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Sur la route de Compostelle - France / Espagne à pied (2024) - 10ème étape : Los Arcos - Logroño (29 km)

Nous sommes le mardi 16 avril. Peinant un peu à trouver le sommeil, la nuit a été relativement courte pour moi mais le sommeil a été lourd et réparateur. A ce moment-là, je pense que je vais débuter la plus grande étape de ce troisième épisode et je sais surtout que je vais pouvoir réaliser un petit break à Logroño, puisqu’aux vingt-huit kilomètres du jour (Adriana en comptera même trente-deux) succédera une étape de seulement treize le lendemain. Rapidement prêt, discrètement efficace pour enlever le drap housse et la taie d’oreiller, je sors rapidement de la chambre avec mon sac à dos, sur le coup des 6 h / 6 h 15, et je retrouve Adriana pour prendre le petit-déjeuner que nous avions acheté la veille au supermarché de Los Arcos.

Petit à petit, les parties communes de l’auberge se remplissent. Adão, qui avait dormi juste à côté de moi, se prépare de son côté. Nous sortons finalement de l’auberge vers 6 h 45, après avoir salué nos hôtesses la veille, et nous sommes donc finalement trois pour entamer l’étape ensemble. Adão nous attendait juste à la sortie. La chaleur des derniers jours, qui avait déjà un peu diminué la veille, laisse vraiment la place à la fraîcheur sur ce début d’étape, avec seulement 7°C. La fraîcheur ne nous quittera d’ailleurs plus à partir de ce moment-là, et pour ma part elle sera présente, plus mordante encore certains jours jusqu’à Frómista.

Nous quittons rapidement Los Arcos, un petit village donc, pour prendre toujours la direction du sud-ouest. Nous menons bon train, probablement davantage entraînés par le rythme naturel soutenu du prêtre portugais, et nous rions chacun de notre condition, profitant simplement du chemin, d’un paysage assez sauvage sous nos yeux et de la température dynamisante pour avancer. En marchant seul, cette étape serait probablement propice au silence, à l’introspection et à la réflexion. Mais, arrivé à la moitié du périple, j’ai déjà bien avancé intérieurement et je suis prêt à l’ouverture. Nous profitons de ce tracé relativement simple, en tout cas jusqu’aux villages voisins de Sansol et Torres del Río, tout juste séparés par la rivière Linares, pour trouver et maintenir notre rythme.


Un début d'étape rondement mené
Entre Los Arcos et Sansol - 16 avril 2024

Après Torres del Río, les vignes profitent de l’espace plus escarpé pour coloniser les lieux et annoncer La Rioja, que nous ne connaîtrons qu’en fin de parcours. La grande majorité de cette étape est encore navarraise, mais la transition a déjà débuté entre les deux communautés, d’un point de vue paysager, depuis plusieurs jours déjà. Je retrouve Claire un temps, la Canadienne, mais je sais que nous ne pouvons pas marcher à la même allure. C’est après la Ermita del Poyo, à environ 550 mètres d’altitude, que le paysage va nous montrer le bassin de Logroño, que nous pouvons apercevoir à environ 10 heures du matin. Nous retrouvons alors le Camino que nous avions connu jusque-là en Navarre depuis Pampelune, plus escarpé, plus tortueux aussi, sans que le parcours ce jour-là ne présente de réelle difficulté, en dehors de la longueur de l’étape.

Viana, la petite ville avant la grande

Vers 11 h 30, nous atteignons Viana, une petite ville d’un peu plus de quatre mille habitants, bâtie en surplomb de Logroño. Jusque-là, sur ce parcours, il ne s’est pas passé grand-chose. Parfois le chemin s’offre simplement à vous, il se déroule sous vos pas qui avancent sans demander leur reste. Il n’est pas ennuyeux pour autant, propose un visage de l’Espagne avec du caractère, de la force et de la vigueur, d’autant plus que le ciel parfois tourmenté, en tout cas couvert, refuse de laisser pénétrer pour de bon les rayons du soleil. Mais à Viana, dans cette bourgade bâtie sur un promontoire, la distance se fait sentir. Adriana profite de la présence d’une pharmacie en centre-ville pour renouveler son stock de pansements Compeed, et avec Adão nous profitons de la présence d’un square, escarpé, juste en surplomb pour l’attendre. Je me désaltère là, et après quelques minutes nous reprenons notre marche en avant, d’autant qu’il reste encore une bonne dizaine de kilomètres jusqu’à l’arrivée. Le chemin nous amène devant l’Eglise Sainte-Marie, et Adriana et Adão en profitent pour la visiter. Je suis encore à ce moment-là un peu en retrait par rapport à la foi et je préfère ne pas y rentrer.


Le Pont de Pierre
Logroño - 16 avril 2024

A la sortie de Viana, l’inclinaison vers le sud-ouest est désormais plus marquée. Quelque part à environ neuf kilomètres du but, nous arrivons dans un petit parc, propice à la pause. Un guitariste joue manifestement quelques airs connus (notamment Bohemian Rhapsody) pour les pèlerins. Un petit moment vert de convivialité. Un petit cadeau sur cette étape. Nous quittons la route 1 110 qui nous avait accompagné et que nous avions traversés plusieurs fois depuis le départ, et nous longeons un temps la route nationale 111. Nous la délaissons un temps pour rentrer dans des plantations d’oliviers, et nous y revenons. Nous la laissons à l’échangeur pour prendre le Camino Viejo de Viana (le Vieux Chemin). Je découvre alors Logroño, logée au cœur de la vallée de l’Ebre, le plus grand fleuve intégralement en Espagne, et les montagnes environnantes encore couvertes de neige. L’ambiance du paysage est fraîche, mais entre Adriana, Adão et moi qui avons plus ou moins le même âge (42, 42 et 39), celle-ci est plus chaleureuse. L’arrivée à Logroño s’effectue par ce chemin, qui a déjà délaissé depuis plusieurs kilomètres la zone industrielle, et cette entrée n’est pas sans me rappeler le Pérou. Nous passons un premier faubourg, une zone d’oliviers, un secteur de vignes, puis nous ressentons vraiment la rentrée dans la ville au niveau de la jonction avec la Carretera (Route) Mendivía, avec du trafic automobile et un parc qui n’est pas sans rappeler celui qui se trouvait au pied du quartier historique de Pampelune.

A ce moment-là de l’étape, nous en sommes à nous interroger sur nos auberges respectives, car Adriana et moi avons réservé deux auberges différentes, et Adão n’a pas de couchette pour le moment. Mais le prêtre portugais, avaleur de kilomètres, n’est pas inquiet pour autant : il n’est que 15 heures et nous sommes sur une ville majeure du Camino. Adriana a déjà tout anticipé. Pour ma part, je sais seulement que nous devons traverser le Pont sur l’Ebre (Puente de Piedra, Pont de Pierre) et que notre auberge se trouve à proximité. C’est bien le cas. Nous nous saluons tous les trois brièvement, mais contrairement à Puente la Reina, nous avons échangé nos numéros pour ne pas nous perdre de vue par la suite (pour ma part, je ne me voyais pas poursuivre mon chemin par la suite sans, mais je ne peux pas tout vous raconter ici 😊). Nous savions tous les trois que Logroño constituait le terminus de notre chemin, puisque je devais poursuivre ma route jusqu’à Návarrete, Adriana jusqu’à Nájera (soit l’étape « classique »), et Adão encore plus loin, jusqu’à Azofra.

La vie à l’auberge : Ce jour-là, je n’ai pas encore mangé, mais je ne ressens pas complètement les effets de la fatigue. La météo, fraîche, venteuse et humide, m’est toujours plus favorable que la chaleur, et le profil de l’étape, en faux plat descendant surtout depuis Viana. Il est normal pour un prêtre de loger à l’auberge Santiago Apóstol (l’apôtre Saint-Jacques) et, en m’accompagnant, il ne trouve effectivement pas de difficulté à trouver un lit. Comme une chambre seulement nous est affectée, et qu’elle est loin d’être complète, nous en profitons pour dormir de nouveau l’un à proximité de l’autre, pour ne pas dire en bas bien sûr, et juste en face l’un de l’autre.

Nous nous préparons paisiblement tous les deux pour le soir. Adão passe un appel au Portugal, et je comprends alors qu’il s’efforce bien en notre présence d’essayer de parler espagnol le plus possible, puisque sans prêter une oreille indiscrète à la conversation, je ne comprends plus rien ! Je réserve une couchette à l’auberge de Nájera, avec un accueil téléphonique assez curieux et familier (le réel ne le sera pas vraiment deux jours plus tard…) et, alors que j’entreprends de prendre ma douche et de laver mon linge, je m’aperçois que le savon est resté à l’auberge de Los Arcos. Il n’y a pas là de solution de rechange même si la Jamaïcaine (que j’avais suivie un temps à Pampelune) est là et qu’elle utilise un savon à l’extérieur. Il y a un rayon d’un soleil toujours frais.

Je réfléchis quelques minutes et j’inverse mon programme personnel en décidant de me rendre au supermarché, ce que je fais généralement sur le chemin en fin d’après-midi. Au vu de la température et du vent, qui rabaisse encore ce jour-là la température ressentie, je dois renfiler mes chaussures de randonnée qui ont déjà bien travaillé, plutôt que de prendre les sandales de randonnée… Le magasin le plus proche (Día) est un peu à distance, mais se trouve dans la zone de l’auberge qu’Adriana a réservée. Alors j’en profite aussi pour prendre un peu mes repères. Là-bas, j’emporte le nécessaire pour le lendemain (que vais-je trouver à Návarrete ?) et j’opte pour une petite crème de douche à la mandarine, pour 1,40 €, qui devrait bien faire l’affaire pour la distance me restant à parcourir. Mon linge sera ainsi parfumé.

De retour à l’auberge, qui s’est un peu plus remplie sans déborder, j’en profite pour passer sous l’eau. L’auberge est particulière, puisqu’après la réception (très courtoise d’ailleurs ce jour-là), vous passez un couloir, une salle à manger / cuisine industrielle sans âme pour déboucher sur les deux chambres. Les sanitaires sont accessibles des deux côtés. Il n’y a pas de prise à chaque lit mais suffisamment de possibilités de charger, et si vous ne trouvez pas votre bonheur dans la chambre, il y a de quoi faire dans le vaste réfectoire.

Adão a profité du temps qui lui était donné pour visiter la cathédrale de Logroño (là aussi, ce n’est pas surprenant !) et il mémorise l’endroit. En fin d’après-midi, nous partons retrouver Adriana en repartant vers le pont et en prenant à l’est. Après quelques échanges, nous finissons par nous retrouver, et les degrés ne sont pas montés. Adriana a repéré que le quartier historique recélait quelques restaurants côtés, nous nous y rendons. Après quelques enseignes, nous rentrons finalement dans un restaurant qui ne propose uniquement que des plats par porciones, c’est-à-dire des portions réduites qui ne peuvent pas constituer à elles seules un plat. Il faut donc les combiner, mais également composer avec la proposition du jour car certaines portions et boissons se prennent ensemble. Je parviens relativement à caler ma faim, mais il manque quelque chose de sucré et le restaurant en question ne propose pas de dessert.

Nous partons donc pour une autre enseigne, et nous trouvons assez rapidement notre bonheur. Nous partageons là un chocolat avec des churros et nous profitons de l’instant pour immortaliser l’évènement car, alors que nous nous sommes rencontrés la veille à trois (et Adriana pour ma part sur l’Alto del Perdón trois jours plus tôt), la connexion entre nous, âmes latines, s’est rapidement installée. Nous savions que nous allions nous quitter là, que notre trio allait appartenir désormais au passé. Si je rentrais avec Adão à l’auberge, il allait forcément partir plus tôt que moi le lendemain matin pour effectuer l’étape avec Adriana. Depuis le départ en France il y a trois ans, et jusqu’à mon arrivée à Frómista, il n’y a pas eu et il n’y aura pas d’autre étape effectuée en trio. Sur le chemin, comme dans la vie, c’est un chiffre particulier. Souvent les paires s’assemblent et il y en a un des trois qui est laissé de côté. Ce jour-là, malgré nos origines et nos vies si différentes, jamais je n’ai ressenti de déconnexion entre nous. Nous étions partis à trois et nous sommes restés jusqu’à nous dire « Buen Camino », avec une affection particulière pour chacun d’entre nous. Ayant franchi la moitié du parcours, ayant connu la deuxième des trois grandes villes principales, je ressentais bien que je franchissais là une sorte de porte sur mon Camino personnel, une nouvelle porte Saint-Jacques à moi. Mais j’étais loin d’imaginer que le cœur en avait aussi rencontré un autre et que Compostelle allait me réserver, un peu plus tard, une surprise dont il est friand et dont il garde le secret ce soir-là.


De Los Arcos à Logroño, en passant par Torres del Río (Google Earth)


De Sansol / Torres del Río à Viana (Google Earth)


Vue sur Los Arcos depuis Logroño (Google Earth)


Profil de l'étape : Cette longue étape peut être divisée en trois parties, avec un premier tronçon de Los Arcos à Sansol et Torres del Río, deux villages séparés par la rivière Linares. Cette portion, assez rectiligne, ne présente pas de difficultés. Entre Torres del Río et Viana, le chemin adopte un profil plus vallonné. A Viana, la longueur du parcours commence à se faire sentir dans les jambes. La vue sur Logroño est alors dégagée et il faut conserver des forces pour terminer l'étape, où l'entrée dans la communauté autonome de La Rioja se fait en toute fin de parcours. 




Bohemian Rhapsody, pour les pèlerins

Par ici la suite ! 11ème étape : Logroño - Navarrete (12 km)

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