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Sur la route de Compostelle - France / Espagne à pied (2024) - 17ème étape : Burgos - Hornillos del Camino (21 km)

Nous sommes le 23 avril. Je vais entamer ce jour-là la dix-septième étape, la première des trois dernières étapes avant Frómista. La nuit a été plus reposante, plus calme, plus détendue que la veille. La pèlerine hongroise s’en est déjà allée ce matin. Je me suis réveillé à une heure plus ou moins habituelle, près des 6 heures du matin, et je vais profiter du petit-déjeuner proposé dans l’offre à 18 euros. Je sors rapidement de la chambre avec toutes mes affaires puisque d’autres personnes dorment encore, et ne font visiblement pas le chemin de Compostelle. Les produits sont industriels, ne sont donc pas spécialement frais, mais ils sont suffisamment variés pour caler ma faim. Un pèlerin espagnol semble plus pressé que le jus d’orange et interpelle la réceptionniste, qui met en route aussi le petit-déjeuner, pour qu’elle se dépêche de lancer les hostilités gustatives. Il est tout juste 6 h 30.

Elle doit donc enregistrer son départ (il faut remettre une carte magnétique à l’entrée qui était sous caution de 5 euros) avant de remonter pour s’assurer que tout va bien, que tout le monde dispose de ce dont il a besoin. A cette heure-ci, dans une grande ville, les langues ne se délient pas. J’apprécie autant la solitude et le temps pour moi que la compagnie et, globalement sur cet épisode, j’ai été servi des deux côtés avec une bonne alternance. De mon côté, avec vingt kilomètres au programme ce jour, je ne suis pas particulièrement pressé. Tout juste dois-je conserver du temps à l’arrivée pour finaliser mon voyage, c’est-à-dire la réservation de la dernière nuitée à Frómista et surtout, le trajet retour.


Le chemin suit un temps la rivière Arlanzón
23 avril 2024

Un adieu à la ville

Je quitte les lieux vers 7 h 30 et je suis seul, tout comme je vais effectuer l’immense majorité de l’étape en solitaire aussi. Le temps est frais, moins froid que la veille mais surtout le vent est tombé. Je retrouve rapidement la rivière Arlanzón, et je pars vers l’ouest, car je sais que dans cette direction, je vais progressivement quitter la ville et retrouver rapidement le Camino. Je rentre un peu dans le Parque de la Isla (Parc de l’Ile), puis longe l’Université de Burgos ensuite. Le tissu urbain diminue rapidement, se relâche. Je ressens la sortie proche de la ville, qui n’a rien à voir avec son entrée, interminable, bruyante, quelconque. Le début d’étape est plat, agréable, paisible. Arrivé sur la route Vivero, je laisse sur le côté gauche les derniers immeubles et un terrain de football pour quitter définitivement Burgos. Des trois villes principales de cet épisode, je mettrai Burgos en tête, simplement pour ce côté paisible, proche de son environnement, ouvert, alors que Pampelune et Logroño m’avaient apparues plus concentrées autour de leur centre historique.

Je poursuis ma route sur une piste terreuse, plutôt propice au VTC (d’ailleurs l’EuroVélo n°1 passe là) jusqu’à une aire pour enfants aux abords de Villalbilla de Burgos, où j’en profite pour me désaltérer quelques minutes. Je continue en laissant de côté le village, et j’aborde un échangeur avec une première vue claire sur la meseta. Ici se croisent l’autoroute vers León et la voie ferrée vers Palencia ou Vitoria, chemin de fer que j’emprunterai à une autre allure tout juste trois jours plus tard. Un groupe de cyclistes espagnols passe par là et salue les pèlerins à sa manière « ¡ A Santiago ! ». J’ai bien là retrouvé quelques pèlerins disséminés, partis ce matin même des différentes auberges de Burgos. Je ne suis plus seul, mais pas encore vraiment accompagné. Je longe maintenant la route nationale 120 (encore !), qui m’amène jusqu’à Tardajos, où je vais la quitter.

Début alors une partie avec quelques fresques murales bien nettes, à l’effigie de célébrités de notre monde contemporain. Je ne tarde pas à Tardajos, où j’arrive vers 11 heures, soit à peu près la moitié de l’étape. Ce village ne m’inspire rien de particulier, alors je progresse toujours plus en avant, toujours vers l’ouest. Par moments, et ce sera le cas jusqu’à la fin de mon périple, je me retrouve en reconnexion avec l’eau. Certains ponts anciens permettent d’apprécier la quiétude des quelques rivières qui traversent ce vaste plateau, comme le Puente San Lázaro sur la rivière Urbel. Vient ensuite la traversée du joli village de Rabé de las Calzadas et après un dernier message biblique sur une fresque, « Dieu vit tout ce qu’il avait fait et c’était très bon. », le chemin disparaît pour de bon dans la campagne. Pour moi, ce sera le cas jusqu’à la gare de Frómista, tout juste entre coupé par quelques rares villages, certains tous petits, comme ma halte du soir, d’autres plus grands, comme celle du lendemain.


La meseta (le plateau) depuis le Mirador de Hornillos
23 avril 2024

Les prémices de la meseta

Il est à peu près midi. J’entame là la meseta au sens strict du terme. Ce tronçon est essentiel sur Compostelle, en tout cas sur le Camino Francés. Quelle que soit l’heure, le jour, la saison, l’année ou encore les conditions météorologiques, le pèlerin est confronté à lui-même ici. Le chemin a parfois raison du pèlerin, par ennui, à cause du manque d’ombre, de la fatigue accumulée depuis le départ, ou pour d’autres raisons. Elle était redoutée par certains. Je l’ai abordée progressivement, mais sachant que j’arrive très bientôt au terme de mon parcours et ayant suivi le programme des étapes, je ne suis pas dans un état d’esprit de fin des temps. Libéré de l’environnement urbain, je visualise la fin, je la mentalise. Je n’aime généralement pas terminer, surtout quand le menu a été agréable. Jusqu’au mirador de Hornillos del Camino, il y a une heure de montée constante, à peu près sur cent mètres de dénivelé positif, toujours sur une piste blanche lumineuse.

C’est quelque part sur cette montée que Killian, pour la troisième journée consécutive, me retrouve. Cette fois il effectue la fin de l’étape en compagnie de Tebia, une autre jeune allemande, que j’avais croisée quelques étapes auparavant, sans que nous conversions pour autant. Je les accompagne un temps, ils sont plus rapides à deux et je les laisse partir. Ce qui m’amuse à cet instant est que, en arrivant à Burgos, nous avions parlé avec Killian de cette jeune allemande, sans la nommer, et j’avais plaisanté en demandant à Killian si elle lui plaisait. Il n’avait pas dit non. Et je portais en moi cet échange secret à ce moment-là.

Peu avant le sommet, à 920 mètres d’altitude, les deux allemands me laissent donc avec ma solitude. Comme son nom l’indique, le mirador laisse entrevoir la fin d’étape. Je vois un paysage ressemblant à celui de la veille, sauf que cette fois, l’arrivée est beaucoup plus proche. Hornillos del Camino (littéralement, le poêle à bois du chemin) est là et me fait face, en contrebas d’une descente peu technique, toujours en suivant cette piste qui sillonne dans les champs toujours vers à cette époque de l’année. J’effectue la fin du parcours sans histoire mais, juste avant d’entrée dans le village-étape, j’aperçois la silhouette contorsionnée d’une femme visiblement à la peine. Son genou gauche est couvert d’une large bande blanche, il semble ne pas fonctionner normalement, comme légèrement désaxé vers l’intérieur.

Je m’approche, je demande à la dame, visiblement d’un certain âge, si tout va bien. C’est un échange express, au vu de notre situation par rapport à l’étape, mais qui va durer jusqu’à l’entrée à l’auberge. Je suis avec Maria, une Australienne de 67 ans, partie depuis Saint-Jean-Pied-de-Port, atteinte de la maladie de Parkinson. Maria me dit qu’on ne meurt pas de la maladie, et cette rencontre fait immédiatement écho à mon passé, encore une fois, et à ma grand-mère, décédée sept ans plus tôt, à 92 ans, et atteinte de la même maladie depuis une dizaine d’années auparavant. Maria est partie seule, laissant son mari à la maison, à des milliers de kilomètres, et, contre l’avis des médecins de Logroño compte tenu de son état de santé, est repartie sur le chemin. Sa seule inquiétude, mais elle est grande, est que son mari a oublié de réserver une auberge pour elle pour le soir.

La vie à l’auberge : Maria, à sa manière, me fait comprendre qu’elle veut continuer son chemin seule. Je la laisse là, un peu inquiet, mais je vais entendre le son de sa voix quelques minutes plus tard. Entre temps, je suis arrivé à l’auberge El Alfar, où j’ai été très bien accueilli. Cette auberge privée, discrète sur le bord de la route et en plein village, restera pour moi une des meilleures expériences du chemin. Tout juste installé, mais pas encore déchaussé (!) car comme souvent il faut laisser bâtons et chaussures à l’entrée, j’entends la voix de Maria et sa demande, mais, comme j’en avais l’impression au téléphone lors de la réservation, il n’y a plus de place disponible là. L’hôte rassure Maria en lui disant qu’à cette heure-ci (il est peut-être tout juste 14 heures), elle n’aura aucun mal à trouver une couchette à l’auberge municipale ou à l’autre auberge privée. Le problème de la meseta, c’est que les hébergements se trouvent dans les villages, ou à proximité (sauf une exception sur la dernière étape), et que si tout est complet, il vous faut invariablement marcher pendant deux à trois heures pour espérer trouver un toit.

La jeune hospitalière, peut-être dans la trentaine, est au four et au moulin, elle s’occupe de tout, tout en restant très agréable à l’accueil. Au vu des services locaux (!), je réserve le repas du soir, que l’on appelle la cena comunitaria, mais pas le petit-déjeuner, puisque mon objectif est aussi de continuer à alléger mon sac à dos pour les dernières étapes, de manière à ne pas rapporter de nourriture non consommée en France. Je procède donc au triptyque habituel et, ce soir-là, je n’effectuerai pas l’habituelle visite des environs ni de courses au supermarché local puisqu’il n’existe pas. J’ai suffisamment de provisions pour tenir une étape supplémentaire, voire plus.

Dans la chambre, à l’étage, je ne suis pas arrivé le premier, et un lit superposé m’est donc affecté. Comme la chambre n’est pas trop serrée, contrairement à d’autres auberges, je n’ai pas de peine à trouver un espace pour mon sac. En-dessous de moi, je fais la connaissance d’un Texan, dont j’ai quelques difficultés à comprendre l’anglais. En revanche, nos niveaux d’espagnol respectifs se côtoient très bien, et pour moi, c’est la première fois que je rencontre ce cas de figure sur le chemin ! Jusque-là, peu de pèlerins non originaires d’un pays « directement » hispanophones parlaient en espagnol, et je me confrontais donc souvent à des natifs.

Il y a un hic dans cette auberge, qui n’est pas immense mais complète ce soir-là. C’est la disposition des toilettes, qui n’est pas équilibrée entre le rez-de-chaussée et l’étage. A l’étage, il y a les toilettes pour dames et au rez-de-chaussée, elle est mixte. Or, les messieurs sont assez nombreux ce soir. Mais il y aura du temps pour tout et pour tout le monde. De mon côté, la validation du trajet retour prend beaucoup de temps, eu égard aux connexions proposées et au nombre de trains (huit !) qui me sont nécessaires pour effectuer le trajet trois et quatre jours plus tard entre Frómista et Aigueperse. Il y a bien d’autres moyens de transport, mais je privilégie dès que possible le train, plus confortable, plus vaste, assez sûr aussi, et où j’ai le plus d’indépendance par rapport à la gestion des bagages. Définitivement, le train « c’est pas mal » et il dispose d’un autre avantage en cas de correspondance assez large, la possibilité de visiter la ville.

Cette auberge El Alfar dispose d’un distributeur de repas aussi et de tout le nécessaire pour laver et sécher le linge, à l’extérieur, ainsi que d’un étendage. Des ouvriers travaillent sur la maison d’à côté, l’ambiance est au repos, à la détente, mais le mixage entre pèlerins a du mal à s’effectuer, et cela va se retrouver au repas. Nous sommes sept français (!) et je côtoie une majorité de retraités, dont certains venus de Montpellier, et qui voyagent légers. Il y a là aussi quatre italiens, trois australiens (dont David et sa fille, que j’ai rencontrés à Atapuerca) et une jeune taïwanaise qui dort dans la même chambre. Il y a aussi d’autres pèlerins qui ont choisi de prendre leur dîner à l’extérieur, peut-être dans un petit restaurant ou dans une autre auberge privée.

Il y a eu un tremblement de terre au début du mois à Taïwan et, déconnecté des informations, je l’ai appris par la bouche d’autres françaises ce soir-là. Elles m’ont demandé si la question était gênante, et comme la jeune taïwanaise voyageait visiblement seule, mes voisines de table en ont profité pour lancer la conversation sur le sujet. Car chaque pays s’est regroupé dans un entre-soi à table, mais après avoir passé la salade mixte et la paëlla (visiblement, bien que très appréciable à ce moment-là, elle n’était pas de Valence), les langues se sont tournées vers les autres pays. La nuit arrivait tranquillement sur Hornillos del Camino. Toutes formalités accomplies, je pouvais m’allonger tranquillement et me projeter sereinement sur les deux dernières étapes.


De Burgos à Hornillos del Camino (Google Earth)


Profil de l'étape : Le tracé ne présente pas de difficulté particulière. La sortie de Burgos est relativement simple, en suivant la rivière Arlanzón plein ouest, pour arriver à l'Université et quitter progressivement la ville. Le chemin quitte les faubourgs et la zone urbaine lors de son passage au niveau de l'échangeur autoroutier, doublé de la ligne de train à grande vitesse. Il reste ensuite dans un deuxième secteur de villages, avec la traversée de Tardajos et Rabé de las Calzadas. Le tracé, sur sa partie finale, donne un premier aperçu de la vaste meseta à venir, avec la montée sur le Mirador de Hornillos et la descente vers le village de Hornillos del Camino.



Par ici la suite ! 18ème étape : Hornillos del Camino - Castrojeriz (19 km)

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