Sur la route de Compostelle - France / Espagne à pied (2024) - 16ème étape : Atapuerca - Burgos (20 km)
Nous ne sommes pas encore le 22 avril. Je suis bien calé dans mon auberge et dans ma « case » avec le rideau fermé. Mais le train du sommeil a du retard et au lieu de ça, les crampes, sur tout mon postérieur, se font bien sentir. Elles maintiennent mon corps éveillé et il n’y a plus un bruit. J’hésite entre rester calme ou partir aux toilettes, pour un cycle complet de l’eau en moi. Finalement je vais faire un aller-retour jusqu’au point sanitaire, en prenant garde de ne pas faire de bruit. Régénéré, je vais finir par trouver le sommeil après une bonne demi-heure à lutter contre moi-même.
Le lendemain matin, je décolle tranquillement. Je n’ai pas de pression particulière, ni par l’étape, ni par la météo, ni par l’arrivée à Burgos et ses 180 000 habitants. Avec -2°C, soit la température la plus basse connue jusque-là au petit matin, je prends le petit-déjeuner à l’auberge, attend tranquillement que le jour se lève, et je prends le temps de m’habiller avant de quitter les lieux ensuite. Pourtant, cette Plazuela Verde invite au séjour et je n’ai pas particulièrement envie de la quitter. Je suis quasiment le dernier pèlerin, et je ne me presse d’autant plus pas que l’étape habituelle débute à San Juan de Ortega, soit 6 400 mètres plus en amont sur le chemin. Cela représente quasiment deux heures, et cela fait bien longtemps que les coréens ne m’accompagnent plus en masse.
La Croix d'Atapuerca et puis... la vue sur la fin de l'étape !
A 8 heures du matin passés, je quitte rapidement Atapuerca par le chemin qui monte directement sur la gauche sur une piste puis, beaucoup plus en avant, dans la rocaille. La végétation est de type méditerranéen, mais les arbres, bien que disséminés et aux troncs tourmentés, sont assez denses pour donner une impression de forêt. Au vu des conditions météo, et du vent, je ne force pas l’allure et fais attention à bien mettre un pas devant l’autre. Je suis bien couvert (polaire, bonnet, imperméable, gants) et le dicton qui dit « en avril, ne te découvre pas d’un fil » prend tout son sens sur ce début d’étape qui dépasse les 1 000 mètres d’altitude. Après une heure de marche environ, je dépasse la Cruz (Croix) d’Atapuerca et, sur ce promontoire recommandé (et au point de vue recommandable), je découvre d’un coup la totalité de l’étape. Contrairement à Estella, je ne dirai pas cette fois que je ne devine pas l’arrivée à Burgos, une ville assez étendue mais qui, à plus de dix kilomètres à vol d’oiseau, paraît assez petite dans un environnement finalement assez sauvage.
Début de la descente dans la Sierra de Atapuerca
22 avril 2024
A cette heure-ci, les pèlerins sont déjà passés et tout au plus je m’attends à croiser ceux qui sont partis un peu plus tôt d’Agés, voir ceux qui comme moi, ont choisi de prendre un peu plus leur temps au départ d’une autre auberge d’Atapuerca. Je suis prudent, mais je vais l’être encore plus, bien échaudé par certaines étapes précédentes (Zubiri, Alto del Perdón), dans la descente. Je retrouve la piste plus bas dans la descente, à une bifurcation, et je me dirige vers Villalval. Le village me rappelle un peu Bussunarits en France, avant Saint-Jean-le-Vieux et, comme j’ai perdu de l’altitude, je ne vois plus la perspective de la fin d’étape comme je l’avais vu sur le panorama. Je poursuis mon chemin sur la Carretera Real (la Voie Royale !) en direction de Cardeñuela Riopico. A ce moment-là, je ne ressens pas d’émotion particulière. C’est comme si la vue initiale avait déjà enlevé toute surprise potentielle à cette étape, qui ne s’annonce pas particulièrement longue ni difficile. Cela tombe bien, après le kilométrage effectué la veille, et je dois conserver des forces pour les étapes de la meseta, qui ne s’annoncent pas plates pour autant.
Avant d’arriver au village, je croise une jeune fille, peut-être encore adolescente, assise sur une chaise au bord de la route. Je me trouve près de l’auberge Vía Minera. Je la vois depuis peut-être cent mètres et, en m’approchant, je comprends qu’elle cherche à vendre quelques objets du type coquille Saint-Jacques au pèlerin mais, les mains dans les poches, bien emmitouflée, je lui souhaite bien du courage et de la patience car, à l’arrêt, elle doit faire face au vent froid qui ne l’épargne probablement pas. Je traverse ensuite le village de Cardeñuela Riopico sans ressenti autre que celui de m’approcher petit à petit de la grande ville. Je le ressens au fur et à mesure des kilomètres. J’atteins ensuite le village d’Orbaneja Riopico, sur la Carretera Cardeñuela (dans la continuité) et je le traverse sans connaître d’autre émotion. Ce jour-là, le Camino est banal, et après m’avoir offert le menu dès le sommet, me fait rentrer dans le quotidien sans histoire d’une banlieue. Cela me conforte dans l’idée de ne rien attendre du Chemin. Celui-ci continue de me faire mais petit à petit, je sais que je me rapproche de la ville. C’est comme si cette étape s’était terminée presque dès le départ, comme si son âme était restée dans les reliefs précédents. La traversée du village est longue, et l’étape commence à s’étirer. Je ne le sais pas encore, mais mes pieds ne vont pas quitter le bitume jusqu’à l’auberge. La route est longue lorsque les points d’intérêt sur le chemin sont faibles, et lorsque les pèlerins ont déserté les lieux. Oh les villages traversés offrent probablement une qualité de vie intéressante, leur style présente tout de même de l’intérêt, mais il n’y a pas d’accroche suffisamment symbolique pour retenir le pèlerin. Burguete était par exemple relativement austère, mais les façades blanches des maisons basques, massives et en pierre, donnaient du cachet et du caractère au village, blotti sur son plateau pyrénéen, plus près de la montagne que de Pampelune. Or là, il n’y a pas là d’intérêt particulier à l’arrêt, pas de Casa de los Deseos, pas de food truck, pas de musicien, pas d’écureuil qui se pavane, pas de petit jardin potager, pas de personne accrochée à l’arbre comme à Espinal. Le chemin s’en allait, il n’était plus une fête, juste un accessoire. Son âme s’évaporait, comme pour me préparer à un retour prochain à mon quotidien.
Je passe alors sous l’autoroute n°1, celle qui contourne Burgos par le sud, et je manque la bifurcation ou la variante du Camino Francés à la sortie. En réalité, je m’en apercevrai plusieurs kilomètres plus loin, mais je reste bien sur le chemin de Compostelle, en tout cas sur l’une de ses voies. A choisir, je me suis trompé à ce moment-là, en tout cas sur le fait de choisir probablement le chemin le plus intéressant. Au lieu de me diriger près des berges du Río Pico, qui naît vers les gisements d’Atapuerca, et du Río Arlanzón, qui coule ensuite paisiblement à Burgos, je prends la route de l’aéroport.
Le contournement de la piste d’atterrissage est long, accompagné d’un peu de trafic routier et m’emmène directement à Villafría de Burgos, sur la route nationale n°1, qui va ou vient d’Irún, à la frontière française. Malgré la présence du bitume, qui nécessite une vigilance constante par rapport aux dangers de la route, et qui finit par user le corps, je ne doute pas d’avoir suivi le Chemin de Compostelle. A cet endroit, je contemple le chemin déjà accompli en repérant le promontoire où se trouve la Croix d’Atapuerca, mais le vent, froid et assez puissant, empêche tout arrêt digne de ce nom si je ne suis pas abrité. A partir de cette ville de banlieue, je ne connaîtrais qu’une seule direction : le sud / sud-ouest. Je passe sur le pont au-dessus de la voie ferrée, redescend et me retrouve plongé directement dans la ville de Villafría de Burgos. A partir du restaurant Buenos Aires, et de sa camionnette Renault 4L colorée (!), je traverse la zone commerciale et industrielle jusqu’à la Calle Vitoria, sur la commune de Burgos, où je marque une pause pour une pomme et un peu d’eau. L’endroit, bien protégé à défaut d’être abrité du vent, n’est pas très propre et ne me donne pas l’envie de rester très longtemps. Il fait bien trop froid pour sortir chaussures et chaussettes, et je m’arrête seulement un quart d’heure avant de reprendre la route, au sens strict du terme.
La voie ferrée, où je passerai en train quatre jours plus tard, et la Sierra de Atapuerca en arrière-plan
Villafría de Burgos - 22 avril 2024
Quand on arrive en ville.
A l’entrée de l’espace résidentiel de Burgos, peut-être un peu avant, je retrouve Killian, le jeune allemand avec qui j’avais effectué quelques kilomètres la veille avant d’arriver à Villafranca Montes de Oca. Nous poursuivons notre route dans la grande ville, tout en repérant la localisation de nos auberges respectives. Nous échangeons tous les deux sur le fonctionnement de nos sociétés en France et en Allemagne, notamment sur le système de santé. Killian est étonné par la présence des magasins de mode. Des trois villes principales, c’est pour moi l’entrée la moins jolie, la plus brute, la plus bruyante aussi. Finalement, je suis assez surpris de rentrer comme ça, presque en plein désert, dans une ville qui retrouve des aspects complètement urbains, par sa population, vêtue différemment par rapport à la campagne ; et la taille de ses immeubles dépassant régulièrement les dix étages ainsi que les nombreuses boutiques au rez-de-chaussée. Nous marchons toujours droit devant, dans cette Calle Vitoria, et nous suivons notre GPS qui nous indique la localisation de nos auberges respectives.
Après une bonne partie en solitaire, je n’étais pas malheureux de retrouver Killian, toujours aussi zen et souriant, sur le chemin. Je ne ressens pas cela dit le besoin chez lui d’être accompagné, ou de raconter une histoire, comme d’autres pèlerins. Killian n’est pas dérangé par le fait de marcher seul, mais il ne refuse pas pour autant la rencontre et la randonnée à deux. Il s’en accommode très bien. Je sens qu’il prend la vie comme elle vient, et que chacun est libre de poursuivre son chemin. J’apprécie cette philosophie et, à son jeune âge, il me renvoie de la stabilité et de la maturité. Après une longue partie assez quelconque, sans âme autre que celles de citadins épousant la société de consommation dans les grands magasins d’électroménager, ou de restauration rapide, et une autre plus résidentielle annonçant sans fin le centre-ville, nous sommes arrivés au point où nous allons nous séparer. Nous avons poussé le chemin ensemble jusqu’au maximum possible, mais il arrive un moment où chacun doit rejoindre son auberge respective.
La vie à l’auberge : près du quartier de la fameuse cathédrale Sainte-Marie, classée à l’UNESCO en tant que patrimoine mondial de l’humanité, je traverse le Puente Santa María (Pont Sainte-Marie) pour me laisser guider par le GPS jusqu’à l’Hôtel Mola, où j’ai réservé une couchette. Je me retrouve dans un hostal, à mi-chemin entre une auberge de pèlerins et un hôtel, et je sais que je ne rencontrerai pas là que des pèlerins. Je suis bien accueilli, mais l’ambiance ressemble un peu à celle d’Estella, plus déshumanisée et moins cosy. Mais l’offre inclut cette fois le petit-déjeuner le lendemain matin. J’indique à mon hôte que je vais rejoindre ma chambre à pied, par l’escalier, et après avoir dépassé la cuisine / salle à manger, je rentre dans la chambre qui m’est réservée, avec le lit qui m’est affectée, tout de suite à l’entrée et en bas à gauche.
Je ne m’adresse qu’à une Hongroise, qui effectue aussi le chemin de Compostelle, et dont j’ai oublié le prénom. Il y aura d’autres personnes ce soir-là dans la même pièce, mais je n’échangerai qu’avec la Hongroise, à coup sûr la seule pèlerine sur le Camino. Je la retrouverai également sur l’étape du lendemain. Je profite de la quiétude des lieux pour laver mon linge à la main. Il n’y a personne aux douches, guère plus de monde dans les chambres et je peux donc étendre le linge mouillé sur les barreaux métalliques du lit superposé. Comme celui-ci est accolé au mur, à droite, je dispose également le linge de manière temporaire sur le lit du haut.
Je procède à la réservation de la nuitée de Castrojeriz, via Weward / Booking, mais à la suite d’une conversation la veille avec un couple de retraités français, à Atapuerca, je veille également à réfléchir à mon retour. Je prends donc un bon moment pour consulter les options possibles que j’avais vues avant de partir en France, et arrête mon choix. Cela dit, je ne validerai définitivement mon trajet retour que le lendemain à Hornillos del Camino. J’observe la ville, à l’extérieur, un objectif et une destination que je m’étais fixées comme importantes avant le départ. Beate s’arrêtera là, avant de se promettre de revenir plus tard. Avec l’idée du retour qui se fait claire désormais, puisque dans trois jours, la sensation est étrange. Je commence à penser à l’après-chemin. Je sais que désormais mon temps est compté sur le Camino à la vue de cette troisième grande ville et que toutes les rencontres que j’effectuerai à présent ne seront pas marquées dans le temps. Il me sera difficile de parler du chemin à l’avenir, comme je l’ai fait jusqu’à Pampelune, Logroño et Burgos ; alors comme une partie de la conversation entre les pèlerins tourne autour du chemin, je manquerai une part de l’échange.
Toujours soucieux de veiller à respecter le budget que je m’étais fixé, je profite du Mercosur (centre commercial) tout proche pour y faire mes emplettes. Désormais, il n’est plus question que je charge mon sac de pommes et, à partir de Burgos, je vais rentrer dans la consommation des fruits secs que j’avais emportés au départ. J’ai également suffisamment de barres de chocolat pour terminer le chemin, alors je me concentre sur le repas du soir. Seul, et en transit permanent, il est impossible d’emporter des quantités que je ne peux pas partager mais, à l’inverse, je ne me concentre pas en permanence sur les plats préparés. La difficulté sur le chemin, compte tenu de ces conditions, est de pouvoir s’alimenter en légumes variés en quantité suffisante alors j’essaie de composer, avec les moyens du bord – ceux des magasins et ceux des cuisines – un menu suffisamment riche et complet. Au magasin, je croise une dernière fois Laurence, membre du duo qui va se séparer après avoir effectué tout le chemin ensemble. Je trouve ce dont j’ai besoin (dont des produits laitiers, mon péché mignon !) et je prends la direction de la cathédrale dont je peux admirer les proportions.
A 865 mètres d’altitude, la ville de Burgos est perchée sur le plateau, mais avec son orientation majeure de long de la rivière, est-ouest, c’est aussi une ville courant d’air sur ses grands axes. Il fait certes beau mais froid ce soir-là, et le vent est toujours aussi mordant. Alors, je prends quelques clichés souvenirs et me promène un peu dans le quartier historique. Je ne m’éternise pas, rentre à l’auberge, prend mon repas et poursuis la réflexion sur mon voyage retour. Entre temps, Adriana, partie la veille pour une longue étape en direction d’Hontanas, m’a indiquée la plus belle route pour sortir de Burgos. Je m’endors donc paisiblement cette fois en pensant au lendemain, et à la fin du voyage qui va se faire plus concrète encore dans mon esprit…
De Atapuerca à Burgos (Google Earth)
Profil de l'étape : Le chemin quitte très rapidement Atapuerca pour monter, entre les pierres et dans une forêt rabougrie à la Croix d'Atapuerca. La montée n'est pas très raide ni très longue, mais ne laisse pas la place à l'échauffement. La descente est assez périlleuse, ensuite, sans atteindre le niveau de difficulté de l'Alto del Ebro et de l'Alto del Perdón. Le chemin traverse ensuite sur le bitume Quintanilla Riopico et Orbaneja Riopico avant de contourner longuement l'aéroport et d'entrer ensuite en ville avec le faubourg de Villafría de Burgos. La suite est une longue entrée dans Burgos avec la zone industrielle, puis résidentielle. Il existe un itinéraire alternatif, plus agréable et diversifié, qui à la sortie des villages suit le parcours de la rivière Arlanzón.
Par ici la suite ! 17ème étape : Burgos - Hornillos del Camino (21 km)






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