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Sur la route de Compostelle - France / Espagne à pied (2024) - Retour à Saint-Palais (2ème partie)

Le réveil sonne, il est 5 h 40. Le sommeil a été assez léger mais complet. Je ne voulais pas manquer cette heure-là, car tout le trajet ensuite dépendait de ce réveil. Le corps a encore besoin de dormir mais je dois être parti dans vingt minutes, pour être sûr de pouvoir prendre le train en partance d’Aurillac pour Toulouse. Celui-ci part à 6 h 49.

J’ai emporté quelques pains au lait que j’avais mis de côté lors de mes dernières courses. Je déjeune rapidement dans la chambre du petit hôtel, et je commence à goûter à l’inconfort relatif : pas de lait, pas de jus d’orange, juste de l’eau, ce qui sera parfois le cas sur Compostelle très rapidement. Je quitte l’hôtel à 6 heures du matin, en laissant la carte d’accès dans la chambre. Tel était le départ convenu avec le réceptionniste la veille. A cette heure-là, début avril, la nuit règne encore largement sur le Cantal. La gare est à 1 600 mètres de distance, encore faut-il mémoriser le trajet, qui n’est pas complètement droit, et en pente ascendante, surtout vers l’arrivée.

J’essaie de me remémorer le trajet de la veille, et visualiser les points de passage, tout en sachant que je m’étais trompé une fois d’itinéraire. Je franchis de nouveau la passerelle que j’avais empruntée sur la Jordanne, je traverse la zone commerciale et me retrouve dans la ligne droite vers le nord-est, Avenue des Volontaires, la bien nommée. Je sais qu’il faudra à un moment donné que je tourne à gauche et que je retrouve la passerelle qui permet de passer par-dessus toutes les voies. Je suis saisi d’un doute alors je vérifie à plusieurs reprises sur le GPS. Dans cette nuit sombre, vais-je parvenir à trouver une issue ? J’ai un peu de marge et, après un temps d’observation attentif, je parviens à localiser la passerelle. Je pourrai donc prendre le train à l’heure au départ d’Aurillac.

C’est un drôle de voyage que celui-là. Il fait frais, et le train est vide au départ, mais il ne va pas tarder à se remplir au fur et à mesure pour terminer à Toulouse, en fin de matinée, quasiment au complet. J’en déduis que beaucoup de personnes partent dans le sud-ouest pour retrouver leur famille ou passer simplement le week-end. Dans la cité rose, où un hommage à Claude Nougaro semble être prévu pour bientôt, je remarque la présence d’un vent fort. Je ne veux pas me mêler à la foule présente en gare, assez nombreuse, peut-être sur un temps de départ en vacances. Je préfère m’isoler près des voies et attendre l’information du prochain train vers Bayonne, qui sera le dernier pour moi.


L'attente du train pour Bayonne en gare de Toulouse Matabiau
6 avril 2024

Je monte donc dans le dernier train pour le Pays basque, que je vais retrouver deux ans et demi plus tard, non sans un peu d’émotion. A l’intérieur, je ne croise pas de pèlerin, mais j’aperçois le Pic de Midi de Bigorre enneigé, comme une bonne partie de la chaîne centrale d’ailleurs. Très rapidement je songe à la fameuse étape internationale, au départ de Saint-Jean-Pied-de-Port, qui doit m’attendre prochainement et je m’imagine dans la neige, même si le passage des Pyrénées s’effectuera à une altitude à peine supérieure à 1 000 mètres. Tout de même, la vue de cette barrière montagneuse ne me laisse pas indifférent. Le train arrive à Bayonne en plein après-midi, et sitôt descendu, je ressens immédiatement une certaine effervescence. Je ne savais pas que c’était la fête foraine et, samedi oblige, de nombreux jeunes, parfois adolescents, profitent de l’instant qui leur est offert. Le quartier de la gare est particulièrement animé mais, à cause des effusions d’alcool, je ne ressens pas que des énergies positives et limpides. Avec le sac à dos de cinquante litres, en plus bardé pour l’occasion de la coquille Saint-Jacques, je sais que je ne passe pas inaperçu alors je me mets en quête de l’arrêt de bus qui doit me conduire à Saint-Palais, là où nous nous étions arrêtés en octobre 2021.

Je sais que les correspondances en ce jour sont assez courtes, mais me permettent tout de même d’enchaîner les moyens de transport avec assurance. Par contre, il est difficile de profiter de chaque site pour le visiter, que ce soit à Toulouse et à Bayonne, deux villes que je connais déjà mais où mes souvenirs sont lointains (respectivement 2005 et 2000). Il est aussi délicat de me restaurer, car je préfère assurer le départ à Bayonne où je n’ai que repéré le point de passage du bus sur Google Maps. Je me trompe d’abord en remontant la Rue Maubec à l’envers, et je m’en rends compte assez rapidement. Je retourne vers la gare et retrouve mon chemin en traversant le Pont Saint Esprit sur l’Adour. Justement, mon esprit est concentré sur le point de départ du bus, et, du fait du poids du sac et aussi de la moiteur ambiante (il fait alors 32°C, une température que je ne retrouverai pas durant tout le séjour heureusement), je choisis de me détendre quelques minutes à Boufflers.


L'aéroport Tarbes-Lourdes-Pyrénées et le Pic du Midi de Bigorre enneigé (2 876 mètres d'altitude)
Vue du train Toulouse / Bayonne - 6 avril 2024

Sur place, je m’assure avec les personnes âgées qui sont du coin que le bus pour Saint-Palais passe bien par l’arrêt en question et, après une bonne vingtaine de minutes, celui-ci arrive. J’ai heureusement lu auparavant qu’il fallait faire signe au chauffeur qui, effectivement, s’arrête. Je monte dans le dernier moyen de transport avant ma destination terminale pour ce samedi 4 avril. Cinquante minutes plus tard, je descends et achève là mon premier trajet. Je suis heureux et ému de revenir là, et je cherche le seul endroit donc je me souvienne, le bar, qui doit être le Café Kennedy. Je le retrouve après quelques dizaines de mètres. Après l’effervescence bayonnaise, l’ambiance est plus zen, et ce n’est pas pour me déplaire. Pourtant, nous approchons des 18 heures et la journée n’est pas terminée. Je dois rechercher ma première auberge, le Refuge des Franciscains, qui vient d’ouvrir.

La vie à l’auberge

Après un bref repérage sur le GPS, je le retrouve non loin de la sortie du bourg. Une voisine m’indique aimablement l’entrée et, après avoir sonné à la porte, j’entre. Je suis accueilli par Pascal, et je ne le sais pas encore, la réception qui m’est réservée jusque-là sera la meilleure de tout le séjour (il y en aura d’autres agréables cela dit). Il me propose le lit en dortoir plus le petit-déjeuner pour la somme de neuf euros (imbattable), voir même la chambre individuelle pour cinq euros de plus. Pour en prendre l’habitude parce que ce sera ensuite mon pain quotidien, j’opte pour le dortoir. Pascal règle les formalités du pèlerin avec la carte d’identité et le tampon sur la créanciale et me présente ensuite à sa compagne Marie, qui prend le temps avec moi de faire le tour du vaste refuge. Il y a là une exposition et un concert, que, faute de nécessité de premières courses alimentaires, je ne pourrai découvrir que d’une oreille. Je découvre des compagnons de chambrée, certains visiblement dans la cinquantaine, et d’autres, plus jeunes, que je choisis de rejoindre dans le grand dortoir. Cette nuit-là, nous ne sommes qu’entre hommes.

Venu sur Compostelle dans l’optique de poursuivre mon chemin, de revenir en Espagne huit ans après ma dernière visite, je suis ouvert à la rencontre des autres pèlerins sans la rechercher à tout prix. Ma première rencontre avec eux a donc lieu là, et je fais la connaissance d’Antoine, de Clément et d’Alejandro (26 ans peut-être, 38 ans et 23 ans). Les trois jeunes se connaissent déjà et ont choisi de faire un bout du chemin de Compostelle depuis Dax jusqu’à Pampelune, car certaines obligations professionnelles les retiennent.

Ils communiquent en anglais, et ma présence, avec un peu plus de cinq cents kilomètres au compteur, vient modifier un peu la communication mais bien sûr pas leur programme. Je pars rapidement faire quelques courses, pour le dîner et pour le lendemain, parce qu’il sera dimanche et qu’il n’y a quasiment aucune chance que je ne trouve quelque chose à me mettre sous la dent dans le petit village d’Ostabat. J’ai emporté les tickets restaurant pour faire le maximum d’économies tant que je suis en France, ce qui me contraint à délaisser les petits supermarchés de campagne, qui ne les acceptent pas. A ce moment-là, tout n’est pas encore complètement clair dans mon esprit sur la conduite que je dois adopter par rapport aux dépenses. J’ai vécu les derniers mois dans un contrôle constant de mon budget serré, en économisant pour pouvoir m’offrir ces trois semaines d’évasion. Mais je ne me vois pas autant refuser un moment de partage et de convivialité avec d’autres pèlerins sur le chemin. Alors, quitte à marcher encore un peu plus, je choisis de continuer encore pour mille deux cents mètres aller-retour pour trouver un supermarché un peu plus grand, toujours en sortie de bourg, mais de l’autre côté. Je parviens à trouver preneur et à revenir au refuge juste avant la tombée de la nuit. Je prends le repas en compagnie de Marie, qui m’explique la profession d’hospitalier bénévole, tout en m’indiquant qu’ils sont les premiers de cordée avec son mari, pour quinze jours. Elle est prête à m’offrir un peu de soupe, et ne lésine pas à dépanner les pèlerins d’une boisson, d’un déplacement si nécessaire.

Marie me raconte une première histoire du chemin. Il y a quelques années, elle a accueilli un Japonais d’un certain âge qui était parti de Tokyo pour un long vol (ou plusieurs) jusqu’à la France, et il avait traversé l’hexagone pour arriver par le dernier train à Saint-Jean-Pied-de-Port. Il s’était lancé dès le lendemain sur l’étape tant redoutée de Roncevaux, sans rien y connaître, sans préparation et bien sûr en envisageant le passage par la route de Napoléon, soit le plus haut. Mais le monsieur s’est effondré au bout de deux kilomètres et a été pris en charge rapidement à l’hôpital. Revenu à lui au bout d’une journée, il ne voulait plus entendre parler de Compostelle et, n’ayant plus de raison objective de le maintenir en observation, l’hôpital avait contacté le refuge pour l’accueillir temporairement. Mais le monsieur en question s’est rapidement senti à son aise dans cet endroit (de passage pour les pèlerins) et ne voulait plus s’en aller. Je n’ai pas eu la fin de l’histoire, sinon qu’il était visiblement reparti au pays du soleil levant quand je suis arrivé ! Première douche pour moi, où je retrouvai la rusticité chère au chemin, premières toilettes, premier lavage à la main qui allait inaugurer une longue série quotidienne.

Intérieurement très enthousiaste d’en découdre une nouvelle fois avec ce que j’avais attendu depuis un certain temps, je retrouvai en ordre dispersé les trois jeunes, dont je prenais le temps de faire connaissance. Parler simplement du chemin, de l’étape à venir, de ses difficultés, mais aussi de la vie de chacun et de(s) la raison(s) de se retrouver là m’avait beaucoup manqué. La vie est tellement plus belle lorsqu’elle n’est pas affublée de tous ses artifices. Je peinais logiquement à trouver le sommeil, changement de cadre oblige, mais j’y parvenais enfin. J’étais arrivé au point de départ.

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