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Sur la route de Compostelle - France / Espagne à pied (2024) - 7ème étape : Pampelune - Puente la Reina (24 km)

Nous sommes le 13 avril et ce jour-là est mon jour de chance. Il me faudra un peu de temps pour le réaliser, même beaucoup peut-être ? Pourtant, la nuit a été assez courte. Au rez-de-ch aussée, le groupe de coréens a commencé à bouger, comme nous pouvions le prévoir, entre 5 et 6 heures du matin. L’ambiance qui règne ce matin dans l’auberge Jesús y María est particulière. Le son et la lumière, sans paroles à voix haute, montent progressivement. Si mon esprit est réveillé, mon corps ne l’est pas encore et je vais le laisser se mettre au diapason peu à peu. J’attends que la lumière soit suffisamment importante (à un moment donné, quelqu’un allume la lumière principale au rez-de-chaussée) pour défaire le drap housse et la taie d’oreiller qui m’avaient été remises la veille. Puis, je descends de la couchette et je ne reviendrai plus dans cet espace serré, qui n’est vraiment prévu que pour le sommeil.

Je prépare mes affaires pour la journée dans l’espace de passage à proximité et j’en profite pour prendre le petit-déjeuner avec les trois vendéens. Gabriel m’avait invité la veille, déjà parce que nous pensions alors ne plus nous revoir (le groupe va s’arrêter à Uterga alors que je poursuis ma route jusqu’à Puente la Reina), aussi pour une raison pratique : le beurre n’aura aucune chance de se conserver sous les 28°C prévus au cours de la journée. Pour un Français, qui dit beurre dit pain et j’ai dû composer la veille ce que j’allais manger le matin et emporter, de telle manière à être à la fois suffisamment rassasié et pas trop lourd pour partir. Le sac à dos, par ses espaces pratiques mais limités et par son poids vous pose cette contrainte en permanence. Nous nous saluons donc au départ.

Gabriel, qui à partir de là, connaît très bien le Camino pour l’avoir réalisé désormais en intégralité, m’avait informé de la difficulté de l’étape, et de l’ascension de l’Alto del Perdón, à 770 mètres d’altitude, après 13 kilomètres. En prévision d’un kilométrage total un peu plus important ce jour (24), de la chaleur annoncée et de la montée inévitable, je prends un peu plus de temps ce matin, toujours dans cet espace de passage, pour m’étirer, en particulier les bras. Puis, comme chaque matin, j’ai des fourmis dans les jambes, enfile mon sac et part seul. Enfin… toujours plus ou moins entouré de pèlerins. Les coréens sont partis depuis longtemps, mais, sur le coup de 7 h 30 environ, il reste encore bien du monde dans cette grande auberge. Je salue le personnel à la sortie qui attend visiblement que l’ancienne église se vide pour commencer les tâches ménagères. Ma préoccupation sur les premiers mètres, juste en-dessous la cathédrale, est de retrouver immédiatement la flèche jaune. Je n’ai le temps que la voir une fois, avant qu’une athlète jamaïcaine (le drapeau l’indique à coup sûr), visiblement déterminée, ne surgisse de la droite à dix mètres devant moi. J’ai trouvé ma flèche jaune (verte et noire) et mon nouvel objectif est de ne pas la perdre de vue, au moins jusqu’à la sortie de la ville. Je vais parvenir à suivre sa trace, du moins à distance, pendant peut-être un kilomètre, avant de la perdre de vue à un feu tricolore, probablement sur la Avenida del Ejército (Avenue de l’Armée). A défaut de pouvoir suivre le rythme militaire, je vais devoir obéir à l’ordre du feu et attendre les 90 secondes réglementaires car, même si le trafic ce samedi matin est des plus calmes, comme toujours en Espagne, l’avenue est large et cette situation me conseille d’attendre. Après tout je suis sorti du centre historique et, avec les petites coquilles posées au sol, j’ai peu de chances de perdre le chemin. Un Espagnol peut-être du coin m’aborde et me demande directement d’où je viens. Je mets la prononciation qu’il faut pour dire que je suis français et, comme la conversation est courte, il me dit que mon espagnol est très bon et qu’il ne pouvait pas le deviner. Pour le coup, mon jeu favori de me faire passer pour un local a fonctionné.


Les rues sont fraîches et calmes mais les pèlerins sont déjà en action
Pampelune - 13 avril 2024

Arrivent alors Gabriel, Françoise et Philippe, que j’avais laissé à l’auberge quelques minutes auparavant. Nous passons devant la citadelle de Pampelune, comme quelques joggers, et Gabriel me raconte une anecdote du chemin devant un monument, peut-être une église, où il y a la statue de Saint-Jacques avec la coquille du même nom. Il y a une douzaine d’années, il avait croisé là un groupe d’israéliens en voyage organisé, à qui on avait vendu le Camino comme une randonnée au long cours sans histoire. Ils ne savaient pas qui était Saint-Jacques, quelle avait été la mission de l’apôtre, pourquoi il était arrivé là, ni même qu’il était juif… Les coréens en savaient-ils plus ? Je ne le saurai jamais, je pourrai seulement l’extrapoler si je pose la question à un autre groupe plus tard. Gabriel retrouve ensuite sa famille, et bien lancé vers le sud-ouest, je continue cette partie seul jusqu’à l’Université de Navarre et son parc botanique. Je me dis que les étudiants ont de la chance de pouvoir vivre et étudier dans ce cadre paisible et je me replonge une vingtaine d’années en arrière, déjà. C’est aussi à cet endroit que je me rends vraiment compte de ce qui m’attend, car le mont Erreniega, avec ses 1 036 mètres d’altitude, se dresse comme une barrière en face. A ce moment-là, je n’aperçois pas les statues métalliques érigées à l’effigie des pèlerins et qui marquent le sommet de l’Alto del Perdón, notre point culminant pour la journée. Je vais les chercher du regard pendant une bonne heure, avant de les apercevoir quelque part dans l’ascension.

La pèlerine jamaïcaine est loin devant (nous ferons un chassé-croisé toute la journée sans que je ne puisse réellement l’approcher, visiblement désireuse quoi qu’il arrive de poursuivre vraiment seule). La file des pèlerins s’accentue, j’entends parler plusieurs langues, surtout de l’anglais quand même. Nous quittons Pampelune et nous nous dirigeons donc vers la montagne, et en premier vers la ville périurbaine de Cizur Menor. Je suis le rythme de pèlerins plus âgés mais, physiquement, je ne suis pas à l’aise avec le rythme adopté à ce moment-là : il est trop lent, trop monocorde. Tout est trop sage. Même une famille de canards traverse la route sur un passage piéton, bien respecté par les automobilistes, probablement pour aller patauger dans la mare à proximité. Encore une victoire de Canard.

Pour en revenir aux pèlerins, de plus, il y a là une file de petits groupes, souvent de deux ou trois personnes, donc les conversations vont bon train à ce moment-là et maintiennent un pas plutôt lent. Je réfléchis un temps, sent le soleil qui lui a entamé sa montée depuis déjà plus d’une heure et je sais que, si je veux éviter de souffrir de la chaleur, je n’ai qu’une seule option : accélérer et dépasser toute la file dont j’ignore sa longueur. Pourtant, à ce moment-là, il reste encore près de vingt kilomètres à parcourir. Je parviens à trouver le bon rythme. Je retrouve une dernière fois les vendéens plus haut et nous conversons rapidement. Je profite des micro-arrêts de chaque petit groupe pour poursuivre une marche rapide. Je dépasse probablement une cinquantaine de personnes jusqu’à me retrouver près de la tête d’une file qui était bien étirée.

Alto del Perdón, à cœur ouvert

Je traverse la petite ville de Cizur Menor et rejoint un groupe de petites pèlerines asiatiques au chapeau blanc, et coupe là mon effort. Près de la sortie de la ville, nous nous arrêtons devant une nouvelle flèche jaune, plantée à un carrefour et n’indiquant pas clairement la direction. Un Espagnol passe à ce moment-là en voiture et nous la montre, précisant au passage que la flèche est mal positionnée. Jusque-là, nous n’avions pas rencontré de problème particulier sur cette étape. Même s’il est plus rapide, le rythme de ces pèlerines ne me convient pas davantage et mon corps, bien plus réveillé que trois heures auparavant, veut se battre avec cette étape. Alors je pars seul dans la montée, que je sais irrégulière, cette fois avec le point de passage au sommet en ligne de mire. Au bout d’une ligne droite, sur une petite butte à la sortie du chemin, je rejoins un petit groupe de trois personnes parties plus tôt. Je me retourne une dernière fois, le temps d’une pause pour me désaltérer, le temps d’une photo pour mesurer le chemin accompli, et je laisse passer ces trois personnes. Je ne les ai pas encore rencontrées.


Erreniaga, le point culminant de la Montagne du Pardon
13 avril 2024

Quelques minutes s’écoulent. Devant moi, les champs de la Sierra del Perdón s’étalent jusqu’à la ligne de crête, couverte d’éoliennes. Le silence est reposant et je peux vraiment me confronter au chemin. C’est un instant de pure expression du corps, moment que je recherche en général toujours une fois quelle que soit la journée. En forme et encore frais à ce moment-là, je finis par rejoindre le groupe des trois pèlerins qui m’avait dépassé au niveau de la petite butte. Entre eux, ils parlent une langue que je n’avais encore entendue jusque-là dans la bouche des pèlerins depuis que j’avais laissé Alejandro à Saint-Jean-Pied-de-Port. Alors, à l’entendre, je m’invite dans la conversation. Il y a un couple de barcelonais, peut-être dans la soixantaine, dont je ne me rappelle plus les prénoms. Enfin, alors que l’influence basque dans l’architecture et dans les affichages diminue sensiblement, je peux de nouveau parler en espagnol, autrement que pour réserver une couchette, faire les courses ou dîner au restaurant. Je vais pouvoir de nouveau rentrer dans une conversation à bâtons rompues, et il a fallu que je dépasse Pampelune pour cela. Inévitablement, le couple finit par s’occuper des affaires de couple et je me retrouve donc avec la troisième personne. Au départ, à entendre la conversation du groupe, je pense qu’elle s’appelle Andrea mais non, son prénom est Adriana. Nous poursuivons l’ascension vers le sommet, passant le village de Zariquiegui. Avant d’écrire ces lignes, je me suis assez longtemps demandé comment j’allais vous raconter ce moment-là, à la fois sur ce que je voulais délivrer et conserver, et j’ai choisi d’exprimer mon ressenti.

Adriana porte sur son sac à dos le petit drapeau du Mexique. Malgré quatre mois et demi passés en Amérique Latine auparavant, et neuf mois quasiment en continu en Espagne, en volontariat, je n’ai pas le souvenir d’avoir rencontré beaucoup de mexicains dans ma vie. Je ne me souviens que de Pilar, sœur salésienne originaire du Chiapas. Cet aspect éveille ma curiosité. Alors que nous grimpons sans nous arrêter, je sais que je suis en présence de quelqu’un qui me renvoie énormément d’énergie, faite d’un mélange subtil de force et de sensibilité. Je le vois et je le ressens pleinement à ce moment-là, je reçois un souffle de vie mais je n’en ai pas pleinement conscience dans l’instant. Nous nous arrêtons à une sorte d’aire de repos, un peu avant le sommet, pour reprendre des forces. Adriana attend Magalí, une autre amie mexicaine qu’elle a rencontré sur le chemin, et d’autres pèlerins arrivent. Je fais la connaissance de Magalí, puis reprend ma marche en avant vers le sommet. J’ai encore de bonnes jambes à ce moment-là et je retrouve là-haut les fameuses statues des pèlerins, et aussi d’autres pèlerins, puis des cyclistes espagnols (visiblement le sommet est prisé), puis la Guardia Civil en patrouille, paisible. Alors que le soleil s’exprime pleinement, je profite du vent et des effets – relatifs – de l’altitude pour apprécier le panorama qui est le plus beau qui m’ait été donné à voir à cette hauteur. Tout le bassin de Pampelune et une partie de la chaîne des Pyrénées s’étend sous mes yeux, de l’autre côté s’étire un autre bassin tout aussi profond. Le sommet de l’Alto del Perdón est un espace multi-usage, à la fois pour les pèlerins, pour les cyclistes mais aussi pour la mémoire, eu égard aux menhirs disposés en souvenir des fusillés de la Guerre Civile.


Les pèlerins sur l'Alto del Perdón, à 770 mètres d'altitude
13 avril 2024

Après avoir goûté à l’instant, et de m’être satisfait d’avoir accéléré à la sortie de Pampelune pour éviter la chaleur là bien atténuée, je vais pour entreprendre les 10,3 km restants jusqu’à Puente la Reina – Gares (le nom basque), tel que l’indique le panneau. C’est alors qu’arrive René, le Californien, toujours en tête de café, celui que j’avais rencontré quelques jours plus tôt sur les dernières pentes du col d’Ibañeta. René me propose d’immortaliser le moment par un échange de clichés respectifs. Pour éviter de prendre le bain de foule (tous les pèlerins que j’ai dépassés en début d’étape finissent par arriver au sommet eux aussi), j’entreprends la descente, qui, d’emblée, affiche des pourcentages plutôt sévères. Las, j’avais oublié ce détail. Zubiri me revient alors rapidement en mémoire. Contrairement au plateau pyrénéen, la piste forestière ici n’est pas faite de stries incurvées qui obligent à choisir une direction périlleuse à suivre. Dans cette forêt sèche, type garrigue, le chemin est composé de poussière et de galets, surtout sur la partie haute de la descente. Irrémédiablement, presque à l’arrêt, désormais sous la chaleur, tous les pèlerins sans exception me dépassent, quels que soient leur âge et leur condition physique. Toutes les conditions sont réunies pour me mettre en difficulté sur cette portion périlleuse. Heureusement j’avais veillé à ne pas perdre ma lucidité dans la montée.

A cœur joie malgré les éléments

Je progresse donc très lentement, sachant qu’à tout moment le chemin pourrait s’arrêter en cas de pépin. J’aborde une partie moins caillouteuse, un peu moins pentue. Magalí, la soixantaine, est à la course, se retourne et me dit qu’il faut descendre en zigzag. Bonne idée effectivement, mais peu souple, je ne parviens pas du tout à m’adapter à son style et je dois me résoudre à descendre en avant. C’est très contraignant pour les pieds puisque ceux-ci viennent buter contre la partie avant de la chaussure, et de plus, la distance commence à grimper et mes pieds commencent à chauffer. Adriana me rattrape à son tour sur la partie basse de la descente et est tout à sa joie en me retrouvant, d’autant plus qu’elle est convaincue que je suis… Magalí. Mais je ne le saurai que plus tard, et sur l’instant je suis plutôt convaincu qu’elle est tout heureuse de me retrouver ! Adriana ne descend pas très vite non plus, tout de même plus vite que moi et comme nous en terminons bientôt avec la difficulté du jour, je pense cette fois accrocher le bon train lorsque nous sortons complètement de la forêt. Après une pause fraîcheur, nous passons le village d’Uterga, où j’ai une pensée pour les trois vendéens qui s’arrêteront là plus tard, puis celui de Muruzábal. La chaleur se fait désormais bien sentir et je recherche le point de chute final, me remémorant le point de vue de l’Alto del Perdón, donnant sur Puente la Reina, mais avec plusieurs villages à proximité. Je pensais là-haut que Puente la Reina, qui compte environ 3 000 habitants, serait le village de visu le plus dense et je m’étais trompé. Je vais faire la même erreur d’orientation, décidément une tare chez moi, mais sans conséquence, sur la plaine, à la vue du village d’Obanos, qui ne compte que 900 habitants mais tout de même assez étendu.


L'église d'Obanos
13 avril 2024

Dans le doute, Adriana consulte l’application Gronze (je ne m’y suis toujours pas mis !), corrige l’erreur en mentionnant même le nombre d’hectomètres qu’il reste à accomplir avant l’arrivée à Puente la Reina. Je lui fais remarquer que j’ai trouvé en elle quelqu’un de plus « carré » que moi, ce que je trouve très drôle, d’autant plus que le kilométrage varie… Il change en fonction de la source de l’information mais surtout les auberges peuvent se trouver aussi bien à l’entrée des villages comme à la sortie – sans parler de grandes villes comme Pampelune – et la distance s’en trouve affectée d’autant. Nous nous arrêtons pour une nouvelle pause fraîcheur à Obanos alors que la chaleur commence à nous fatiguer autant l’un que l’autre. J’en profite pour observer le village et je me dis que le Pays Basque est définitivement derrière. Il reste encore quatre longs kilomètres à parcourir pour arriver jusqu’à Puente la Reina et nous sommes seuls, tous les deux, dans ce paysage particulier, où les champs ont un peu laissé la place au bitume et aux lotissements. Je plaisante en disant que la reine de Puente la Reina a construit tous les ponts, même des minuscules passerelles sur des égouts alors qu’il s’agit en fait du fameux pont médiéval sur l’Arga, la même rivière que nous avions traversée déjà à Zubiri, et déjà après une descente périlleuse. Il y a même un pont routier, où nous passons dessous, et nous rions de deux vieux matelas usés déposés là, où nous pourrions dormir chacun. En réalité, nous sommes fatigués et nous voulons surtout arriver à notre auberge, et chaque objet rencontré qui pourrait nous faire penser à l’arrivée est une occasion de se moquer de l’endroit et de certains passages qui, comme en France, font partie de l’envers du décor du chemin. Un mini no man’s land oublié, pas encore un terrain de squat, là où beaucoup de messages, parfois politiques, sont laissés et qui font aussi partie de la vie. Mais, au-delà de mon humour parfois dérisoire et souvent taquin, d’une météo vraiment espagnole avec son soleil éclatant et la chaleur qui va avec, d’un décor là poussiéreux et finalement quelconque, je vis le moment comme un délice et je ne veux pas perdre une miette de cette étape jusqu’à l’auberge. A ce moment-là, je ressens profondément que j’ai de la chance d’être en si belle et si bonne compagnie et je veux profiter de l’instant jusqu’au dessert. En à peu près deux heures, nos histoires respectives ont eu le temps de se rencontrer et il y a eu une connexion particulière entre nous. Les accroches dans les rencontres sont souvent inexplicables. Un affect se crée envers certaines personnes, une énergie vitale se transmet bien au-delà des points d’intérêt, de l’histoire de chacun, de sa nationalité, même de son âge. C’est aussi en cela que le chemin est un formidable terrain de rencontres, nombreux sont les pèlerins qui établiront cette connexion, ce « feeling » alors qu’ils ne se connaissaient pas au départ.

Après un passage sur une zone de transition entre Obanos et Puente la Reina, nous arrivons finalement à destination mais pour le pont qui a donné son nom au bourg, il faudra attendre le lendemain.

La vie à l’auberge : Je n’avais que le nom de l’auberge en tête et je savais qu’Adriana logeait ailleurs. Nous arrivons en face du collège des Pères Réparateurs (!), mais je ne sais pas si l’auberge est attenante à l’établissement scolaire. Adriana m’a guidé jusque-là, et nous nous saluons avant de nous quitter. Elle s’est assurée de me laisser au bon endroit, et j’ai vraiment apprécié cette attention qu’elle a eu pour moi. En fait, je suis juste à l’entrée du bourg. Je viens de terminer mon « dessert » mais la journée n’est pas terminée, d’autant que je n’ai pas encore mangé depuis le petit-déjeuner ! Je frappe à une première porte, discrète, et je n’ai pas de réponse. Je reviens vers l’entrée principale, plus imposante, et n’ai pas d’autre choix que de sonner à la porte. Une personne m’accueille, me reconnaît immédiatement en tant que pèlerin (un sac à dos de 50 litres trahit vite ma condition), et me guide jusqu’à l’auberge qui est en réalité au coin de la rue !

A cette heure-ci, environ 15 heures, elle est bien ouverte. Je ne suis pas le premier de la file mais peu de gens attendent avant moi. Une personne de couleur nous accueille, et manie visiblement aussi bien l’anglais, l’espagnol que le français. Hésitant, je finis par lui demander d’où il provient, question qui visiblement taraudait d’autres pèlerins et il me répond qu’il est coréen ! Je lui dis que c’est une bonne réponse, sachant que ce n’est pas la réponse que j’attendais mais après tout, chacun est libre de répondre ce qu’il veut à cette question qui pourrait apparaître comme intrusive, surtout à un employé, et qui n’a pas la même couleur de peau d’autant plus. Le fait que ce soit une question majeure du chemin m’a fait franchir le pas de l’hésitation. Finalement, la rumeur a couru que cette personne était congolaise. En tout cas, il semble être habitué à cette fameuse question et n’en a pas tenu rigueur. L’accueil est en tout cas très agréable et ce monsieur m’indique à la fois ma chambre et mon lit. Je suis une nouvelle fois en hauteur et dans une chambre remplie de coréens, où tous ont déjà déposé largement leurs affaires. Cette fois, je ne pourrai pas déposer mon sac dans la chambre et trouve de nouveau un endroit propice, juste devant le meuble à chaussures ! Je sais que je ne pourrai pas y étaler mes affaires et je vais donc veiller pour le coup à prendre le minimum de place possible, d’autant qu’il s’agit d’un nouveau lieu de passage, comme à Pampelune, mais beaucoup plus étroit.

Comme de coutume désormais, je passe au triptyque douche / linge à laver à la main / réservation de l’auberge (Los Arcos). Il y a suffisamment de douches pour tout le monde mais peut-être pas assez d’eau chaude. L’auberge est assez ancienne et la température varie sous le pommeau. Il y a un bel espace extérieur pour étendre le linge mais l’étendage est déjà bien occupé. Il est très difficile d’arriver avant les coréens car ils partent très tôt (parfois dès 5 h 30), sont remarquablement organisés pour toute la journée, que ce soit sur le chemin comme dans la ville et à l’auberge et dont la tendance est, comme moi, de réserver si possible l’auberge la moins chère. Ils se débrouillent très bien, à condition d’être en groupe, pour toutes les réservations et pour tous les aspects alimentaires et logistiques. Sur les soixante couchettes que compte l’auberge, cinquante sont occupées par les coréens.

Le triptyque est réglé puisque j’ai pu réserver la couchette 48 heures plus tard à La Casa de Austria de Los Arcos, en appelant directement l’établissement. Je profite de la place laissée pour le moment dans la salle à manger pour me restaurer un peu et j’attends ensuite un peu que la chaleur baisse pour découvrir ce village et partir à la recherche de ce fameux pont. Ce n’est pas un objectif majeur, je tombe sur le pont routier (!) et si mes souvenirs sont bons, je recroise un temps Adriana (et Magalí) … afin de reprendre un peu de dessert savoureux, car j’avais bien l’intention secrète de revoir la personne avec qui j’avais marché ce jour et qui ne m’avait pas laissé insensible ! J’hésite entre partir au supermarché et manger au restaurant. En passant par la Calle Mayor (la rue principale), je croise Daniela (que j’avais vue à Burguete) et Gerd. Je n’ai pas le souvenir aujourd’hui d’avoir échangé avec eux auparavant sur le chemin mais c’est une certitude, puisque je vais finalement partager le repas du soir avec eux (une envie de pizza assez irrépressible sur le moment). Ce duo allemand, qui compte tenu de l’âge pourrait être un duo père-fille (j’y reviendrai plus tard), s’est rencontré tôt sur le chemin. Daniela me raconte ce soir que le fameux « feeling » entre eux était bon et ils ont choisi de voyager ensemble, c’est-à-dire de partager tout leur chemin à deux, le moindre mètre effectué et bien sûr les mêmes auberges. Ces deux personnes m’ont aussi touché humainement et ils font aussi partie des plus belles rencontres que j’ai effectuées à ce jour, partie française incluse, c’est-à-dire sur les 909 kilomètres de mon chemin. Au-delà des histoires personnelles parfois douloureuses, que je ne peux pas toujours publiquement raconter, le ressenti le plus fort que je ressens à leur contact est la simplicité et la sincérité. Nous échangeons sur le chemin, sur les étapes effectuées et celles à venir, les difficultés rencontrées, l’état de forme varié et les conseils à apporter à chacun. La pizza est copieuse, avec une pâte épaisse, un fromage qui l’est tout autant et elle me restera un peu sur le ventre me rappelant - un peu par ses proportions mais bien meilleure par le goût - la pizza inoubliable parce que totalement oubliable de Lima. Gerd vient de Wolfsburg et Daniela de Bavière, et comme de coutume en Espagne, un match de football est diffusé. Lorsque l’équipe locale ne joue pas (Osasuna ?), c’est toujours soit le FC Barcelone ou le Real Madrid qui l’est, et ce soir-là c’est le tour des Merengues. Nous parlons sport et Gerd, né en 1957, fait le lien avec ma ville d’origine, Saint-Etienne. Il ne parle pas très bien anglais bien que s’efforçant au possible, il passe donc si nécessaire par le traducteur ou par Daniela et, souriant, me montre son téléphone qui a traduit ses deux mots tout simples : « le vert ». Il se souvient de la finale de la Coupe d’Europe des Clubs Champions de 1976, qui opposait donc le Bayern Munich à l’ASSE. Une époque aujourd’hui bien lointaine, que je n’ai même pas connue, mais l’instant est émouvant.

L’heure est venue de nous saluer, tout en sachant que probablement nous allons nous revoir encore sur le chemin. Daniela projette d’aller jusqu’au bout, Gerd doit se rendre à León et quant à moi, j’ai encore douze étapes à vivre jusqu’à Frómista. Je rentre à la nuit tombée à l’auberge, toujours ouverte pour l’heure, et découvre que la salle à manger est pleine de convives mais que visiblement les plats sont passés. Je cherche un endroit paisible pour recharger le téléphone (il n’y a pas de prise disponible dans la chambre) et je dois me résoudre à utiliser la seule prise disponible, en face d’un groupe de pèlerins dont j’ignore l’origine. Je dois switcher une nouvelle fois de langue pour communiquer, et retrouver l’espagnol pour comprendre et converser avec Sergio (un Espagnol) et deux Mexicains dans la cinquantaine. Nous parlons plutôt de migrations internationales, et l’échange est intéressant entre nous, Européens, qui traversons la frontière en traversant un pont, et les deux Américains qui évoquent les difficultés (passage de la frontière avec les Etats-Unis, mexicains qui vont travailler là-bas pour ramener de l’argent pour la famille, trafic de drogue et insécurité notamment) et richesses de leur pays (paysages très différents, cultures, histoire des civilisations, tourisme) – sans surprise de notre point de vue - tout en parlant aussi du Salvador qui, grâce à une politique présidentielle efficace, s’est bien relevé d’années très difficiles. Leur discours confirme complètement celui d’Adriana dans la journée.

La nuit avance. Il est temps de rejoindre ma couchette (litera) pour (tenter de) dormir. Il y a déjà des ronflements coréens. Vais-je trouver le sommeil ? Nous sommes le 13, c’est mon jour de chance.


De Pampelune à l'Alto del Perdón (Google Earth)


De l'Alto del Perdón à Puente la Reina (Google Earth)


La montagne du Pardon (Google Earth)


Puente la Reina et la montagne du Pardon (Google Earth)


Profil de l'étape : Cette étape, qui met toujours le cap vers le sud-ouest, relativement longue, présente quatre tronçons particuliers. Le premier relie Pampelune à Zizur Mayor, en légère descente. La sortie de Pampelune n'est pas compliquée, plutôt agréable, jusqu'à traverser la petite ville de Zizur Mayor, complètement résidentielle. A partir de là s'étend l'ascension jusqu'à l'Alto del Perdón, passage emblématique du Camino Francés. La montée est progressive et assez irrégulière, offrant des points de vue à tous moments sur la ville de Pampelune, et au sommet, un panorama somptueux sur une bonne partie de la Navarre et de la chaîne des Pyrénées. La descente, difficile ensuite, caillouteuse, peut s'avérer problématique en cas de pluie jusqu'à Uterga. Enfin, la dernière partie propose une découverte de villages intéressants jusqu'à Puente la Reina, annonçant ainsi la suite. 




Pampelune, à l'Université de Navarre

Commentaires

  1. Una etapa maravillosa, aún recuerdo mis gritos para que me esperarás abajo. Desde el primer momento sentí una fuerte conexión. Me gustó caminar, platicar, escuchar y sonreír contigo. Te quise desde el primer día

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