennes qui couvre une dernière fois la montagne, cette fois-ci las Pedras Apañadas (1 202 mètres d’altitude). De notre côté, nous sommes à 1 110 mètres d’altitude et nous entamons désormais notre descente. Après quelques minutes, à un virage à droite, nous comprenons où nous sommes. C’est la première borne en Galice, et il nous reste (précisément ?) 166,098 km à parcourir. C’est une borne symbolique, et nous immortalisons tous les deux ce moment. Comme le dit Adriana, « je voulais ma photo », et je ne me fais pas prier pour prendre la pose. Peu après, toujours dans la descente, nous retrouvons la route principale, qui dessert cette fois le hameau de O Acebo. Une pancarte nous invite à nous arrêter, et, alors que notre estomac n’a pas vu passer grand-chose depuis le réveil, nous n’hésitons pas pour y marquer une halte.
Adriana aux côtés de la première borne galicienne
6 octobre 2024
Nous sommes à la Casa do Acebo. C’est un bar, et il est correctement rempli lorsque nous y entrons. Nous délaissons nos sacs et nos bâtons, et nous nous dirigeons vers le comptoir. Les Asturies sont derrière nous, et elles m’auront laissé un souvenir particulier. J’y ai connu bien des difficultés, beaucoup plus que lors de ma seule visite d’un week-end à Gijón et à Oviedo, mais je suis reconnaissant de les avoir franchies et de l’avoir fait à deux, avec l’appui sans faille d’Adriana, sur qui je peux compter en toutes circonstances. Pas de doute, avec la musique de Luar na Lubre, avec la bière Estrella Galicia, me voilà replongé, dans une joie et une émotion entremêlées, dans une de mes plus belles années de ma vie, si douce et si paisible. Je me sens en paix, juste heureux d’être là, de retour. Mais je n’oublie pas la commande, et un bon bocadillo fera l’affaire, même si, visiblement, le prix est assez élevé et le pain est-il du jour ?
Je comprends que le serveur a déjà visité le Mexique mais je décroche probablement de la conversation lorsque celui-ci propose des piments et le sert en sauce sur la table. Pensant qu’il s’agit d’une sauce tomate ou de ketchup, je vais pour goûter la mixture mais Adriana me sauve la mise à temps. Le palais français n’est pas compétitif face au palais mexicain en matière de piment, d’autant qu’il s’agit du pays où le taux « de piquant » est le plus élevé sur la planète. Je comprends alors vite qu’il vaut mieux que je reste au régime nature et semble-t-il, le taux « de piquant » est aussi élevé pour le palais mexicain qui se trouve en face de moi. Je n’ai pas de regrets.
Claudia et Susana nous avaient rejoint et nous repartons une nouvelle fois à quatre dans le frais et l’humidité, alors que l’endroit nous a bien réchauffées. Il nous faut grimper à la sortie du bar, pas très longtemps et nous retrouvons une nouvelle fois la route, cette fois nommée LU-701 (pour province de Lugo), avec qui nous continuons de jouer au chat et à la souris. Claudia passe ensuite devant, laissant Susana à l’arrière, et nous poursuivons alors notre chemin pendant environ deux heures sur la ligne de crête, toujours entre forêt de feuillus et prés. A Fonfría (« la source froide »), nous délaissons un lavoir et nous nous consultons sur le chemin à prendre, car il y a visiblement deux voies. Le paysage s’ouvre sur A Fonsagrada, en tout cas une ville située au loin à peut-être dix kilomètres, qui s’étend dans toute sa longueur, avec un grand château d’eau. La veille au soir, en rentrant du restaurant, nous avions croisé Mariano, un autre pèlerin espagnol qui avait déjà le Primitivo à son actif. Il nous avait conté l’étape du jour et nous avait dit que, passé le col, A Fonsagrada allait apparaître comme un mirage à l’horizon, avec l’impression que nous pouvions toucher la ville mais qu’elle nous échappait toujours.
C’est bien A Fonsagrada, une petite ville d’un peu plus de 3 000 habitants, que nous apercevons au loin. Toujours sans carte, et toujours avec Claudia en point de mire, je rentre avec Adriana à Silvela et je me prépare à ce que je crois être la montée finale. La ville s’étend après une courbe à gauche, et je pense alors que les quelques pourcentages forts qui se présentent à moi au bout de la ligne droite en constituent le point de départ. Non, mon jugement est erroné, et après avoir gravi rapidement cette pente, nous redescendons cette fois vers Paradanova. Nous avons tous les deux compris. Nous devons descendre, atteindre le fond du vallon, et au vu de l’imposant château d’eau qui nous fait face désormais légèrement sur notre droite, nous imaginons cette montée finale dans peu de temps.
A ce moment-là, je me rappelle la montée de Rochetaillée, dans la vallée du Furan, à Saint-Etienne. Elle s’étend aussi sur huit cents mètres, et s’élève assez brusquement après les premiers hectomètres. Alors, pour aborder cette ascension finale avec le plus de fraîcheur possible, je ralentis, laisse partir Adriana plus en avant, resserre la poignée de mes bâtons, et, alors que les pèlerins défilent avec un seul objectif, je recherche celui que je vais pouvoir suivre, un peu comme sur la dernière partie du Puerto del Acebo. De descente il n’y a plus, nous délaissons un faux-plat pour une première pente assez légère. Lorsqu’un homme plus grand arrive par l’arrière, vêtu de bleu, j’ai compris que je tiens alors mon poisson-pilote. Je prends son sillage et me colle à son pas, que je sais un peu plus rapide que le mien en temps normal. Mais, sur une distance aussi courte, je trouve mon rythme, adapte ma respiration et monte sans me poser d’autres questions que celle de ne pas m’arrêter.
Après peut-être deux cents mètres, il s’arrête, se retourne et cherche du regard son épouse. Je vois la scène et poursuis sur ma lancée sans me poser de question. Le chemin est un mur, et j’y jette mes dernières forces. Je remonte les pèlerins un à un, arrive vers Adriana qui en une fraction de seconde me fait signe de ne pas m’arrêter, et reviens sur Claudia dans les derniers instants. Grande amatrice de cyclisme sur route en Colombie, nous avions eu une discussion sur les courses cyclistes au cours d’un précédent repas, et, amusée, elle me dit que je suis bien parti pour aller décrocher le maillot à pois de meilleur grimpeur au sommet.
J’y parviens et je reprends mon souffle immédiatement. Je ressens une fatigue instantanée, doublée du poids du sac qui a pesé sur cette pente raide, à 12 % de moyenne, mais qui doit avoisiner plutôt les 15 à 20 % dans les six cents derniers mètres. Adriana arrive par la suite, puis Susana.
La vie à l’auberge : Nous approchons des 16 heures et, alors que nous venons de dialoguer sur ce passage qui restera dans nos mémoires, nous devons nous décider pour la fin de la journée. J’insiste un peu sur l’heure qui défile et sur le fait que, dimanche n’aidant pas, nous n’allons peut-être pas trouver notre bonheur si nous n’allons pas à la Pulpería Calderia, si fameuse sur place, assez rapidement. Nous nous y rendons. Bien que nous ayons tous faim à ce moment-là, nous privilégions rentrer tous dans nos auberges respectives pour prendre une bonne douche, mettre le linge à laver et à sécher et ensuite nous y retrouver.
Notre auberge s’appelle le Cantábrico. Située un peu plus dans le centre-ville, dans les petites ruelles de cette ville grise typique des façades galiciennes (grises et aux baies vitrées imposantes), l’auberge s’étend sur plusieurs étages et dispose d’une laverie au rez-de-chaussée, où la dizaine de machines est empilée façon Lego. Après les formalités d’entrée, je grimpe avec le sac de transport d’Adriana, ouvre la porte de la chambre et découvre en fait… un appartement. Je suis surpris par l’ampleur de l’espace lorsque je jette un œil à droite. Au tarif de 55 €, pour deux, il s’agit de la meilleure affaire à ce tarif. Car non seulement l’endroit est assez vaste pour accueillir jusqu’à quatre personnes sans se marcher dessus, mais l’équipement est moderne, fonctionnel et il y a même une terrasse. Pour nous, c’est du luxe alors bien sûr, à tous ceux qui recherchent une auberge (à partager) à A Fonsagrada, je recommande vivement cet hébergement.
Nous devons attendre notre tour pour laver et sécher le linge et finalement, nous rejoignons Claudia et Susana à la Pulpería vers 18 heures. Nous y passons encore une belle soirée ensemble, et pour 14 €, nous profitons d’un menu complet : caldo gallego aux piments de Padrón – comme il se doit – sauf pour moi qui reste sur un plat de spaghetti bolognaise assez classique mais plutôt copieux, et ensuite un plat combiné avec salade, tomates, pommes de terre (les premières d’une longue liste) et une escalope, avant une crème dessert. Claudia est affolée car la rumeur court que cinquante cyclistes andalous vont aussi suivre la flèche jaune à partir du lendemain. Le repas est de qualité, l’endroit est chaleureux, les pèlerins sont repus et pour nous, il est temps de rejoindre notre palace. Nous pouvons une nouvelle fois profiter d’une nouvelle nuit récupératrice, avant d’aborder la dernière étape réellement difficile du Camino Primitivo, d’autant plus que la pluie n’a pas dit son dernier mot…
De Grandas de Salime à l'Alto do Acebo (Google Earth)
De l'Alto do Acebo à A Fonsagrada (Google Earth)
Profil de l'étape : Le parcours peut être divisé en deux parties, avec l'ascension de l'Alto do Acebo depuis Grandas de Salime (en réalité depuis la veille et le passage sur le barrage de Salime) et la partie en ligne de crête jusqu'à A Fonsagrada ensuite. La fin de l'ascension du Puerto do Acebo (l'Alto est le sommet) est assez technique. La longueur de l'étape, l'ascension du col et le dénivelé assez important sont à considérer au moment d'aborder la montée finale, très raide, délicate en cas de fortes pluies.
Par ici la suite ! 9ème étape : A Fonsagrada - Paradavella (12 km)


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