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Sur la route de Compostelle - Camino Primitivo (2024) - Voyage aller (1ère partie)

Jeudi 26 septembre. Pour moi, le schéma du départ ressemble à celui d’avril. Cette fois, j’ai tout de même davantage anticipé la préparation du sac, avec quelques jours supplémentaires pour affiner le paquetage. J’ai notamment légèrement réduit la partie médicale, en enlevant quelques bandages ou médicaments qui, dans l’intervalle, étaient désormais périmés. Mon collègue Nicolas passait me récupérer au petit matin, pour une dernière journée de travail (surtout de réunions) et, en fin de journée, mon autre collègue Martine, comme une superstition après le départ d’avril, me déposait une nouvelle fois à la gare de Riom / Châtel-Guyon.

A ce moment-là, sur le coup de 17 heures, je n’ai pas ressenti la même émotion. Comme si, à l’avance, je savais que j’allais vivre une aventure tellement différente de la précédente. Alors qu’en avril j’étais dans le brouillard, presque orphelin du duo que j’avais formé jusque-là avec Karima, en tout cas sur le chemin, cette fois je partais avec deux objectifs principaux : poursuivre mon chemin de Compostelle et rejoindre tout au bout du voyage, le lendemain soir, Adriana à Oviedo. Cette fois, tout était balisé, tout devait bien se passer et finalement, ce voyage aller que j’ai voulu étrangement avec une escale à Paris allait inaugurer tout ce que fut le Primitivo, à savoir une quasi-constante mise à l’épreuve physique, mentale, technique, dont j’en mesure encore les conséquences à l’heure où j’écris ces lignes. Mais aussi une impérieuse et permanente volonté de partager le moment avec quelqu'un qui m'a touché au cœur. 

Je me suis rendu compte qu’entre le retour à la fin du mois d’avril et ce début d’automne, je n’avais pas bougé du triangle géographique entre Bussières-et-Pruns, Riom, et mes communes d’entraînement à pied. Cela faisait cinq mois que je repassais constamment les mêmes paysages, avec toujours en point de mire, cette nécessité de respiration, et aussi de retrouver ma petite pèlerine mexicaine avec qui, grande innovation pour moi, j’avais partagé toute la préparation logistique. En ce jeudi soir, je pars donc serein et concentré sur un trajet ferroviaire jusqu’à la capitale que je sais être parfois capricieux, mais au tarif de 19 €, j’ai pris le risque d’avoir (un peu) de retard à l’arrivée.

Le vieil Intercités qui part de Clermont-Ferrand se faufile dans la Limagne sous un ciel frais. Je visualise avec émotion les sentiers où je me suis entraîné avec foi quelques jours auparavant, et j’appréhende les premiers arrêts sur cette ligne. Le convoi rentre dans l’Allier et, une fois arrivé à Saint-Germain-des-Fossés après avoir passé Vichy, il marque un premier temps d’arrêt inexpliqué. Ce ne sont que quelques minutes, qui ne parviennent pas alors à m’inquiéter. Puis le train reprend sa route vers le nord, toujours avec la sensation étrange qui est mienne de m’éloigner de mon objectif final, bien au sud-ouest. Le visage du contrôleur, qui pourrait avoir le physique du Père Noël, n’est pas là pour faire de cadeaux. Dans ce train rempli mais qui ne déborde pas pour autant, ce n’est pas la tête la plus rassurante. La nuit tombe peu à peu et je réalise que le train aborde Moulins alors qu’il devrait déjà être à Nevers.

La fièvre du jeudi soir.

La communication annonce un peu de retard, et celui-ci va crescendo entre les trois gares avant la capitale. Dans la Nièvre, au crépuscule, il atteint déjà vingt-cinq minutes. Je ne sais alors pas s’il sera en mesure de combler légèrement le retard, ou si au contraire, la situation va empirer. Sans qu’il ne s’arrête, je n’ai pas le souvenir d’avoir vu un convoi prendre du retard en roulant. Nous sommes au courant d’un bris de barrière à un passage à niveau dans l’Allier, et de l’immobilisation d’un autre train ayant provoqué une perturbation du trafic, mais nous n’avons pas d’autre information à l’arrivée. Je ne perçois pourtant pas chez les passagers un quelconque motif d’agacement : il est fort probable que Paris constitue le terminus pour beaucoup d’entre eux, et après tout, que le train arrive à 20 h 52 ou à 21 h 40 ne constitue pas dans ce cas-là un retard excessif. Paris sera toujours Paris, et ne s’est pas fait en un jour.

Mais pour moi, la situation est bien différente. Je dois monter dans le train de nuit en partance pour Tarbes à 22 h 12 mais en gare de Paris Austerlitz, une gare située à 1 400 mètres de celle de Bercy Porte d’Auvergne. Dans ma tête, les yeux rivés sur mon smartphone, j’imagine alors tous les scénarios possibles. Je ne connais qu’une partie du trajet à effectuer à pied, et, compte tenu du retard déjà accumulé et désormais annoncé de 35 minutes aux abords de l’Ile-de-France, j’essaie de trouver le moindre indice qui peut me faire gagner du temps.

Sur Google StreetView, je vois la sortie de la gare de Bercy, élément que je n’avais pas préparé auparavant car je pensais que la correspondance me laissait même le temps de prendre quelques photos d’un endroit qui avait accueilli les Jeux Olympiques quelques semaines auparavant. Je repère l’hôtel Ibis Styles et je me dis qu’il ne faut surtout pas que je suive sa direction en sortant, puisque je perdrais cinq minutes à pied dans l’affaire. Et cinq minutes, c’est un rebours qui peut s’assurer décisif.

Le train va bon train finalement mais, inévitablement, en se rapprochant de Melun puis d’Evry, perd de la vitesse. Je vois passer plusieurs gares de banlieue parisienne pour que finalement, il approche de la gare de Bercy. Mais c’était sans compter sur un temps d’arrêt ultime, à deux cents mètres à peine du quai, de cinq minutes donc, qui commence à agacer les passagers. Le chef de convoi se confond en excuses, mais ma stratégie est prête, enfin presque ; car prêt à bondir depuis longtemps juste derrière la porte de sortie, il reste un élément que je n’ai pas anticipé : la place de la voiture dans le convoi.

Je comprends cet élément en sortant du train : je suis à une bonne centaine de mètres de l’entrée. Il est presque 21 h 40, je ne pose pas davantage de questions. Avec mon sac à dos de huit à neuf kilos sur le dos, bâtons en main, je sprinte vers l’entrée de la gare. Je n’ai aucune seconde à perdre, sachant qu’avec un pas rapide de marcheur, j’aurais tout juste le temps de monter dans le train suivant mais tout en connaissant les lieux. Or, dans une ville de la taille de Paris, même éclairée mais de nuit, et sans connaître ni la totalité du parcours ni la gare suivante, j’essaie par la course de récupérer un peu de temps, tout du moins jusqu’à la sortie de la gare de Bercy.


Départ sous le soleil de la gare de Riom / Châtel-Guyon, pour Paris
26 septembre 2024

Perdu dans Paris mais pari réussi.

Une fois sur la voirie, je n’ai aucun autre repère que l’hôtel Ibis Styles car je me trouve complètement désorienté. Je n’ai donc aucun autre choix à ce moment que de suivre cette piste dont je sais par avance qu’elle va me faire donc perdre cinq minutes précieuses, celles dont j’ai besoin. Pire encore, je perds la trace de l’hôtel en descendant de l’escalier et en me retrouvant à un carrefour. A ce moment-là, l’espace d’une minute ou deux tout au plus, ça sent le roussi. Mon smartphone est mon seul outil d’orientation, et je mets un moment avant de comprendre où je suis, puis où je vais. Il est quasiment 21 h 50 lorsque je me mets en route sur le bon chemin, mais il reste encore une inconnue : vais-je pouvoir accéder à pied sur le quai d’Austerlitz ?

En ce jeudi soir, Paris est animé. Les bars sont ouverts, de nombreux jeunes viennent boire et se détendre en groupe, et j’essaie tant que faire se peut de poursuivre mon chemin et ne pas me laisser distraire par les attroupements. Incapable de poursuivre un rythme de course, je marche d’un pas rapide et décidé, et file droit devant, sans prêter attention aux regards qui pourraient m’arrêter. Adriana est au bout du trajet et, comme elle est revenue de l’autre côté de l’océan, je ne veux pas perdre une miette du temps que nous nous sommes offerts. Les changements de file et feux rouges peuvent aussi poser des problèmes, alors je suis mon intuition de l’instant pour avancer. Je passe sur la Seine au Pont de Bercy, et détourne le regard pour la voir relativement agitée. J’arrive au bout du pont et je sais qu’il ne me reste qu’à tourner une dernière fois à droite pour remonter le quai d’Austerlitz. A ce stade-là, la situation est devenue relativement simple : je suis dans une course contre la montre, non plus pour arriver à la gare d’Austerlitz à temps, puisqu’avec mon rythme de pas, je parviens à gagner du temps sur l’horaire d’arrivée et à récupérer ces fameuses cinq minutes. Mais une fois arrivé, forcément très fatigué par la journée, le stress et l’effort de dernière minute, je devrai garder un minimum de lucidité pour m’orienter et trouver la bonne voie.

Je n’ai pas pu prendre l’information précédemment, puisque malgré le temps réduit entre les deux trains, il était trop important pour que je connaisse la voie du train de nuit. Avec presque vingt minutes de marge, j’entre dans le périmètre de la gare d’Austerlitz en travaux (ce ne sera pas la dernière), et, justement grâce à cet aspect provisoire, me retrouve finalement cinq minutes plus tard sur le quai de départ, forcément soulagé mais aussi en sueur… C’est la première fois pour moi que je vais prendre un train de nuit en France (mes précédentes expériences avaient eu lieu en Espagne) et l’ambiance au départ est un peu champêtre. Les gens sont plutôt détendus, de tous âges, et ont tous les motifs pour voyager. Je profite quant à moi du temps avant le départ pour reprendre mon souffle, oublier ce que m’aurait imposé de rater le train (trouver un vitesse un bus pour le sud-ouest, ou trouver en vitesse une chambre – à quel prix ? – et tout reprogrammer), et faire un brin de toilette pour enlever – un peu – de sueur.

Les bavardages ayant lieu désormais plutôt en cabine que dans le couloir, le convoi peut s’élancer paisiblement vers la province et l’Aquitaine. Je découvre une cabine en mode trois couchettes sur trois étages, avec un espace donc réduit mais plutôt bien organisé, me rappelant les couchettes des auberges espagnoles que j’allais bientôt – mais avec parcimonie – retrouver. La gent féminine cause, à côté trois mexicaines annoncent la couleur mais tout ce petit monde va peu à peu s’éteindre dans ce voyage qui, comme le premier, ne va pas rouler tout à fait sur du velours…

Par ici la suite ! Voyage aller (2ème partie)

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