Sur la route de Compostelle - France / Espagne à pied (2024) - 2ème étape : Ostabat - Saint-Jean-Pied-de-Port (23 km)
Comme la veille, j’ai mis quelques dizaines de minutes à trouver le sommeil. Mais je suis tout de même arrivé à prendre le train. Je me réveille assez tôt, mais tout de même plus tard que mes trois compagnons de chambre. Je les entends s’agiter, ils sont déjà dans la fin de leur préparation. Ils respectent le silence, et je n’entends que les bruits des fermetures éclair, des sacs plastiques et des pas. Ils quittent la chambre rapidement, n’hésitant pas pour Alejandro à emporter le sac de couchage encore défait à l’extérieur. Je peux les comprendre, il y a quelque chose de limitant à ranger ses affaires sans pouvoir voir ni trop faire de bruit, par respect pour les personnes encore alitées. J’effectuerai d’ailleurs la même opération en sens inverse plus tard en Espagne.
Je ne les entends pas partir. Nous ne nous sommes pas vraiment dit au revoir, en raison des heures de sommeil décalées de chacun. Et je sais que je ne ferai pas route avec eux. De mon côté, je suis aussi limité par le manque de lumière naturelle. Il est presque trop tôt, et à l’inverse du trio franco-espagnol, je dispose d’une réservation pour le soir à Saint-Jean-Pied-de-Port. Je n’ai donc que l’étape à m’occuper. Je range ce que je peux ranger (la lumière est bien trop faible et il n’y a qu’une seule fenêtre dans cette chambre obscure). Je pars prendre un petit-déjeuner pour profiter d’une lumière normale dans la cuisine, cette fois tiré du sac avec les quelques pains au lait qu’il me reste et un thé (!) pour donner un peu de goût à l’eau.
Une fois remonté dans ma chambre, je ne tarde pas dès que les premiers rayons de soleil font leur apparition franche, vers 8 heures. Je quitte donc l’endroit silencieux, profite de la fraîcheur matinale et d’un grand ciel bleu pour démarrer d’entrée de jeu par une côte raide. Celle-ci grimpe tout de suite dans le village d’Ostabat et s’arrête finalement assez rapidement. Elle m’a donné un indicateur sur la manière dont mon corps répond aujourd’hui, et il me renvoie des signaux sans alerte. La commune d’Ostabat-Asme est étendue mais le village est tout petit. Je profite de la sortie du village pour observer l’environnement et les contreforts pyrénéens me font face tout de suite en face. La vision du chemin lancé en ligne droite, entouré de barbelés et menant dans la forêt me fait un peu penser à Jurassic Park. Mais je sais qu’il n’y aura pas de dinosaure. La côte n’a pas duré, elle laisse place à une piste assez large et je pénètre sereinement dans la forêt. J’en sors finalement assez rapidement. Une joggeuse croise un pèlerin, et après avoir entendu le traditionnel « Bon Chemin », je le suis à distance. Après deux cents mètres environ, je me rends compte qu’il est en train de remonter la vallée et j’ai la sensation de revenir sur mes pas. Ai-je pris la bonne direction ? Pour en avoir le cœur net, je consulte le GPS. Mon intuition était la bonne. Demi-tour. Ce sera la seule fois en France où je devrais avoir recours à la technologie.
Le GR 65 va bientôt rentrer dans la forêt, il fait encore frais
Kontxunenea (Ostabat-Asme) - 8 avril 2024
Après un bon premier kilomètre, je me retrouve une première fois sur la D 933, qui relie notamment Saint-Palais à Saint-Jean-Pied-de-Port. En la longeant sur quelques hectomètres, j’ai la sensation de rentrer véritablement sur Compostelle. C’est difficile à expliquer, mais je côtoie là de près le quotidien. Il y a cette sensation d’être près d’une route qui fait partie de la vie de tous les jours ici et de me déplacer différemment, plus lentement, de me retrouver là sur un chemin spécial qui n’a pas de raison d’être autrement. Je retrouve là aussi le bruit que j’avais laissé deux jours plus tôt à Bayonne. Je suis seul, même si certaines personnes profitent du chemin pour faire du jogging. A ce moment-là, j’apprécie simplement la solitude et la plénitude de l’instant. Je mesure pleinement le fait qu’il s’agisse d’une étape-test, puisque le kilométrage est dans la moyenne de ce que je me suis fixé comme objectif sur dix-neuf jours, sans jour d’arrêt.
Un premier col
Le chemin évite le village de Larceveau pour rester parallèle à la route, du moins comme il le peut. Ici, la route est simple pour moi. Je sais que je poursuis quoi qu’il arrive vers le sud-ouest. Je passe le dernier hameau de Pagolategia et là, je commence à ressentir les effets combinés de la chaleur montante, surtout du soleil, et du poids du sac à la deuxième bosse de la journée. Contrairement à la sortie d’Ostabat, mon corps est déjà entré en effort et en sueur. Une première pause ici ferait du bien. Mais le sentier, parti dans un pré au-dessus d’un troupeau de moutons, ne m’en laisse pas l’opportunité. Je décide donc de poursuivre sans m’arrêter pour le moment. Cette fois, à hauteur d’Utziate, hameau qui se trouve en contrebas, le chemin se confond avec la D 933. Pour moi, c’est une première épreuve de force. Le trafic sur la route, large, avec ses camions, m’impose un bruit que je dois supporter. Je dois bien sûr rester vigilant, continuer mon ascension, et arriver au sommet de ce qui ressemble à un premier col. A cet instant-là, je ne connais que vaguement ma position. Je repère au relief ce qu’il me reste à gravir et, quoi qu’il en soit, je m’arrêterai au sommet.
Après plusieurs dizaines de minutes où seul le corps s’exprime, je finis par atteindre la Croix de Galtzetaburua, à 263 mètres d’altitude, soit 105 mètres d’ascension depuis Etxeleta. J’ai vraiment l’impression d’avoir gravi un col à pied, et ma condition physique à ce moment-là ne me rassure pas complètement, non pas par rapport à l’étape, mais surtout par rapport à celle qui m’attend le lendemain. Je sens que le corps chauffe et que les pieds commencent à frotter. A cet endroit-là, un arrêt est nécessaire, pour m’alimenter, m’hydrater, retirer les chaussures et laisser sécher les pieds. J’observe la croix sur la droite et j’hésite à m’arrêter là car l’espace est réduit et l’abri bien sommaire. Il faudrait presque que je me pose sur un talus minuscule. Au sommet du col, car il s’agit bien d’un col, le soleil est certes bien présent mais plus encore, le vent, très frais, souffle probablement à environ 50 km/h. Si je n’ai pas d’abri, je vais me refroidir rapidement dû aux courants d’air et cette sensation couplée à la transpiration ne fait jamais bon ménage.
Finalement, sur la gauche, il y a une sorte de petite table de pierre qui me servira pour m’arrêter, déposer mon sac et reprendre des forces. A ce moment-là, c’était indispensable. Il n’y avait pas eu de banc ou d’endroit pour s’arrêter convenablement jusque-là. La force du vent m’empêche de tenir ma casquette sereinement sur la tête, et je fais le choix de la ranger dans le sac, malgré les kilomètres ensoleillés qui s’annoncent… Je marque presque une demi-heure d’arrêt et je repars pour environ neuf kilomètres. Je ressens vraiment à ce moment-là la valeur du test et de la fatigue, d’autant plus que j’ai dépassé depuis peu la moitié du parcours.
J’aborde donc psychologiquement ici la deuxième partie de l’étape. Le chemin quitte enfin la D 933 pour entrer sur la D 522 et descendre légèrement sur Gamarthé. Je traverse le village sans peine, observe maintenant scrupuleusement les moindres indications kilométriques sur le chemin et essaie de me projeter sur l’arrivée, que je commence à rechercher à partir de là. Je retrouve une nouvelle fois la D 933, pour une centaine de mètres seulement et, après un nouveau virage à gauche, je ne la longerai définitivement plus. Le chemin file vers le hameau de Bizkaia, fait face directement à la montagne basque arrondie, et poursuit ensuit sa route entre petites montées et descentes, mais tout de même assez éprouvantes. Un peu entamé physiquement, j’arrive au niveau d’Harizpea et je recherche assez désespérément un deuxième endroit pour m’arrêter, pour m’hydrater de nouveau, mais ce chemin, sur ce tronçon pourtant réputé parmi les pèlerins de Compostelle, ne propose toujours pas d’arrêt marqué. Il me reste un peu plus de sept kilomètres à parcourir et je poursuis ma route, toujours sans visibilité claire sur la fin de l’étape, en entamant une nouvelle côte raide à Othagaine. La montée est franche, il me reste encore de l’énergie et à pied comme à vélo, je préfère toujours ce relief accidenté, ces changements de rythme brutaux, à un long faux plat qui est beaucoup plus usant pour ma morphologie. Au sommet de cette bosse, je ne vois toujours pas de trace d’un banc à l’horizon mais les Pyrénées s’offrent cette fois complètement à moi. Bien sûr ce ne sont que les Pyrénées Atlantiques, je n’ai pas l’Aneto en face, mais tout de même des sommets qui se trouvent à plus de 1 300 mètres d’altitude, et dont la montée est progressive. L’impression de grandeur est augmentée par le fait de la proximité avec le relief et surtout, je me dis que deux jours plus tard, je devrais passer à proximité, dans ces hauteurs. Avec la vision que j’ai sous les yeux, et malgré mon expérience du chemin et de la moyenne montagne, cette pensée relève à ce moment-là plutôt du surréalisme…
Une arrivée cachée
L’autre nouvelle de ce point de vue est que je connais le kilométrage restant jusqu’à Saint-Jean-Pied-de-Port, soit 7 100 mètres, et qu’en contrebas se trouve le village de Bussunarits, donc un potentiel point d’arrêt pour moi. Car j’ai toujours besoin d’une deuxième pause. Je descends donc prudemment sur la petite route, croise quelques tracteurs et randonneurs de la journée en sens inverse, et après plusieurs bons hectomètres, je rentre dans ce village qui est établi tout au long de la route. Il y a là un peu d’activité, ou tout du moins des personnes qui rentrent ou sortent de leur domicile, mais toujours pas d’endroit où réellement me poser, hormis à rentrer inévitablement, même pour un mètre ou deux, dans une propriété. Et je ressors du village rapidement, un peu déçu…
Bussunarits et les Pyrénées
8 avril 2024
Enfin, à la sortie du village, près du château d’Aphat, il y a un arrêt de bus et une borne fontaine qui suffiront à mon bonheur. Enfin, surtout pour la borne fontaine où je vais épancher ma soif sans demander mon reste. Quant à l’arrêt de bus, il est exposé plein soleil, avec un banc minuscule et le site n’est pas assez discret pour prendre une véritable pause. Las, je ne m’attarde pas et poursuit donc toujours plus en avant mon chemin. Je ne m’attarde pas non plus sur le passage sur le ruisseau Aphateko, pourtant assez bien aménagé mais pas suffisamment pour un arrêt de pèlerin. Bien sûr, après le passage d’un pont sur un court d’eau, il faut souvent remonter. C’est le cas pour un nouveau dénivelé d’une dizaine de mètres et après un nouveau virage à gauche, une agglomération plus importante s’ouvre. Je sais que je dois passer par Saint-Jean-le-Vieux avant d’arriver à Saint-Jean-Pied-de-Port parce que c’est là que je projetais de m’arrêter initialement pour la nuit, dans le but d’éviter le flot de pèlerins au pied du col. Mais, au vu des tarifs pratiqués sur site, j’ai dû me résoudre à l’évidence.
C’est bien le village de Saint-Jean-le-Vieux que je commence à traverser. Avec 800 habitants au compteur, c’est sûr, il y aura bien une église centrale, donc une place, et donc des bancs. Je poursuis ma route, éprouvé physiquement par cette première vraie étape et, comme je le pressentais, je découvre bien cette place en début d’après-midi. Je vais pouvoir entamer mon régime quotidien pomme / barre de céréales chocolatée et, au soleil, avec un vent qui s’est bien calmé aussi, profiter de l’instant pour une nouvelle bonne demi-heure. D’autres pélerines sont là attablées à la terrasse du bar, il y a un hôtel qui pourrait servir de point d’arrêt mais, malgré un besoin de repos qui se fait sentir à cet instant, je sais qu’il me reste 3 500 mètres encore jusqu’à mon point de chute du jour. Il y a du passage à cet endroit où je profite pour aérer mes pieds et sécher un peu les chaussettes.
Les pèlerines s’en vont et je laisse quelques minutes s’écouler avant de leur emboîter le pas. A la sortie du village, je croise un paysan qui me parle du temps qu’il fait pour entamer la conversation. Il est avec un petit chien taille Jack Russell, et m’explique qu’il le sort tous les jours pour quelques kilomètres. Comme je le dis souvent, c’est le petit chien qui sort son maître. Comme je l’ai entendu souvent lorsque je rencontre quelqu’un « du coin », il y a une forme d’admiration à découvrir le pèlerin et son sac. C’est vrai que parcourir comme cela de longues distances sans carotte à la clé, chargé d’un barda d’une dizaine de kilos par tous les temps pourrait relever de la folie pour le commun des mortels. Mais je n’ai pas d’explication à la magie du chemin et à la joie intérieure indescriptible que je ressens une fois porteur de la coquille Saint-Jacques. Le corollaire à cette admiration est le renoncement personnel pour toutes les raisons possibles. Finalement, j’accorde plus d’importance à ce qu’il dit sur le temps qu’il fait : « Il paraît qu’on nous annonce du mauvais temps, mais la météo ici se trompe souvent. Enfin, tant qu’on a ce vent, on est tranquille. » Le conseil est porteur de sens. Car j’ai bien retrouvé le vent du début d’étape, un peu assagi tout de même, et, contrairement au ciel parfaitement dégagé du matin, les nuages ont fait leur apparition, même s’ils ne sont pas menaçants. Je poursuis donc ma route sans y penser mais, l’adage du vieux sage se vérifiera plus tard…
Rue de la Citadelle
Saint-Jean-Pied-de-Port - 8 avril 2024
Je ne vois toujours pas de trace de Saint-Jean-Pied-de-Port pour visualiser mentalement l’arrivée. Au vu de la distance qu’il me reste à parcourir, et de l’habitat que je vois dans cette vallée désormais plus large, j’en déduis qu’il y aura continuité. Je traverse une dernière fois la D 933, suis la rivière Laurhibar, relativement large, en ressentant bien que le moment que j’attends approche. Je vais rentrer progressivement dans Saint-Jean-Pied-de-Port bien qu’aucun panneau ne me l’annonce officiellement. Rien ne ressemble pour le moment à ce que j’ai vu à la télévision, à savoir cette ruelle peuplée d’auberges et la Nive en contrebas, si calme. Pire, une montée raide s’offre encore à moi et le chemin passe encore par là. J’ai retrouvé quelques forces mais il est temps que ça se termine. Soudain, au vu de la collégiale, des premiers touristes, des pèlerins, je comprends que j’arrive sur site. Je passe donc, assez ému, après 556 kilomètres effectués jusque-là, sous le porche de la porte Saint-Jacques, là où les pèlerins entraient au Moyen-Age dans cet endroit mythique. Je ne le sais pas encore, mais à partir de cet endroit précis, toute mon expérience du chemin va changer pour de bon. Je rentre vraiment cette fois sur le Camino.
La vie à l’auberge
Je passe le porche et immédiatement, sur la droite, à la première auberge, je vois à travers la vitre les trois jeunes que j’avais rencontrés à Saint-Palais. Ils sont en train de remplir des formalités administratives. Je ne communique qu’avec Alejandro, qui m’explique qu’ils sont arrivés là il y a à peu près une heure et que tout est déjà complet sur place. J’ai l’impression qu’ils n’iront pas plus loin, pour raisons professionnelles sans doute, alors que j’avais compris que leur chemin devait s’arrêter à Pampelune. Je le salue poliment et lui souhaite bonne route. A partir de là, je ne les reverrai plus. Ainsi s’achève cette première rencontre. Mais mon objectif est ailleurs. Je ne suis pas en retard, il est environ 14 h 30 et j’en profite pour découvrir un peu ce village si particulier. Il ressemble c’est vrai à ce que j’ai vu à la télévision. Mais il est beaucoup plus pentu que je ne l’imaginais ! A ce stade de l’étape, chaque pavé, chaque descente est une épreuve qu’il faut encaisser. Je laisse mes yeux divaguer et je suis surpris du nombre de touristes, notamment aux yeux bridés et de pèlerins, sans doute aussi nombreux les uns que les autres. L’anglais est clairement dominant. Ici le bureau d’accueil des pèlerins, bien ouvert mais pour le moment désert, là la boutique. Il règne une ambiance de station de montagne un peu luxueuse. Ce n’est pas l’ambiance que je préfère, un peu trop clinquante, d’autant que je sors d’une expérience jusqu’ici plutôt intimiste, et Saint-Palais puis Ostabat étaient de la même veine. Mais je garde un œil attentionné sur ce que je vois.
Ce n’est pas tout, il me faut aller me diriger vers l’auberge que j’ai réservée, le Chemin vers l’Etoile. Une autre auberge plus tard portera le même nom en Espagne ou presque. Pour la retrouver, il me faut passer la Nive, effectivement bien calme, passer la porte Notre-Dame de l’autre côté et j’y accède. La réception n’ouvre qu’à 16 heures, mais des indications invitent tout de même le pèlerin à déposer ses affaires en attendant. Il est à peine 15 heures, je réfléchis un instant puis décide d’attendre. Les courses attendront un peu plus tard.
J’en profite pour recharger un peu le téléphone, car je ne sais jamais ce dont je vais disposer le soir même. J’attends paisiblement dans la pièce de réception, qui est en fait un hall d’accueil en bas de l’escalier. Après quelques dizaines de minutes, un groupe de françaises d’un certain âge entre, puis une Américaine et un Japonais. Nous entamons la discussion et pour moi, l’anglais vient s’inviter dans mon esprit. Ce n’est que le début de ce qui deviendra la langue de communication majeure, que je vais largement utiliser tout au long du chemin, à l’exception de l’espagnol que j’ai toujours préféré lorsque c’est possible. Nous échangeons sur d’où nous venons et sur notre chemin à venir, souvent aussi nous échangeons notre prénom pour faire connaissance. Le Japonais en question est fasciné par l’endroit, il passe de l’autre côté du bureau et commence par déplier tous les… dépliants possibles. Comprend-il quelque chose ? Visiblement non.
Il est 16 heures désormais, nous sommes un petit groupe à attendre. Le réceptionniste arrive et prend en charge les Françaises en premier lieu. Il leur explique qu’il est là « pour leur prendre leur argent » et, intérieurement, je n’aime pas trop cette forme d’humour au vu de ce que je ressens sur l’endroit, certes beau mais volontairement un peu chic. Mais j’ai décidé depuis longtemps de prendre davantage les choses à la légère et de suivre avant tout le chemin que je veux vivre, tout en essayant d’être agréable et convivial avec les gens et surtout, de profiter de l’instant présent. Le chemin est pour cela une excellente thérapie d’humilité. Alors je réponds aussi par l’humour. Dans un imbroglio, le réceptionniste en profite pour me facturer le petit-déjeuner en plus mais compte tenu de ce que je vivrai le lendemain matin (je ne le sais pas encore), c’est un bon choix…
Une fois les formalités administratives complétées, je file directement à ma chambre et ne traîne pas en route au vu de l’affluence potentielle du lieu. Je sens bien que nous ne sommes que les premiers sur place.
Très rapidement, et sans sourciller, je passe aux sanitaires et opte pour un combiné douche / lavage du linge à la main. Le bloc sanitaire est rutilant, presque neuf, mais nous interdit de laver le linge ici. Je décide donc de le laver directement avec moi à la douche et de le mettre à sécher immédiatement dans la chambre. A priori il y a un étendage en bas vers la cuisine (de l’autre côté du couloir de réception), mais je ne me sens pas de descendre les étages et surtout, il y aurait des risques de mélange. L’espace n’est de toute façon pas complètement ouvert et la météo annoncée n’est pas plus rassurante.
Quelques dizaines de minutes plus tard, je suis de retour dans la chambre. Elle parle italien. Un groupe est arrivé, et ils sont au moins cinq, avec également deux autres personnes. J’essaie de m’isoler, de ne pas écouter la conversation. Arrivé tôt, j’ai pu prendre un lit en bas et dans cette auberge, il n’y a pas de placement. Mais lorsque plusieurs Italiens entament la conversation, la voix, les gestes vont souvent de pair. Je décide alors de consulter Google Maps puis de ressortir un temps et de rechercher un restaurant car depuis le départ il y a quatre jours, je n’ai pas mangé encore un repas digne de ce nom. Je pars faire quelques courses en dehors de la ville médiévale pour compléter mon sac (que vais-je trouver ensuite ?) puis je repère un restaurant dans la ville médiévale, je relève son nom (« Chez Dédé »), et je prends de nouveau la direction de l’auberge et de la chambre. Le temps est maintenant clairement couvert voir menaçant, alors je ne m’éternise pas. Cette fois les Italiens ont déserté les lieux et je me retrouve avec Raymond, un Australien qui vient d’arriver, et Antoine, un jeune Français, dont je ne sais pas à l’origine qu’il est français. Une jeune Allemande, Mila, est dans la chambre voisine et je retrouve le Japonais avec Antoine. Il essaie tant bien que mal d’avoir du réseau car il a acheté une carte SIM à l’aéroport d’Heathrow à Londres, avant de venir en France mais ce qu’il ne sait pas, c’est que cette carte ne fonctionne qu’au Royaume-Uni. Nous essayons alors de lui expliquer en anglais, mais nous nous regardons en ne savant pas trop comment il va se débrouiller.
Nous le laissons là sans pouvoir lui être davantage utile. Avec Mila, nous partons en quête d’un restaurant et j’en ai donc bien un en tête, mais je suis tout de même les deux jeunes. Antoine a repéré une sorte de fast-food mais qui n’est pas une chaîne. Nous nous y rendons mais au vu des lieux, je refuse poliment d’y manger car je souhaite toujours pouvoir dîner avec un menu complet et profiter une dernière fois des chèques restaurant dont je dispose. Le lendemain sur la route et en Espagne, je ne pourrai pas les utiliser. Les prévisions du paysan se sont avérées justes. La pluie s’abat maintenant drue à Saint-Jean-Pied-de-Port, j’accompagne Antoine et Mila revenir à l’auberge et je prends seul la direction de « Chez Dédé », avec mon imperméable, mes sandales de randonnée et mes pieds nus sous la pluie qui tombe.
Je n’ai pas réservé mais je ne m’attends pas à ce que ce soit complet, puisqu’il doit être à peu près 19 heures. Le gérant des lieux ne semble pas avoir inscrit la sympathie au menu ce soir-là. En revanche, une serveuse arrive, beaucoup plus courtoise, et m’attribue une table en me disant ne pas m’inquiéter, car une autre pélerine va arriver (?) et que donc je ne dînerai pas seul. Après quelques minutes, je me retrouve effectivement en compagnie de Beate, une Allemande de près de 65 ans. Je ressors donc l’anglais de mon vocabulaire, puisque mon allemand doit se limiter à une dizaine de mots. Peu importe, c’est une bonne occasion de m’entraîner.
Je ne le sais pas encore mais la rencontre avec Beate sera une des plus belles de tout le chemin. J’apprécie le moment, et le menu pèlerin, certes simple mais bien préparé et suffisant, avec une ambiance conviviale. Avec Beate ce soir-là nous faisons plutôt connaissance et nous essayons de converser dans cet esprit. Puis nous croyons nous disperser mais en fait, nous logeons tous les deux au Chemin de l’Etoile ! Il est environ 21 heures, je rentre en plaisantant en lui disant que si cela se trouve, nous sommes dans la même chambre et nous partageons (presque) le même lit. Je n’ai pas vu arriver Beate mais, c’est très drôle, ma boutade s’avère une prévision exacte et Beate se retrouve juste au-dessus de moi. Nous rentrons dans une chambre silencieuse et sombre, car les Italiens se sont déjà assoupis. Un autre homme avec une carrure imposante est aussi rentré très tardivement dans la chambre alors celle-ci est désormais complète. Le premier concert de ronflements d’une longue liste va pouvoir débuter. Cette nuit-là, je tarde particulièrement à trouver le sommeil mais je refuse de jeter un coup d’œil à l’heure pour éviter toute perturbation mentale ! Je ne veux pas savoir s’il est une ou deux heures du matin, et c’est probablement l’heure à laquelle je me suis endormi. Au-dessus, Beate a elle aussi peiné eu égard à ses nombreux mouvements sur le lit métallique et usé.
Le bloc sanitaire de l’auberge à Saint-Jean-Pied-de-Port est certes tout neuf, mais la literie mériterait un regain de confort nécessaire. Ce sera l’expérience de sommeil la plus difficile de ces 387 kilomètres, juste avant l’étape internationale, réputée la plus exigeante physiquement. Un jeune italien, bardé d’une lampe frontale, ce qui rajoute à la dimension « camp de base » du lieu, peine aussi à s’endormir, peste contre la lumière du couloir toujours allumé, et finit par manifester un soulagement lorsqu’un ronflement persistant s’arrête enfin. C’est à ce moment-là que mes yeux se ferment complètement aussi.
Vue d'Ostabat à Saint-Jean-Pied-de-Port (Google Earth)
Vue de Gamarthe à Saint-Jean-Pied-de-Port (Google Earth)
Vue de Saint-Jean-le-Vieux à Saint-Jean-Pied-de-Port, avec les Pyrénées à suivre et à gauche
(Google Earth)
Profil de l'étape : Avec 23 kilomètres, cette étape fait figure de test. Bien qu'empruntant la vallée, cette étape n'est pas plate, avec l'ascension assez longue de la Croix de Galtzetaburua (263 mètres d'altitude), soit environ cent mètres de dénivelé positif depuis Larceveau. Surtout, l'ascension s'effectue souvent à proximité de la D 933 avec son trafic. A cette montée qui peut être relativement usante, succède une portion de piémont, avec ses bosses, jusqu'à Bussunarits. Là, le paysage s'ouvre un peu sur les Pyrénées. La fin d'étape s'effectue en continuité entre Saint-Jean-le-Vieux, propice à l'arrêt, ou à l'hébergement pour éviter la cohue à l'arrivée, et Saint-Jean-Pied-de-Port.
Par ici la suite ! 3ème étape : Saint-Jean-Pied-de-Port - Valcarlos (Espagne) (12 km)










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