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Sur la route de Compostelle - Charente / Pays Basque à pied (2021) - 8ème étape : Langon - Bazas (22 km)

Au petit matin, dans le gîte Les Châtaigniers à Langon, nous nous réveillons sous un épais brouillard. Au vu de l'humidité ambiante, c'est à se demander si le brouillard n'est pas rentré à l'intérieur de la chambre pendant la nuit. Le proprétaire des lieux, Fabrice, m'avait prévenu qu'il serait là le lendemain matin. En sortant de la chambre, je découvre un autre pensionnaire des lieux, un chat posé sur le bureau (encore un félin chez nos hôtes !) visiblement habitué par la présence humaine. Ce chat ne s'appelle pas Fabrice, ou si c'est le cas, ce n'est pas la personne que je recherche. A l'extérieur, je vois deux hommes travailler de bonne heure (j'apprends quelques minutes plus tard que c'est bien Fabrice et son associé Jimmy). Karima me rejoint peu de temps après autour du petit déjeuner qui remplit une bonne table entière ! Tout est sur la table, et cela me fait bizarre de faire arrêter Fabrice qui est en plein travail. Le discours de Fabrice est aussi copieux que ce qui est servi, et au propre comme au figuré, nous n'en manquons pas une miette. Je retiens que c'est la rivière Céron, proche d'ici, qui est responsable de ce brouillard qui finit par se lever tranquillement dans la matinée ; mais aussi responsable de l'humidité qui fait que le vin de la région, le Sauterne, pourrit ! Cela donnerait une saveur particulière au vin après des vendanges tardives.

Je suis assez enthousiaste pour démarrer cette journée. Nous remercions notre hôte après un passage aux soins obligé (nos pieds sont remplis des produits de Fanny : pansements, crèmes, bandages) et le sac s'est du coup un peu alourdi. Nous faisons une halte à la boulangerie pour nous ravitailler car nous savons que nous peinerons à trouver à boire et à manger en cours de route. A près de onze heures, nous quittons Langon par la gendarmerie (!) en suivant les conseils avisés de Fabrice qui nous a appris que des piétons s'étaient faits tuer par des automobilistes imprudents qui sortaient de l'autoroute des Landes et du péage tout proche.

En zone rouge sur la voie verte

Après deux kilomètres de route, nous entrons sur la voie verte, qui est comme sur la route de Blaye une ancienne voie ferrée. C'est le chemin le plus agréable pour rejoindre Bazas, d'autant plus que cet aménagement au départ de Langon serait très récent. Il est donc bien équipé en petites aires de repos (mais cela ne dure que sur la partie construite récemment). Le temps est au beau fixe, la nature reprend complètement ses droits. Les pieds sont douloureux de mon côté mais je sais que cette douleur sera supportable, d'autant que je pars à ce moment-là pour une distance de seize kilomètres (en réalité, il en reste vingt à ce moment-là). Par contre, Karima est déjà secrètement en souffrance en ce début d'étape. Je ne m'inquiète pas car l'environnement est favorable, paisible, et que nous avons du temps. Cette fois, nous savons que nous allons dormir au dortoir du Château Saint-Vincent et que nous avons suffisamment d'eau et de nourriture pour pallier à toute fringale pendant la journée. Tout semble donc parti sur de bons auspices...


Karima s'interroge sur le kilométrage sur cette voie verte (ou D 809)
10 octobre 2021

Pourtant, peu à peu, au fur et à mesure que le soleil monte, la température chauffe. Nous prenons un temps pour nous alimenter et enlever les chaussures à un arrêt de bus, près de Roaillan. Quelque chose se dérègle. Tout d'abord, les panneaux donnent des kilométrages contradictoires : nous ne savons plus à quelle distance se trouve Bazas (treize kilomètres ou seize kilomètres ?) et, au fur et à mesure que nous avançons, nous ralentissons. Karima a de plus en plus besoin de s'arrêter pour soulager des douleurs au pied qui deviennent peu à peu insupportables. A mi-étape, c'est en trop pour elle mais contrairement à Gauriac ou à Cadaujac, il n'y a pas de moyen de transport possible pour soulager cette souffrance. Cette portion de voie verte ne traverse que quelques lieux-dits et sur la majeure partie du parcours, nous faisons face à un couloir vert qui ne propose qu'un long faux-plat montant et quelques courbes. Notre moyenne horaire tombe progressivement à moins de deux kilomètres par heure et à ce rythme, malgré une étape plus courte que les précédentes que nous avons réalisées en intégralité, nous arriverons tard à Bazas. 

Finalement, mon épouse semble déposer les armes et ne voit pas comment poursuivre le chemin, alors qu'il reste la moitié de l'étape à réaliser. D'habitude, cette distance ne nous fait pas peur mais là, rien n'y fait. Malgré des jours précédents moins chargés en kilomètres, chaque pas est un calvaire et elle semble marcher sur des braises. Sur ce chemin lisse, elle essaie de remplacer les chaussures de randonnée par les sandales mais le poids du sac l'entraîne immédiatement vers l'avant et la sensation ressentie est encore plus négative. Sans solution, elle finit par remettre ses chaussures et sait que la suite ne sera qu'agonie ! De mon côté, je n'en vois pas d'autre que celle d'appeler un taxi (de plus, nous sommes dimanche après-midi) qui pourrait nous récupérer lorsque nous croisons une route. Et cette éventualité ne se produit pas tous les kilomètres. 

Toujours dans la souffrance, nous atteignons le lieu-dit La Gare, et alors que Karima n'en peut plus, elle décide d'alléger un peu les bandages qui compriment trop son pied gauche. Cela va légèrement mieux, d'autant que nous nous arrêtons à ce moment-là près d'enfants et de jeunes adolescents qui font quelques tours à vélo dans leur propriété. Visiblement émus par les blessures, Sarah, Jairo et Léa, et leur chien Raoul (!) mettent un peu de vie et de paroles sur cette voie qui en manque au plus près du sol. Nous avons maintenant entamé la dernière grande courbe et nous cherchons toujours Bazas au sein de cette forêt. Nous passons une fois au-dessus de l'autoroute, égrenons les derniers kilomètres au fur et à mesure que le soleil décline et que le combat de Karima contre des douleurs inconnues jusque-là se poursuit désespérement. A l'amorce du crépuscule, nous rentrons dans une zone industrielle forcément désertée et chaque mètre pèse vraiment dans ses jambes. Evidemment, je finis par douter du chemin à prendre ! Elle se sent alors comme abandonnée mais, de mon côté, en meilleur état physique, j'ai pris le soin de repérer sur Google Maps la fin d'étape et je lui propose au même moment de me rendre au gîte, d'y déposer mon sac et de revenir la chercher à pied. Je porterais alors son sac pour finir l'étape. Il reste mille trois cents mètres. A force de regarder le kilométrage, et avec un réseau défaillant la plupart du temps pendant cette journée, je ne peux plus compter sur la batterie de mon smartphone qui s'est vidée. Il ne reste plus que 30 % de batterie sur le téléphone portable de Karima, que j'emprunte alors pour terminer l'étape. En cas de problème, nous n'aurons pas la possibilité de communiquer mais je n'ai pas d'autre option à ce moment-là.


L'ancienne gare de Roaillan, à la croisée des routes
10 octobre 2021

Une drôle de vie de château...

A cette distance du château Saint-Vincent, je force un peu sur les jambes pour être sûr de revenir à temps ensuite avant la tombée de la nuit. Je me concentre pour repérer mon passage (ce sont désormais des rues car je suis entré dans Bazas) et je finis par arriver au château. Enfin, j'effectue un premier détour par le jardin, puis entre dans la demeure et cherche les gérants du site. Ils sont dehors, et je frappe donc au carreau de l'intérieur (!). La gérante m'accueille et après une brève présentation, j'explique la situation et demande s'il est possible de venir chercher Karima avec un véhicule. La dame explique à son mari ce qu'il en est, lui donne le bon motif pour se déplacer avec son véhicule mais lui fournit de mauvaises indications quant à la position de mon épouse. Plutôt froidement, elle m'explique que je dois déposer mon sac au dortoir juste devant (!) et que je monterai ensuite. Comme j'ai suivi les explications de loin, je demande à monter également dans la voiture du mari qui accepte. Je ne dois pas me tromper d'endroit. Karima avait espéré que cette situation se produise et après cinq minutes de trajet, nous nous retrouvons à l'endroit où nous nous étions séparés une bonne demie-heure auparavant.

Nous arrivons donc au dortoir et nous découvrons alors une vaste pièce avec des lits simples posés les uns à côté des autres. Nous ne savons pas si d'autres pèlerins vont venir peupler les lieux pour la soirée mais cette vision ne me réjouit guère : d'un côté cette pièce fait rapidement "usine" et de l'autre, j'imagine difficilement faire salle comble alors que nous avons besoin à ce moment-là d'un peu d'intimité. Nous découvrons alors Christophe, un agent de transport de la RATP parti sur la voie de Vézelay depuis début septembre pour rejoindre Saint-Jean-Pied-de-Port, et Héridiane, plus âgée, partie également de Paris fin août en direction de Roncevaux ! Nous faisons plus ample connaissance dans la cuisine et, Karima étant arrivée avec les pieds en feu, je lui indique que je vais m'occuper de l'essentiel pour ce soir : partir en quête du repas ! Comme les deux téléphones ont leur batterie en recharge, je prends les informations au départ et part sans en quête de pizzeria, puisque ce sont les seuls établissements ouverts à Bazas où il est possible d'emporter de la nourriture. Après quelques centaines de mètres sur la même direction, au sud, je tombe sur L'Antre de l'Ours et je commande une pizza qui sera prête... dans une heure et demie ! A mon retour, nos deux autres camarades pèlerins prennent leur repas et nous attendons de notre côté que la pizza soit prête. Comme il n'y a pas de livraison possible, je retourne la chercher et revient aux alentours de 21 h 30. La cuisine est désormais à nous, la douche est à moi ensuite et elle est glacée ! Je commence à pester intérieurement sur les 61 € qu'il faudra débourser le lendemain... Nous avons une petite lumière pour passer la nuit, et à ce moment-là, nous ne savons pas ce que nous allons faire une fois le jour levé. Au vu de notre état physique qui ne s'arrange pas, et de la distance qu'il reste à parcourir, qu'allons-nous faire ? A ce moment-là, plus que jamais, à chaque jour suffit sa peine. 


Le profil de l'étape : Avec 22 km, cette étape fait partie des étapes moyennes de notre périple. La distance n'est donc pas particulièrement importante, le dénivelé non plus. Pourtant, le profil de ce parcours est particulier. Après deux kilomètres de goudron à Langon, nous rejoignons la voie verte "Scandibérique", qui propose en réalité un autre chemin de Compostelle depuis Trondheim (Norvège) jusqu'à Saint-Jacques-de-Compostelle en Espagne, d'où son nom. Le parcours rentre progressivement sur le bas plateau des Landes, et l'altitude grimpe de manière très progressive au cours du trajet jusqu'à Bazas. Bien qu'entrecoupée par plusieurs lieux-dits, ou extrémités de zones habitées, la majeure partie du chemin s'effectue en forêt.



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