Sur la route de Compostelle - Charente / Pays Basque à pied (2021) - 13ème étape : Orthez - Sauveterre-de-Béarn (26 km)
La première nuit à l'hôtel Kyriad d'Orthez est compliquée. Nous devons faire face à plusieurs cas d'indiscipline, alors qu'il est minuit passé ! Il y a tout d'abord un groupe de jeunes basketteuses qui sont hébergées là pendant quelques jours et qui font un peu de bruit, mais au vu du nombre et de l'insonorisation catastrophique de notre chambre n°7, nous pourrions passer outre. Ensuite, il y a un jeune homme à l'étage au-dessus qui fête ses dix-huit ans et il a prévu de rendre cette nuit mémorable. Nous ne le savons pas tout de suite. Pour nous aussi, nous nous rappellerons de cette nuit de manière moins positive. Enfin, il y a un couple qui s'invite et qui a pour projet, surtout l'homme, de passer la nuit dans le couloir (!) sans payer. Sauf que si la dame s'imagine en chuchotant qu'elle peut se faire repérer, son compagnon prend moins de pincettes et s'exprime ouvertement ! C'en est trop pour Karima, qui part à la réception et témoigne de son mécontentement légitime. La jeune réceptionniste, qui a pris la relève pour la nuit de sa collègue au fort accent de l'est, est intimidée et n'ose pas intervenir. Quelques longues minutes après, la nuit peut enfin reprendre son cours d'apparence normale.
Le matin, les clients font comprendre à la réception que la nuit a été agitée. Sveltana (prénom d'emprunt), polonaise (sa véritable origine) en voit de toutes les couleurs. Nous en rajoutons une (petite) couche. Le jeune en question doit quitter les lieux car il a visiblement marqué le coup dans la chambre. Et nous demandons du coup à Sveltana de déménager, car dans la soirée, nous avons fait connaissance avec la chambre n°7 : salle de bains mal conçue, pommeau de douche à la fixation cassée, radiateurs hors d'usage et appareils électriques à deux doigts de tomber au sol... Nous n'avons pas envie de finir comme Claude François. Svetlana est au courant de l'état de la chambre (!) et nous propose de déménager dans la chambre n°3, habituellement réservée aux personnes en situation de handicap. A partir de là, nous pouvons nous installer et vivre un séjour hôtelier plus conforme à ce que nous attendons, c'est-à-dire reposant, malgré un petit-déjeuner dont certaines dates de péremption semblent aussi un peu dépassées.
Cette journée sans marche à Orthez est une vraie journée de transition, au contraire de ce que nous avions connu à Bordeaux et à Mont-de-Marsan. Au vu du tarif bien trop élevé de l'hôtel en rapport à ses prestations, nous faisons un trait sur notre nuit de retour de Saint-Palais et ne réservons pas une troisième nuit sur place. Il reste donc cette dernière inconnue à régler après le chemin. Nous profitons du beau temps pour découvrir un peu cette ville (et donc marcher tout de même quelques kilomètres sans sac, puisque l'hôtel est excentré) et faire des provisions de fruits qui serviront pour l'étape du lendemain. Pour le reste, rien de bien particulier au programme, à part le lavage et le séchage du linge, qui peinera d'ailleurs à sécher... Tout au long de cette journée, nous attendons des nouvelles du parrain de Karima, l'abbé Armand Paillé, que nous n'avons pas vu depuis sept ans et nos fiançailles. Nous avions choisi au départ d'emprunter la voie de Tours, car nous souhaitions partir de Charente, et nous avions choisi également au départ d'emprunter la voie de Vézelay, pour terminer notre première route de Compostelle près d'Armand Paillé. Entre temps, celui-ci avait déménagé d'Arthez-de-Béarn à Arudy, et pour nous, cela compliquait notre route, puisqu'il s'éloignait de plusieurs dizaines de kilomètres. Après un repas assez terne au restaurant Mai Truong, nous retrouvons finalement Armand... sur le parking de l'hôtel Kyriad. Drôles de retrouvailles, mais malheureusement en ce dimanche soir d'automne, et à cette heure tardive, tout est désormais plus ou moins fermé. Nous avons tout juste le temps de converser un peu...
Yohann sur le Pont Vieux d'Orthez
17 octobre 2021
Le lendemain, nous ne tardons pas à nous mettre en route. Nous partons pour vingt-quatre kilomètres (... la distance est en réalité de vingt-six kilomètres entre Orthez et Sauveterre-de-Béarn mais pour la dernière fois, le Kyriad est excentré). Nous passons sur le Pont Vieux, et par la même sur le Gave de Pau, pour rentrer vraiment sur la voie de Vézelay (et le GR 654). Nous quittons les beaux quartiers médiévaux et sortons progressivement de cette ville qui devait être à l'origine notre terminus. L'objectif du jour est de rallier l'autre Gave, le Gave d'Oloron, au camping du même nom. Très vite, je sens que cette fois, le poids du sac me sera insurmontable pour supporter toute la durée du trajet et surtout, son dénivelé assez important. Karima avait fait le plein de provisions et avait choisi mon paquetage ! Après un kilomètre, dès la première montée, nous remplissons donc le sien d'un kilogramme et vidons le mien au passage. La ville est derrière nous mais il faudra quelques kilomètres, et passer Sainte-Suzanne, pour nous défaire du bruit de l'autoroute A64, ou "La Pyrénéenne". Le début d'étape est vallonné mais il est encore goudronné, toujours suivant de petites routes un peu sinueuses, au moins jusqu'à Lanneplaà (trois cents habitants). En passant, les maisons béarnaises portent leur nom fièrement (ce sera la même chose au Pays Basque le lendemain) et nous laissent découvrir le robot-tondeuse, qui nous donne des idées pour notre future maison ! Nous arrivons à Lanneplaà et en plein coeur du village, le chemin nous fait une petite surprise : il grimpe brusquement jusqu'à l'église et redescend aussitôt. Un temps, nous ne voyons pas l'utilité de l'effort, mais je pense que c'est à visée spirituelle : après avoir quitté la Chalosse, le chemin conserve son sens et s'approche semble-t-il logiquement des édifices religieux. Après tout, Compostelle tient son sens d'origine de la spiritualité chrétienne et cette petite incartade serait toute logique.
Nous quittons donc Lanneplaà pour prendre la direction de l'Hôpital d'Orion, où nous allons pique-niquer. Le chemin prend alors le profil attendu, et les montées / descentes se succèdent, toujours majoritairement sur des petites routes, mais le goudron commence à laisser la place à la piste, à l'herbe et à la terre. Au sommet, de temps en temps, en prenant (un peu) d'altitude, la vue offre une belle récompense : la chaîne des Pyrénées, que nous avons en visu plein sud depuis Hagetmau, se distingue désormais en plusieurs horizons, et semble prendre de la hauteur. Bien sûr, en réalité, c'est nous qui nous rapprochons de son pied. L'Hôpital d'Orion et ses cent cinquante habitants (nous les cherchons encore) dispose d'un espace pique-nique parfait pour reprendre quelques forces et de petites statues sont là pour rappeler que l'on marche bien vers Compostelle. Au cours de cette vraie journée de randonnée, au vu du terrain, et compte tenu de la température plutôt élevée pour mi-octobre (il fait jusqu'à 26°C à l'ombre), prendre le frais est aussi bienvenu. Problème, avec la fraîcheur, l'humidité est là aussi et avec cette température, les moustiques n'ont pas encore prévu d'hiberner. Donc, ils sont attirés par notre sang.
Karima et la statue du pèlerin se dirigeant vers l'église
L'Hôpital d'Orion - 17 octobre 2021
Ils nous pressent donc de reprendre le chemin, et à partir de là, le goudron laisse majoritairement la place à la terre. Pour nous, cette fois, c'est en deuxième partie d'étape et à ce moment-là, il nous manque un peu de fraîcheur pour bien terminer. Ca démarre tout de suite après le déjeuner et cela va durer pendant deux bonnes heures et demie. Mais Compostelle ne serait pas Compostelle s'il n'y avait pas d'effort physique, de douleurs, de moments où l'on se demande quand l'épreuve va se terminer. C'est là que la vérité du terrain parle : au relief, qui commence à grandir au fur et à mesure que l'on se rapproche progressivement des Pyrénées (l'explication est dans la tectonique des plaques), se rajoute désormais l'eau qui a laissé des ravines marquées, au point qu'il faut parfois réfléchir aux bons appuis à trouver sur un chemin qui peut vite se dérober sous nos pieds, poids et fatigue oblige. Trois montées et deux descentes se succèdent sans répit. Au bout de l'effort, dans cette étape casse-pattes, la plus difficile techniquement de notre expédition, nous atteignons la ligne de crête, près du (tout petit) village de Burgaronne et à partir de ce moment-là, je sais que nous avons fait le plus difficile. Il nous reste tout de même encore du chemin à parcourir. Il faut rester vigilant lors de la descente sur Andrein, et il nous tarde d'arriver à la D 27 et de retrouver la mairie. Là-bas, il nous restera trois kilomètres à accomplir sur un long faux-plat. Après avoir délaissé plusieurs maisons sur le côté (ce village est surprenant, il n'y a qu'une mairie et des maisons disséminées), nous atteignons finalement le point central du village ! Et là, comme à l'Hôpital d'Orion à mi-étape, nous tombons sur un nouvel endroit idoine. En surplomb de la mairie, il y a un nouvel espace pique-nique propice à une nouvelle pause. Nous en profitons immédiatement pour souffler, et bénédiction suprême, il y a de l'eau fraîche à disposition près de la salle communale. A ce moment-là, alors que l'eau commençait à manquer suite aux efforts produits pendant la journée, nous prenons le cadeau comme une offrande. Juste au-dessus, il y a un verger et comme la veille en contrebas de Sallespisse, il est destiné aux pèlerins. Cette fois, il y a des fruits mais si mon mètre soixante-douze m'avait servi à accrocher le ligne aux arbres à Argelos, il sera insuffisant pour décrocher les pommes. Je suis peiné de voir que celles qui sont tombées pourrissent au sol. Même les six centimètres supplémentaires de mon épouse n'y pourront rien : ces pommes sont trop hautes, et l'idée de grimper aux arbres ne me vient pas à l'idée. D'abord, c'est un sport que je n'ai pas pratiqué plus jeune et sur ces arbres aussi fins, je ne pense pas leur faire supporter mon poids et mon corps usé par les vingt-et-un kilomètres du jour.
Karima face au relief du jour
17 octobre 2021
Nous repartons et voyons le soleil filer peu à peu à l'ouest, et pour ne pas l'être (à l'ouest), nous jetons nos dernières forces sur la dernière route du jour. La veille, Francis nous avait suggéré de nous mettre au niveau d'un chien pour le calmer s'il était agressif. Je crois tester cette tactique au détour d'une courbe, après le lieu-dit La Baronnie, sur un toutou qui semble montrer les dents. Karima est passée d'abord devant (comme sur tout le trajet, à l'exception de quelques... mètres) et m'indique en se retournant que la tactique de Francis doit être remise à une date ultérieure ! Quelques fractions de seconde plus tard, je m'aperçois que le portail de la propriété est ouverte à un endroit où je ne suis pas encore passé. Très vite, je mets alors mon bâton en opposition au cas où la bête tenterait une attaque et je passe de l'autre côté de la route, pour m'en éloigner le plus possible. Heureusement pour moi, le chien, probablement dangereux, est plus attiré par la silhouette de mon épouse qui est hors de portée pour lui et je peux continuer mon chemin, ignoré. A un détour, nous sortons de la route pour prendre la dernière ligne droite vers le camping. De là, l'imposante église Saint-André de Sauveterre-de-Béarn nous domine, dans son style massif et semble-t-il menaçant. Elle se rapproche, ce qui est bon signe pour nous : le camping aussi se rapproche car nous devinons sur notre gauche le Gave d'Oloron. Mais c'est le soleil couchant qui menace, même si je pense que nous trouverons au pire l'éclairage à l'arrivée pour planter et monter la tente.
Sur la carte, il y a un peu de confusion au pied de l'église. Je sais simplement qu'il faut franchir un pont avant de trouver le camping. Nous arrivons devant la foule et je crois être arrivé. Au discours de la gérante, j'avais imaginé un camping désert, propice à l'intimité. Pour l'intimité, je me dis que je vais repasser, mais après avoir interrogé une personne, celle-ci m'apprend que l'animation du coin est simplement une petite fête entre amis... Ouf, nous ne serons pas dérangés par le bruit mais nous ne savons toujours pas où se trouve le camping. Ma cheville qui boîte depuis Andrein et me fait traîner à l'arrière m'a coûté sans doute quelques minutes et les douleurs des pieds de Karima sont de retour en cette fin d'étape. Avec la nervosité qui d'un coup revient, et le stress... Il est vrai que c'est plutôt moi qui ai poussé pour le camping et, alors que la journée a été ensoleillée, la nuit s'annonce fraîche. Nous arrivons sur un passage étroit, une vieille construction, où il ne faut pas se tromper de chemin sous peine de devoir faire peut-être un kilomètre supplémentaire. Ayant pris la tête (ce sont les fameux mètres où je suis devant ma femme), je me rends compte que je suis sur une propriété privée mais je lis bien et... le marcheur a le droit de passage. Sur le pont de la Légende, il y a un allemand et de notre côté, nous arrivons en contrebas. Karima l'interpelle et je prends le relais dans un mélange d'anglais et de français. L'allemand nous montre simplement une installation de tentes de l'autre côté et il pense que c'est le camping. C'est très bien, mais il nous reste à trouver par où passer. Karima revient alors à ma hauteur et dans un dernier élan, nous trouvons finalement le passage. Sur notre gauche, le Gave d'Oloron, sous nos pas, la voie de Vézelay et à droite, le camping du Gave. Nous marchons vers l'entrée et observons au passage qui peuple ce camping. Effectivement, il est calme et la moyenne d'âge est relativement élevée, sans être très haute pour autant.
Nous nous présentons à la réception et sommes bien reçus par la gérante. Il nous reste toujours à satisfaire un besoin primaire (manger) et la gérante confirme qu'il y a bien des restaurants au village. Sceptique sur leur ouverture un dimanche soir, hors saison, elle pense tout de même que nous en trouverons un. Pendant que Karima échange avec elle, je remarque un prospectus d'une pizzeria située sur le territoire communal. Son mari nous accompagne pour nous installer et nous ne faisons pas l'impasse sur le supplément de cinquante centimes pour disposer de l'électricité (une rallonge que nous branchons dans la tente). Le crépuscule arrive vite et d'un coup, le poids sur nos épaules semble nous retomber dessus, alors que nous sommes à l'arrêt. Nous montons la tente et, comme à Mirambeau, la nuit tombe pendant ce temps. Il était temps car l'éclairage est faible et, alors qu'en Charente-Maritime l'herbe était assez haute sur un terrain en remblai pour planter convenablement les sardines, je dois cette fois faire face à un emplacement râpé par d'innombrables passages avant le nôtre !
Pour atteindre le village, il nous faut donc grimper et le mari nous a dit qu'il y avait une coursive qui nous permettrait de grimper directement depuis la sortie du camping. Il nous donne le code d'entrée / sortie, et après un dernier effort sur une montée raide, sous le regard des chèvres, nous atteignons le coeur médiéval du village. Nous parcourons alors toutes les rues où un restaurant censé être ouvert (merci Google Maps) devrait se trouver mais après avoir fait face aux trois enseignes en question, nous devons repartir le ventre vide ! Il me reste en tête la pizzeria. Je la géolocalise mais, alors qu'il est déjà environ 21 heures, je ne me vois pas parcourir deux kilomètres et demi aller-retour, dans la nuit noire (elle est située en dehors du village, de l'autre côté du camping).
Après vingt-six kilomètres, nous n'aurons pas de quoi nous mettre sous la dent. Pour satisfaire le deuxième besoin primaire nécessaire, nous savons que nous avons la douche à disposition et à cette heure tardive, plus personne ne s'y risque. Karima entame le face-à-face avec l'eau du camping et elle me rassure un peu en me disant qu'elle y est plus chaude qu'au château de Bazas, où je l'avais trouvée tiède mais supportable. Mais je n'ai pas la même sensation de chaleur et pour moi, la température y est bien plus fraîche. Autant dire que nous ne nous y éternisons pas. Nous retournons à la tente, délestés aussi désormais des pansements qui avaient envahi nos pieds et choisissons de les laisser respirer. Qu'avons-nous à manger comme repas ? Il ne nous reste plus qu'une banane pour deux. Et elle ne fait pas long feu ce soir-là, où nous l'apprécions comme il se doit...
Après avoir réaménagé l'espace intérieur, pour avoir le maximum de place, il nous rester à satisfaire le troisième et dernier besoin primaire nécessaire : dormir ! Celui-là est essentiel. Cette nuit est la dernière à passer avant de marcher, la dernière avant de progresser toujours plus en avant vers le sud-ouest, vers Saint-Jean-Pied-de-Port. Le lendemain, une dernière étape, toujours vallonnée, de quinze kilomètres nous attend. Il nous faut donc bien récupérer pour bien terminer. Les kilomètres du jour vont-ils nous faire rencontrer le marchand de sable sur ce sol dur ?
Le profil de l'étape : Sur le papier, cette treizième étape est la plus difficile du parcours entre Charente et Pays Basque. Ce n'est pas la plus longue (26 kilomètres au programme) mais elle présente de nombreuses irrégularités de relief avec quasiment 900 mètres de dénivelé. Surtout, les variations se trouvent essentiellement dans la deuxième partie du trajet, après l'Hôpital d'Orion. Il s'agit donc de s'économiser sur la première partie de l'itinéraire, pour mieux traverser la suite, d'autant plus que le chemin goudronné cède la place à une piste en terre, où la vigilance et les efforts sont plus importants.
Par ici la suite... et fin pour 2021 ! 14ème étape : Sauveterre-de-Béarn - Saint-Palais (15 km)








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