Sur la route de Compostelle - France / Espagne à pied (2024) - 1ère étape : Saint-Palais - Ostabat (12 km)
Le jour se lève sur Saint-Palais en ce dimanche 7 avril. A mon réveil, Antoine, Alejandro et Clément se sont déjà activés. Je m’étais entendu avec Marie sur l’heure du petit-déjeuner mais je ne m’affole pas, car je sais que l’étape est courte avec seulement douze kilomètres. La tablée est à la hauteur et pour un bon français, il ne manque de rien entre une grande baguette, du beurre, de la confiture, du lait et du jus de fruits… sans oublier l’éternel café que je décline comme la plupart du temps. Comme souvent dans les auberges « traditionnelles », il manque quelque chose et cette fois, nous nous retrouvons sans courant dans la chambre depuis la veille au soir. Du coup, c’était un peu la bataille pour pouvoir recharger les téléphones sur le seul point d’accès facile du grand refuge, c’est-à-dire la cuisine. J’ai économisé le soir au maximum et je profite du passage au petit-déjeuner pour recharger ce qu’il me reste.
Les trois jeunes partent aussi pour Ostabat mais je ne connais pas leur point de chute. Je n’étais pas sûr d’ailleurs qu’ils avaient réservé. Avant de partir, je remercie Alejandro de me permettre de dérouiller mon espagnol resté en cave pendant sept ans. Enfin, j’enfile le sac à dos, je remercie chaleureusement mes hôtes du soir pour leur accueil et je pars en quête de la voie de Vézelay, ou du peu qu’il va en rester. Je mets quelques minutes pour m’orienter et trouve finalement la bonne route. Je décide de réaliser la vidéo de présentation de cette première étape mais, en allumant le téléphone de nouveau, je me rends compte que mon hôte du soir à Ostabat m’indique que le chauffe-eau est en panne et qu’il ne pourra pas me recevoir. Il me donne l’adresse postale de Marie, qui loue une chambre d’hôtes dans le même village mais je n’en sais pas plus. Je réfléchis un instant entre creuser cette option, une autre ou entamer l’étape et je choisis finalement de me mettre en route.
J’ai repéré la première ascension très vite et après quelques centaines de mètres, je m’approche de la première côte de ce troisième épisode. Une personne m’indique d’ailleurs que le chemin part sur la droite. J’ai une pensée pour Karima à ce moment-là en me tenant devant la pente. Celle-ci approche les 25 % et je l’entame sans sourciller. Le pourcentage est fort, la côte est dure, l’effort est brutal. Il me fait rentrer immédiatement en sueur d’autant plus que, si la température est heureusement plus basse que la veille, l’humidité est quant à elle toujours présente et ne me quittera pas de la journée. Après cette entrée en matière remarquable, sur un premier sentier botanique, la pente finit par s’adoucir et après quelques dizaines de minutes, j’arrive au Mont Saint-Sauveur, avec les statues « Les Reflets du Ciel », dressées justement vers les cieux. Je profite d’une première pause pour constater que je suis bien seul, et à ce moment, je recherche mon binôme qui n’est plus là. Le moment est étrange, presque solennel. Je contemple les Pyrénées que je peine à devenir dans la brume laiteuse vers le sud-ouest. Tout juste j’aperçois de la neige sur des versants escarpés, dont je ne vois pas le sommet, ce qui rend la montagne toujours plus présente et mystérieuse.
Les pieds dans le plat d’entrée de jeu
Après cette première ascension de près de deux cents mètres de dénivelé, je prends la route de Gibraltar. Non pas celle du détroit mais celle de la stèle. Je descends rapidement et m’assure de poursuivre sur le chemin en essayant de repérer les marques jaunes ou la coquille, et non pas forcément le balisage rouge et blanc puisqu’un sentier de grande randonnée n’a pas de sens. J’arrive peu après à la stèle de Gibraltar, non sans émotion, puisque c’est à cet endroit que la voie de Vézelay (GR 654 Ouest) s’achève pour se confondre désormais avec la voie du Puy (GR 65), alors que la voie de Tours (GR 655) avait débouché sur la voie de Vézelay au point de départ de l’étape. Je ne m’appesantis pas longtemps parce que j’ai repéré depuis le Mont Saint-Sauveur une autre ascension à venir. Il m’a semblé avoir aperçu là Antoine, Alejandro et Clément ; partis un peu avant moi de Saint-Palais, et le fait de voir passer des pèlerins sur le chemin m’a donné envie de leur emboîter le pas.
La stèle de Gibraltar, à quelques mètres de la jonction avec la voie du Puy
et l'ascension vers la chapelle de Soyartze
7 avril 2024
Je profite de la pause pour étudier le profil de l’ascension suivante avant de l’entamer. Moins brutale que la première, celle-ci s’effectue sur une chaussée qui relève davantage de la piste caillouteuse et exposée aux vents. Je l’aborde un peu entamé par la première, mais je prends le temps de l’escalader. Je ne suis pour autant pas inquiet pour le logement du soir, même si nous sommes dimanche, car pour le moment personne d’autre n’est au courant que j’ai pris connaissance du message laissé sur le répondeur. Après un nouveau dénivelé de 143 mètres, d’atteints la jolie petite chapelle de Soyarza où j’en profite pour me restaurer. Le ciel semble capricieux et sur le site, je ne suis pas seul. Il y a un pèlerin (!), des joggers et un groupe de motards en week-end est en train de projeter sa journée au travers des routes basques, même jusqu’en Espagne, et évoque certains noms que je retrouverai plus tard sur le chemin. Leur « guide » me demande la suite du chemin, et j’essaie de lui donner des indications correctes de mémoire, ne voulant pas me servir du GPS et du téléphone portable toujours éteint (aurais-je de l’électricité ce soir pour le recharger ?). Mais ma mémoire me joue des tours et je ne trouve pas la bonne direction avant quelques minutes.
En quête d’une solution de repli
Je finis par repartir et laisser ce bel endroit, après avoir jeté un œil à la table d’orientation qui ne m’a orienté que partiellement. Les sommets pyrénéens resteront secrets pour ce jour. Après avoir passé ces deux bosses sans encombre, je sais que le reste de l’étape est toujours vallonné mais sans difficulté importante. Je poursuis à mon rythme, descend progressivement jusqu’au village d’Haranbeltz avec sa chapelle Saint-Nicolas-de-Myre. Ne sachant pas à quoi m’attendre à l’arrivée, d’autant plus que la commune d’Ostabat-Asme est très dispersée, je commence à prendre mes repères à propos d’un éventuel abri où passer la nuit. Là je suis poursuivi par un chien que je ressens s’approcher au rythme de mes pas. Je ne ressens pas de bonnes ondes même si je sais que les deux bâtons de marche peuvent s’avérer dissuasifs. J’avais déjà eu une mauvaise expérience de ce type par le passé. En me retournant, je constate que le molosse qui me poursuivait est de petite taille et ne m’inquiétera pas. Mais je suis tout de même trop proche de sa résidence pour espérer dormir sous le toit de la chapelle. Je poursuis donc ma route, pénètre dans une forêt, croise deux hommes en balade et me retrouve à proximité d’une cabane déserte, près de Laganatua.
Les Pyrénées depuis la chapelle de Soyartze
7 avril 2024
Je marque ici une dernière pause pour me rafraîchir et j’inspecte les lieux. Il doit me rester environ trois kilomètres à parcourir. Il s’agit là d’une assez grande cabane de chasseurs mais, si l’endroit est plutôt bien adapté en tant qu’abri temporaire, il est trop humide et lugubre pour y passer la nuit, seul d’autant plus. Après avoir passé Bidartea, je vois l’église du village d’Ostabat, là, posée sur la colline. C’est désormais mon objectif. Je déciderais une fois arrivé devant l’église, ou la place de l’église puisqu’il doit bien en avoir une. Mais en réalité, je n’y arriverai que le lendemain. Je ne sais pour quelle raison, le chemin de Compostelle décide brusquement de prendre à gauche et de s’engouffrer sur un véritable chemin, qui devient progressivement boueux voir carrément ruisselant. Jusque-là, je n’avais pas rencontré de problème avec le sol et voilà que le chemin se met à s’exprimer en tant que tel en toute fin d’étape. Je termine donc péniblement les derniers hectomètres avant d’arriver au village, ou du moins de passer les premières maisons. Le panneau indiquant le gîte que j’ai initialement réservé, la maison Ospitalia, est là. Avant de remonter la pente tout au bout, je remarque la présence d’Antoine, qui me fait comprendre qu’il est au téléphone (en réalité, en liaison avec son entreprise bulgare, un dimanche !). Après qu’il ait raccroché, je lui demande s’il a pu s’installer avec ses deux compagnons de voyage… et s’il n’a pas de problème d’eau chaude. Sa réponse par l’affirmative me fait comprendre que je suis bien arrivé au bon endroit, que je vais passer une deuxième nuit en compagnie du trio franco-espagnol, mais aussi que mon hôte du soir n’est pas là.
La vie à l’auberge : La porte est ouverte de fait, je décide de rentrer et de prendre place dans la seule chambre mise à disposition des pèlerins. Je retrouve alors Alejandro et Clément, qui se reposent dans le silence le plus complet. J’arrive relativement tôt, puisqu’il est à peine une heure de l’après-midi, mais ces quatre heures de marche, avec le sac d’environ dix kilos, m’ont tout de même marqué. Je laisse les jeunes à leurs occupations (ils décident d’aller visiter les environs) et après quelques minutes, passe tout de même un coup de fil à mon hôte pour l’avertir et clarifier la situation. J’ai fait le choix de rester sur place plutôt que d’aller rechercher un hypothétique autre hébergement, quitte à me priver ce soir d’eau chaude. Par contre, nous avons bien l’électricité dans la chambre, assez peuplée de mouches (!), et nous pourrons recharger le téléphone.
Au cœur de l’après-midi, je me retrouve donc avec du temps et les jeunes recherchent un quatrième partenaire pour jouer aux cartes. J’ai visité l’intégralité de l’auberge, très rustique et traditionnelle, et n’ai trouvé que des vieux journaux et revues. Il y a une cuisine, une salle à manger, un coin sanitaire, une chambre à l’étage, un très vieil encrier et une autre chambre dont je ne saurai jamais si elle était occupée à ce moment-là (le nom d’une personne était écrit sur la porte) ou si elle était vide. Mais Clément finit par trouver un jeu de 54 cartes et notre après-midi était tracée. Je riais intérieurement de cette situation, de me retrouver là avec trois autres jeunes hommes que je ne connaissais pas vingt-quatre heures avant, et que j’allais perdre de vue prochainement. Car je me sentais aussi comme un trublion dans leur jeu de cartes. Il y a des personnes que vous rencontrez sur le chemin pour la vie, d’autre pour le temps du chemin, et d’autres qui sont de passage. Pour eux, je ressentais bien que je faisais partie de la troisième catégorie et ils l’étaient autant pour moi. Pour autant, je comptais bien profiter de l’instant présent, là, dans ce coin du Pays Basque, en rejouant à des jeux (Président / Kem’s) que je n’avais pas pratiqué depuis une vingtaine d’années. Nous enchainions les parties, sans nous soucier du reste, et en profitions pour exprimer les émotions pures et simples liées au jeu. Quelques heures plus tard (!), notre hôte venait à notre rencontre. Cet homme assez âgé, respectueux nous parlait aussi de son élevage de bovins, « des vaches à viande », et d’un passé semble-t-il plus glorieux dans les environs. Il profitait de notre présence pour nous rapporter une bouteille de Porto (!) et de Muscadet (!), mais, visiblement peu adeptes de l’alcool fort, nous le laissons repartir avec le même contenu. J’avais testé auparavant la douche, effectivement froide, et pour ce fait, nous avions obtenu une réduction de trois euros sur la nuitée. Etrangement, le monsieur nous offrait à chacun un œuf de poule (?), œuf que pour ma part j’ai pris soin de conserver pour d’autres contrées… et que j’ai finalement rapporté dans le Puy-de-Dôme. Chacun repartira avec son œuf respectif le lendemain.
Les trois jeunes étaient préoccupés par leur alimentation, surtout Antoine, qui m’a avoué sauter régulièrement des repas. J’étais étonné par ce trio, aux âges et origines divers, et je me demandais ce qui pouvait bien les connecter entre eux. Bizarrement, mais pas totalement car étant toujours un peu décalé, c’est avec Alejandro que j’ai eu le plus d’affinités, celui qui ne parle pas ma langue maternelle. Je n’ai su que très peu de choses sur Clément, qui restait toujours en observation et assez secret, même pendant le jeu. Antoine était plus expressif et impulsif, mais ce trio qui marchait toujours ensemble, toujours au même rythme, toujours pressé d’arriver et de repartir, ne collait évidemment pas avec ce que j’avais envie et besoin de vivre. Je ressentais qu’ils se mettaient dans une sorte de situation bancale, animés par le désir d’avancer, de découvrir, mais en même temps dans une certaine retenue. Antoine travaillait donc pour une société bulgare, où il avait vécu pendant deux ans, et était toujours en liaison avec le pays via Microsoft Teams et le téléphone. Quant à Alejandro, j’ai compris qu’il était clairement en chemin. Ce jeune espagnol, qui vivait aux alentours de Valence (Valencia), avait appris l’espagnol grâce à sa maman et tout ce qu’il pouvait dire, il le lui devait. Il a grandi depuis tout petit en Angleterre, et la première langue qui lui vient à l’esprit lorsqu’il se réveille, c’est la langue de Shakespeare et non celle de Cervantes. Alors nous communiquions donc tous les deux dans notre deuxième langue. Il était lui aussi traumatisé par les voyages en avion (!) à cause d’un vol avec beaucoup de turbulences pour l’Italie ou le Portugal, et se demandait surtout quel sens il allait donner à sa vie après, si j’ai bien compris, des études de programmation informatique où il n’avait pas trouvé du sens. Il ne m’a pas parlé de son père et je n’ai pas osé le lui demander. Sa mère était visiblement très présente. Ce jeune homme a fait en quelque sorte écho à mon histoire quinze ans plus tôt, quand j’étais près de partir pour un an à La Corogne, ce qui avait permis de donner naissance aux premiers articles de ce blog.
Alejandro était le seul à dîner ce soir-là, enfin à se satisfaire d’une boîte de raviolis bon marché dénichée la veille au Carrefour Market de Saint-Palais, et je lui emboîtais le pas avec une autre boîte de petits pois / carottes (et un peu plus tiré du sac), le tout au micro-ondes, puisqu’il fallait bien faire ce soir-là avec les moyens du bord, un dimanche soir au Pays Basque. Bizarrement là-aussi, il avait souhaité un temps s’écarter du duo resté dans la chambre à l’étage, mais le duo se plaignait également que nous parlions visiblement trop fort dans la cuisine !
Les deux autres français voulaient partir très tôt le lendemain, probablement avant l’aube, pour arriver à Saint-Jean-Pied-de-Port le plus tôt possible dans l’après-midi, et réserver aussitôt. Prudent, j’avais opté pour une réservation anticipée. Nous remontions dans la chambre, obscure et silencieuse… et je tentais de nouveau de trouver le sommeil.
Vue de Saint-Palais à Ostabat (Google Earth)
Vue de la Chapelle de Soyartze à Ostabat (Google Earth)
Profil de l'étape : Avec 12 kilomètres seulement, l'étape se réalise très bien en quatre heures de temps, sans se précipiter. Il faut tout de même compter avec les deux ascensions, dont la première très raide tout de suite à la sortie de Saint-Palais. Celle-ci est irrégulière, mais passe rapidement au passage de la stèle de Gibraltar et à l'ascension vers la chapelle de Soyartze. A partir de là, la deuxième partie de l'étape propose des dénivelés moins accentués mais avec un parcours toujours vallonné, pour terminer à Ostabat sur un passage à gué posant problème en période d'humidité.
La Maison Ospitalia, auberge du soir vue de l'intérieur
Par ici la suite ! 2ème étape : Ostabat - Saint-Jean-Pied-de-Port (23 km)









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