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Sur la route de Compostelle - Camino Primitivo (2024) - 3ème étape : Grado - Salas (23 km)

Nous sommes le mardi 1er octobre. Pour moi, malgré une chaleur relative en début de soirée, la nuit a été meilleure que la précédente. Je me suis encore réveillé une fois, en sueur, mais j’ai pu me rendormir cette fois et j’ai bien récupéré de l’étape précédente. C’est une bonne nouvelle, car j’aurai besoin de toutes mes énergies pour aborder cette troisième étape de Grado à Salas, la première où le Camino Primitivo va montrer ses muscles après deux mises en bouche non négligeables. Le parcours de vingt-trois kilomètres comprend en effet de nombreux dénivelés et promet d’être casse-pattes.

Cette fois, pour le prix raisonnable de 4 €, nous prenons notre petit-déjeuner à l’auberge, à la cafétéria où nous avions simplement pris une petite collation la veille au soir. Le soir, l’ambiance était à la détente entre pèlerins, ou plutôt à la récupération dans le calme ; ce matin, l’ambiance est à la préparation. Le petit-déjeuner est industriel, trop sucré au goût d’Adriana, trop tôt aussi. Je suis plus habitué à ce type de rupture de jeûne, mais je suis tout de même entre deux eaux : je sais que je vais avoir besoin d’énergie rapidement, mais sur une telle distance, et compte tenu de ce que nous propose l’étape, il m’apparaît aussi déconseillé de charger l’estomac plus que de raison.

Une première montée significative pour la première étape nous mettant au défi physique et mental

Après nous être préparés et après avoir laissé notre chambre derrière nous (et le sac de transport à la réception), nous partons sans plus attendre sur le Camino. Il est 8 h 56, mais, au vu de la luminosité qui règne sur cette partie de l’Espagne, nous ne pouvons guère nous élancer plus tôt (et bien sûr, l’aube reculera au fur et à mesure de notre voyage). Au bout de la ligne droite, très vite, nous empruntons donc la Carretera de Acevedo qui, au bout de la zone urbanisée, offre ses premiers pourcentages. Sur le bitume presque jusqu’à La Pelona, nous jetons un premier coup d’œil en arrière sur Grado, encore perdue dans la brume, et qui nous apparaît plus sympathique vue d’en haut (légèrement) qu’à l’intérieur de ses murs. Adriana, plus légère, part devant et me laisse trouver mon rythme à l’arrière, comme souvent lorsque les pourcentages s’élèvent. Il s’agit là de la première difficulté de notre voie de Compostelle, du moins de la vraie première ascension et elle agit en forme de test. Tout l’enjeu pour nous est de ne pas gaspiller notre énergie, car au bout de cette ascension irrégulière de cinq kilomètres et de trois cents mètres de dénivelé positif, il nous restera encore dix-huit kilomètres à parcourir.


La petite ville de Grado depuis la montée vers Acebéu
1er octobre 2024

Cette montée nous permet de rentrer dans l’effort jusqu’à Acebéu, où nous ne sommes pas mécontents de rencontrer un replat. Tout d’abord asphaltée et avoisinant les 7 %, elle se radoucit avant de retrouver son pourcentage initial avant d’arriver à El Freisnu, à près de 370 mètres d’altitude. Lorsque nous arrivons à ce lieu-dit, nous savons que nous venons de franchir une étape importante et le monastère mériterait bien une visite, d’autant que d’autres personnes semblent en revenir. Mais nous savons aussi que la météo annoncée ne nous est pas favorable, et qu’il ne faut pas musarder en route. Après nous être désaltérés, nous entamons la longue descente (sept kilomètres) en direction de Cornellana.

Dans les premiers hectomètres, nous croisons un homme d’un certain âge qui nous adresse la parole. Il se veut rassurant : « il vous reste un kilomètre de descente, et ensuite, tout le reste de l’étape sera plat. » Nous le remercions poliment, davantage pour sa courtoisie que pour son expertise du terrain, car l’avenir dira qu’avec les régionaux de l’étape, il faut davantage se fier aux dictons météorologiques qu’à la connaissance des distances et du relief. Si la montée a permis de tester notre forme physique, la descente nous met davantage à l’épreuve. Pour Adriana et moi, c’est le cas presque depuis notre rencontre. Nous ne les apprécions guère, pour des raisons différentes : ma petite mexicaine lutte notamment avec une tendinite qui dort et menace de se réveiller, et de mon côté, je me bats avec une cheville gauche à laquelle il manque un cartilage depuis une double fracture tibia-péroné il y a vingt ans (une des raisons majeures de ma présence sur Compostelle) et un équilibre par moments précaire.

Le décor n’est pas en reste. Cette descente difficile, qui avec son pourcentage moyen aussi important que la montée a tendance à nous emporter vers le bas, joue au chat et à la souris avec l’acrobatique autoroute A 63, qui nous accompagne quasiment jusqu’à Cornellana, et auquel le Primitivo se soumet par des ponts et des tunnels. La vue est assez spectaculaire, bien que nous nous trouvions toujours à une altitude modeste, et je suis assez songeur de constater que nous traversons des lieux-dits peuplés de maisons soit bien soignées, soit carrément abandonnées. Mais comme pour les deux premières étapes, je ne suis pas plus saisi que ça par le décor, qui ne remplit pas ici mon rêve d’Espagne.

Signe d'eau

Avant d’arriver à Cornellana, nous traversons la rivière Narcea, et empruntons maintenant la vallée de la rivière Nonaya, qui sera pour nous synonyme d’eau. Après le pont sur la Narcea, j’observe au pied d’une maison l’inscription suivante : « La Corogne 287 km », ce qui m’émeut quelque peu. Je n’avais pas vu de panneau ou d’inscription, aussi modeste soit-elle, depuis tant d’années vers mon ancienne vie. Il est presque 12 h 30 lorsque nous nous arrêtons dans le village, au Café Mesón, pour nous reposer pendant trois bons quarts d’heure et nous alimenter avec un bocadillo et un café au lait. Pendant qu’Adriana est à l’intérieur, et que je l’attends en terrasse (ou plutôt à l’abri sur le trottoir), le changement de temps est perceptible. Le vent se manifeste et fait tomber les panneaux du café.


La rivière Narcea, avant d'arriver à Cornellana
1er octobre 2024

La deuxième partie de l’étape qui s’ouvre devant nous est bien différente. La première avait consisté en une montée / descente, à moitié sur bitume, ce qui avait usé quelque peu nos pieds. La seconde ne nous laisse pas de répit, elle enchaîne sans pause les montées et les descentes, sur tous types de terrain, mais majoritairement terreux et caillouteux. Nous n’avons pas eu l’occasion jusque là de beaucoup converser sur le chemin, et cette étape ne nous laissera pas beaucoup d’opportunités supplémentaires. Nous délaissons l’église de San Salvador pour grimper et traverser le village de Sobrerriba, avant de rentrer dans la forêt. Nous traversons ensuite La Calzada, Llamas et Quintana, avant un nouveau tronçon couvert. A cinq kilomètres de l’arrivée, la pluie se fait de plus en plus menaçante et, alors que nous rencontrons un petit groupe d’Israéliens, en poncho et claquettes, les premières gouttes tombent et, à partir de là, vont totalement impacter notre parcours jusqu’à notre retour en France et au Mexique. A ce moment-là, je n’en sais encore rien. Nous avons fait notre possible, sans nous mettre dans le rouge, pour avancer sur cette étape mais, près du but, nous savons que nous devons nous équiper maintenant de nos imperméables, et protéger nos sacs respectifs. Adriana en a aussi profité pour protéger quelques limaces et escargots d’un potentiel destin funeste avec le passage d’engins motorisés. A chacun son Compostelle même si, vue de tout en bas, les coquilles Saint-Jacques à l’envers peuvent paraître plus visibles que les flèches jaunes.

La forêt, qui aura par la suite un rôle relativement protecteur sur certains tronçons d’étapes, ne nous couvre plus. Nous traversons Cazasorrina, la petite rivière Nonaya et La Debesa, et, alors que la pluie s’abat maintenant sur la vallée, nous nous arrêtons un temps à 1 500 mètres de l’arrivée avec Salas en vue. Nous nous concertons, réfléchissons un temps, avec notre estomac qui réclame sa part. La vue est bouchée, le ciel est humide, il n’y a là aucun signe d’accalmie. Alors nous nous élançons pour rentrer dans la petite ville de Salas, la plus jolie rencontrée jusque-là, mais notre seul objectif est d’arriver à ce moment-là à l’auberge La Casa Sueño, située à la sortie ouest du bourg.

La vie à l’auberge : Nous montons ensemble, l’un derrière l’autre, sous une pluie maintenant battante, pour traverser le village. Cette pluie commence ses effets limitants : nous aurions bien pris un cliché ou un selfie devant les lettres du bourg pour immortaliser le moment, et nous aurions aussi bien imaginé grimper la tour… Mais à ce moment-là, sous ce ciel gris, nous ne nous éternisons pas et notre priorité est de nous mettre au sec le plus rapidement possible. Nous passons devant la Casa Pachón, restaurant qui semble ouvert à toute heure et dont nous avons tous les deux coché l’adresse à la maison avant de partir. Quelques deux cents mètres plus loin, toujours en remontant, nous arrivons à l’auberge, une des toutes dernières propriétés du bourg qui se termine par un sentier montant dans la forêt, le Camino Primitivo.

Nous sommes bien accueillis à notre arrivée sur les coups de 17 heures. A cette heure-ci, nous nous attendons à trouver des pèlerins déjà installés, et faisons la connaissance de trois autres pèlerines, dont la colombienne Claudia, qui nous accompagnera ensuite pendant nos étapes montagneuses. L’auberge, entièrement blanche et noire, est vraiment atypique avec son énorme baie vitrée, donnant sur le petit parc attenant et sur l’hôtel-restaurant où nous avons été accueillis. Les lieux sont parfaits pour nos esprits méthodiques : avec tout à disposition sur un seul et même niveau, de l’étagère à chaussure à la douche, en passant par le pot pour déposer les bâtons aux quatorze literas, nous ne peinons pas à y faire notre place, à nous étirer, et rapidement à nous laver ainsi que notre linge. Je ne suis pas malheureux de retrouver des couchettes : avec les lits de bois, son espace nuit très moderne, et surtout une capacité largement supérieure à l’effectif de pèlerins du soir, je ne vais pas souffrir du manque de confort. Complètement neutres, les lieux nous conviennent bien ce soir car nous sommes avides de calme et de repos.

Nous échangeons sur le repas à venir et nous nous interrogeons. Douchés, nous savons que la météo ne va pas s’arranger pour autant et quoi qu’il arrive, si nous souhaitons nous rendre à la Casa Pachón, dont Adriana a demandé confirmation au niveau des horaires de cuisine, il va falloir nous couvrir de nos imperméables. Mais nous ne résistons pas très longtemps. Le lieu est tellement coté, la nourriture est réputée si généreuse que nous nous y rendons, tout de même aux environs de 20 heures ! A cette heure-ci, la nuit est tombée depuis longtemps et nous nous accrochons aux quelques lumières pour nous repérer. Je suis muni de la combinaison imperméable / claquettes du plus bel effet pour rentrer dans un restaurant, comme à Saint-Jean-Pied-de-Port quelques mois plus tôt, mais la Casa Pachón, peu garnie en ce soir de semaine, nous accueille.

Je n’ai pas le souvenir que le menu ne nous ait été annoncé. Alors je découvre les plats au fur et à mesure qu’ils arrivent, et ils sont copieux, fidèles à la réputation de la maison. Le serveur est habile et enchaîne les plats à bonne allure, il manie bien les couverts. On sent tous les deux qu’il fait le métier ou que le métier l’a déjà fait : j’apprécie cette ambiance de campagne, peu raffinée certes, mais authentique et elle ne dépareille pas de mes racines. La soupe de poisson est très goûteuse, a un goût de reviens-y et le plat suivant, un mélange de pois chiches et de chorizo, pourrait largement contenter une troisième personne. Il y a même un troisième plat dont je ne me souviens que de la texture, mais là aussi pas avare en générosité. Et il fallait même compter sur un dessert, qui doit être à ce moment-là la fameuse natilla à la vanille, dont Adriana raffole. Si j’ai bonne mémoire, le repas n’a coûté que douze euros par personne, verre de vin inclus, et à ce jour, il s’agit probablement d’un des meilleurs rapports qualité / prix rencontrés sur Compostelle. Bref, après une heure et demie de dégustation, la Casa Pachón a amplement rempli son contrat autant que l’assiette et nous repartons repus, ou, en bon espagnol, satisfaits !

Plus haut, la Casa Sueño, comme son nom l’indique, s’est déjà endormie. La pluie extérieure a aidé à calmer les ardeurs et nous nous endormons paisiblement ce soir-là, peut-être inquiets de cette météo qui annonce une semaine catastrophique, mais dont nous ne manquerons pas de vérifier plus en détail la teneur le lendemain. Une autre soupe, plus indigeste, nous attend…


De Grado à Salas (Google Earth)

Profil de l'étape : En passant d'une vallée à l'autre, cette troisième étape présente un profil très vallonné. La première montée, avec ses 300 mètres de dénivelé, nécessite une mise en jambes immédiate à la sortie de Grado. Il reste autant d'ascension à parcourir sur le reste de l'étape, sur un parcours assez difficile, et sur une distance-test de 23 kilomètres. Cette étape délaisse le bitume assez majoritaire jusque là pour proposer un vrai profil de chemin, qui peut être rendu difficile et glissant en cas de pluie.




Par ici la suite ! 4ème étape : Salas - Tineo (20 km)

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