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Sur la route de Compostelle - Charente / Pays Basque à pied (2021) - 10ème étape : Saint-Sever - Hagetmau (16 km)

Il est environ sept heures du matin lorsque nous émergeons au gîte jacquaire de Saint-Sever. Comme la veille, la nuit a été fraîche. Mis en garde par les écriteaux, nous savons que nous allons devoir partir assez vite. J'ai neuf heures en tête et à l'inverse de la veille, je pars faire quelques emplettes. Cela va me permettre de savoir comment les jambes répondent. Pour me rendre à la boulangerie, Philippe m'avait dit de tourner tout de suite à gauche à la sortie du gîte. Je revois ce bref échange, et je nous vois regardant un angle de mur à droite puis je le vois indiquant la gauche de sa main. Je suis donc la direction qu'il m'a indiquée et, après cinq cents bons mètres, je ne trouve pas de trace de boulangerie, hormis une qui est fermée et un autre dépôt de pain qui n'a pas l'air plus actif. Alors que le jour se lève à peine, je devine la fin de la petite ville sur une route qui s'allonge et je m'arrête à l'un des derniers commerces. Nous sommes un peu pressés par le temps et ai-je fait fausse route ? La buraliste que j'interroge me renvoie de l'autre côté de la ville. Je reviens alors sur mes pas et après quelques minutes, je trouve la boulangerie en question. Ce contre-temps qui pourrait me rappeler ce qui s'est passé à Pons va-t-il être préjudiciable pour la suite ? Non, heureusement.

Cette mise en route me permet tout de même de passer devant une pharmacie qui est à ce moment-là fermée. La veille au soir, j'ai mis une bonne heure avec une paire de ciseaux et un rasoir mécanique à me raser intégralement car ma peau est soumise à rude épreuve depuis le début et là, je n'en pouvais plus. De retour au gîte, Karima a déjà presque tout préparé et descendu à elle seule les deux sacs à dos qui sont bien chargés. Nous prenons le petit-déjeuner et quittons les lieux un peu avant neuf heures. Nous prenons donc la direction de la pharmacie pour acheter une nouvelle crème régénératrice pour la peau et de mon côté, avec le poids du sac, et des pieds toujours un peu douloureux, je sens que l'étape ne sera pas de tout repos. Mais je sais aussi que j'ai la condition physique pour poursuivre sans trop de problèmes. L'inconnue est toujours chez Karima mais nous ne nous laissons pas le temps pour appréhender la suite.

Nous quittons Saint-Sever et très vite, nous retrouvons l'air de la campagne. Celui des tous premiers jours, sans le ciel gris et la pluie, mais avec la brume. Celui de la sérénité, propice à une avancée paisible, à la méditation. Celui que nous avons rêvé. Sur ces petites routes, nous retrouvons le chemin unique, et par la même un paysage que nous ne quitterons plus jusqu'à notre entrée au Pays Basque. Nous entrons là dans la dernière partie de notre périple. Après quelques lieux-dits où le soleil se montre plus généreux, nous faisons une première pause à la rivière Gabas, puis nous atteignons ensuite une ancienne voie ferrée que nous suivons quelques mètres puis traversons juste avant d'arriver à Audignon. Ce matin, les kilomètres s'enchaînent très bien. Je suis saisi d'une drôle de sensation. Le moral est bon mais le temps est d'un seul coup passé très rapidement. A ce moment-là, il ne nous reste plus que trente-sept kilomètres à effectuer avant de rentrer à la maison ! J'ai l'impression de ne pas avoir tout donné sur ce chemin, que les émotions que je devais vivre n'étaient pas au rendez-vous. Je veux vivre encore plus ce périple qui d'un seul coup, semble se dérober comme le tapis roulant sous mes pieds. L'arrivée à Orthez se profile déjà et pourtant, je ne la vois pas. 


Karima est déjà loin 
Entre Audignon et Horsarrieu - 13 octobre 2021

Nous remarquons aussi que le chemin se retrouve. Cela fait longtemps qu'une petite attention n'avait pas été portée symboliquement au pèlerin : il faut remonter au passage de la limite départementale entre Charente-Maritime et Gironde pour le relever. Les panneaux d'annonce de la voie de Vézelay sont plus imposants et placés semble-t-il stratégiquement près des églises. Le chemin semble de nouveau être la veine principale de la région, alors qu'il était noyé jusque là dans le flot des informations routières. Orthez se rapproche certes mais encore plus Hagetmau, que nous n'apercevons pas cela dit. Ce jour-là, Karima a retrouvé ses jambes charentaises, elle est bien décidée à laisser la voie verte loin derrière elle et moralement, après une dernière pause à Audignon, le fait d'avoir désormais moins de dix kilomètres à parcourir avant d'arriver à l'hôtel Le Jambon (!) donne des ailes. D'ordinaire, la montée d'Horsarrieu et ses soixante-deux mètres de dénivelé pourrait la contrarier. Mais ce jour-là, il n'en est rien. Elle poursuit invariablement son chemin, imperturbable, et je m'accroche à une bonne cinquantaine de mètres derrière. Nous cherchons alors un endroit pour déjeuner mais, à la suite d'une incompréhension, nous ne nous arrêtons pas alors qu'une table de pique-nique nous attendait sur la droite à ce petit village.

Entre Horsarrieu et Hagetmau, il ne reste pas grand chose. Mais semble-t-il, alors qu'il est tout juste treize heures et que nous avons avancé très vite sur cette étape, la fin du parcours se complique. Nous arrivons dans une zone industrielle qui n'est pas sans rappeler l'arrivée à Bazas, et pour ne pas arranger la situation, le chemin hésite et me fait aussi hésiter. Karima commence de nouveau à ressentir des douleurs dans les pieds. Faut-il suivre le chemin tel qu'il est indiqué sur la carte, en allongeant un peu le trajet mais en nous allégeant en contrepartie du trafic ? Ou bien faut-il poursuivre tout droit, en direction du sud-ouest, pour atteindre le centre-ville comme l'indiquent les panneaux ? Finalement, j'indique que nous pouvons laisser le chemin de côté pour en terminer et nous suivons tout droit. Quelques dizaines de mètres plus tard, la voie de Vézelay apparaît aussi dans cette direction ! Par contre, Karima souhaite s'arrêter et commence à me maudire de nouveau de ne pas avoir pris de pause à la table de pique-nique d'Horsarrieu...


L'ombre nous protège
Horsarrieu - 13 octobre 2021

Nous avons passé le panneau d'entrée d'agglomération d'Hagetmau mais nous sommes toujours sur la D 933 b, et sur ce parcours semi-urbain / semi-industriel, les possibilités de s'arrêter ne sont pas nombreuses. J'indique plusieurs endroits potentiels à mon épouse qui semble s'apaiser du fait que nous ne sommes pas loin de l'arrivée. Finalement, j'aperçois un petit kiosque dans un parc minuscule, mi-ombre mi-soleil. Il fera bien l'affaire pour se poser. 

Il est encore tôt et malgré un beau soleil, le vent est frais dans cette petite ville que nous n'avons pas encore découvert. Il nous tarde cela dit d'arriver pour nous installer à l'hôtel et nous reposer mais je ne sais pas si la réception pourra nous accueillir en début d'après-midi. J'appelle alors la réception et, avec un bel accent du sud-ouest, le gérant nous dit que nous sommes les bienvenus ! Nous nous installons donc à l'hôtel Le Jambon. Pour limiter les dépenses qui avaient enflé les jours précédents, nous optons pour des repas tirés du sac et pour un petit-déjeuner matinal à l'extérieur. Comme la chambre est confortable, nous en profitons pour soigner notre corps qui a été soumis les jours précédents à rude épreuve. Nous le comprenons alors petit à petit : en prenant du temps pour lui, nous l'aiderons à se rétablir progressivement. Et la tête ira avec. 

Désireux de découvrir cette petite ville qui a l'air bien dessinée, nous nous arrêtons en fin d'après-midi au petit centre-ville. Nous nous interrogeons d'abord sur cette mystérieuse chaise longue géante qui annonce l'énigmatique "fête de la chaise" et sur ces papapluies roses qui sont suspendus en l'air. Le décor n'aurait pas déplu à Salvador Dali. Alors que Karima est partie à la rencontre du buraliste, je suis intrigué par le passage d'un petit camion remorque qui charge... un hélicoptère ! Visiblement, une petite affiche indique que c'est une entreprise spécialisée dans le transport de ce genre d'engins. Problème, les rues du centre d'Hagetmau sont étroites et, au détour d'un virage, le conducteur accroche par l'arrière une voiture garée sur le côté... sur la place "Livraison". La conductrice de la voiture est partie au distributeur bancaire et, au son de la tôle froissée, elle se retourne aussitôt furieuse : "Oh putain ma voiture ! Alors là je vais péter un câble. Elle est toute neuve en plus ! Là, je vais vraiment péter un câble." Le conducteur du petit camion s'arrête mais, mal engagé, il lui faut tout de même repartir, et la deuxième manoeuvre ne fait qu'aggraver les conséquences de la première, et ne fait aussi qu'augmenter la colère de la pauvre conductrice, qui se transforme finalement aussi vite en désarroi. De loin, j'observe la scène qui va durer plusieurs dizaines de minutes. Je suis davantage inquiet pour elle en raison du pneu avant gauche qui ne semble plus avoir la bonne inclinaison. Je suis déjà passé par ce genre d'accrochage et par un train avant droit détruit pour être inquiet par ce que je vois à ce moment-là. Nous repartirons du café où nous étions arrêtés en laissant cette pauvre dame toujours sur le constat amiable et le lendemain, nous repasserons par là pour rejoindre la voie de Vézelay en constatant que tous - protagonistes comme véhicules - ont disparu. L'histoire ne sait pas si la dépanneuse est passée par là...

De notre côté, nous pouvons regagner nos pénates tranquilles. Nous sommes requinqués comme jamais et l'étape du lendemain s'annonce très courte : neuf kilomètres seulement ! Je me pose alors la question suivante : qu'allons-nous faire de tout ce temps ? La réponse viendra car j'ai aussi appris sur le chemin que "la nature avait horreur du vide"...


Le profil de l'étape : Au départ, le chemin quitte rapidement Saint-Sever, poursuit sa route en Chalosse en dehors de la route principale et descend assez vite vers la vallée du Gabas. Des montées et des descentes se succèdent ensuite formant un relief plus vallonné, sans pour autant être marquant dans les jambes. La montée sur Horsarrieu, après la mi-étape, est plus raide et constitue donc la principale difficulté sur ce parcours relativement court entre Saint-Sever et Hagetmau.



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