Haut de page

Sur la route de Compostelle - Charente / Pays Basque à pied (2021) - 12ème étape : Argelos - Orthez (22 km)

Les sensations sont étranges au réveil dans le gîte La Capède de Lydia. Le ciel est voilé, comme si le soleil commençait à nous tourner le dos. Je me dis alors que les prévisions météorologiques, que nous avions perdu l'habitude de consulter tellement les journées étaient identiques, vont une nouvelle fois se vérifier sur le chemin. Nous avons bien dormi et il nous faut quitter cet endroit pour ce que nous pensons être à ce moment-là notre dernière étape pour cette année. Comme au gîte jacquaire de Saint-Sever, nous n'allons pas traîner au démarrage, alors que pourtant, personne ne nous précipite. Mais nous savons simplement que l'étape retrouve un kilométrage conforme à la moyenne et que surtout, elle s'annonce particulièrement bosselée ! Sur le papier, depuis le départ, nous n'avons pas encore eu à faire à de tels pourcentages sur plusieurs ascensions. Alors, avant de partir, Karima a un petit peu d'appréhension.

Si nous avons partagé l'espace de vie avec nos hôtes la veille au soir, le petit-déjeuner se prend cette fois dans la chambre. Eu égard à l'étape qui se profile, j'aurais volontiers pris quelques réserves supplémentaires, mais nous avons eu tellement de précieux conseils par Lydia et Francis qu'il serait exagéré d'émettre quelque... réserve justement. Au moins, nous pouvons ouvrir la porte de la chambre prêts à partir. Justement, Lydia nous remercie pour notre passage car elle a une cliente qui souhaite aussi profiter de ses mains de fée. Nous remercions à notre tour Francis, qui nous parle davantage de technique et relativise les effets de l'âge : "ce qui compte, c'est d'être dynamique !". Il annonce la couleur sur la première montée qui se profile après seulement quatre cents mètres : il y aura des passages à 22 %. Sur cette fin de parcours, nous étudions désormais beaucoup mieux ce qui nous attend et notre roadbook (un autre conseil de ce cher Francis) est mieux peaufiné. Il n'y aura plus de mauvaise surprise comme en Gironde, et notre état de forme ce matin est plutôt bon. Alors il faut prendre de face cette montée sur le village d'Argelos, que nous avions même devinée le jour précédent et nous avons tout juste le temps de quitter le gîte que les premiers efforts se font sentir sous nos pieds. Très vite finalement, les craintes de Karima se dissipent : les muscles répondent du tac au tac et elle ne finit par patiner que dans les derniers mètres. Partis sur le coup de 8 h 45, il fait encore frais et l'ombre aide bien à gravir sur cette pente sinueuse et donc à l'abri du soleil. Je retrouve des sensations de cycliste : moralement, c'est toujours plus agréable de monter sans voiture, au frais, à l'ombre, et sur une route étroite où vous ne voyez pas l'arrivée pour éviter de vous décourager. Pour autant, je me dis que je suis bien content d'être à pied et pas à vélo, surtout avec un tel paquetage !

Arrivés au sommet, j'avertis mon épouse que la deuxième ascension, en direction de Beyries, arrive très vite. Cette fois, en pleine forêt, il n'y a pas de replat. Nous dépassons donc le petit village d'Argelos (cent cinquante habitants) pour prendre la descente, toujours sur une petite route de campagne et remonter aussitôt après avoir traversé de nouveau le ruisseau que nous avions passé en aval, juste avant la première grimpée. Cette deuxième ascension se présente avec des pourcentages plus importants mais le dénivelé est un peu plus faible. Heureusement, elle vient très vite aussi dans cette étape, dans les tous premiers kilomètres, et nous avons les jambes pour les passer sans trop de peine. Nous savons alors qu'il en restera une dernière, sur Sallespisse, beaucoup plus tard dans la journée. Pour l'instant, nous délaissons le petit village de Beyries (cent cinquante habitants aussi) pour prendre la direction de Sault-de-Navailles, à l'entrée du département des Pyrénées-Atlantiques. Après la Charente, la Charente-Maritime, la Gironde et les Landes, nous entrons dans notre cinquième et dernier département, même si nous savons qu'il restera du chemin à accomplir en Gironde et surtout dans les Landes.


Karima dans "La femme qui murmurait à l'oreille des chevaux"
15 octobre 2021

Après les efforts matinaux, l'heure est à la contemplation. Nous sommes sur une ligne de crête, toujours sur une direction sud-ouest, et le chemin pour cette dernière en Chalosse est tout simplement beau. Nous profitons du soleil qui a fini par chasser la brume pour avancer à bon rythme et nous atteignons finalement Sault-de-Navailles après une descente un peu marquée. J'avais repéré une très bonne boulangerie un peu à l'écart du chemin, à Marcadieu, sur cette commune. Nous en prenons la direction et finissons par la trouver, alors que nous étions inquiet de ne pas la voir apparaître. Elle se situe à hauteur d'un rond-point et de la route qui relie plus directement Hagetmau à Orthez. Nous sommes à peu près à mi-étape et nous discutons de la suite. Nous avons tous deux le sentiment que nous pourrions poursuivre un peu plus loin, mais à ce moment-là, nous ne savons pas encore si c'est possible au niveau logistique. Les difficultés que nous avons connues précédemment pourraient nous refroidir. Après une bonne pause, nous décidons alors de laisser le chemin nous guider jusqu'à Orthez.

Il y a plusieurs kilomètres de transition entre Sault-de-Navailles et Sallespisse. Mais ces kilomètres figurent pour ma part parmi les plus beaux que j'ai connus depuis le début. Le paysage semble s'épurer au fur et à mesure et nous sommes presque envieux de la qualité du décor dont certaines maisons semblent bénéficier ! Par contre, après le lieu-dit Moulia, sur une légère montée qui commence à nous éprouver, la voie de Vézelay quitte la route pour entrer sur une sente d'abord herbeuse. Nous apercevons Sallespisse en fond de plan, évidemment en hauteur, et imaginons cette fameuse troisième ascension. Là, je suis attiré par une étiquette au pied d'un verger. Karima est déjà passée mais je souhaite tout de même marquer un temps d'arrêt. Je découvre alors qu'une association des amis de Saint-Jacques a planté des arbres fruitiers pour les pèlerins. Problème, ce n'est visiblement plus la saison pour cueillir les fruits et ces arbres, qui ont l'âge d'en donner, ont visiblement déjà travaillé cette année. C'est peut-être le karma des vignes charentaises qui parle ? J'en fais part à mon épouse et peu après, nous entrons dans une forêt aux allures mystiques. Je me replonge de nouveau dans mes camps de vacances. Un petit ruisseau et quelques vapeurs d'eau s'en échappe, le silence est d'or, les teintes se colorent : le chemin, de plus en plus orné de croix, de statues du Christ et de la Vierge, de panneaux désormais explicatifs de la voie de Vézelay, prend une autre tournure. Que va-t-il se passer ?


"Le sourire que tu envoies revient vers toi"
Sallespisse - 15 octobre 2021

Nous avançons dans ce décor un peu surréaliste. Nous découvrons des petits messages sur des ardoises, qui sont des reprises humoristiques de proverbes célèbres. Visiblement, dans les Pyrénées-Atlantiques, sans panneau annonciateur de changement de département, le chemin de Compostelle parle aux pèlerins. Je suis songeur. La forêt laisse de nouveau la place à la prairie, mais pour rejoindre le lieu-dit Marlat, la piste devient caillouteuse. Ce revêtement va nous peser dans les jambes, et à ce stade de l'étape, la fatigue commence à s'installer en nous. Du coup, la dernière montée, qui ne comporte "que" cinquante-trois mètres de dénivelé jusqu'à Sallespisse, est plus difficile que les deux premières. Pour corser l'affaire, elle est en pleine forêt et sur une piste digne d'un parcours de VTT. Nous retrouvons finalement le goudron dans la dernière partie et atteignons le village de Sallespisse, avant d'entamer un long faux-plat, d'abord montant, sur la partie sommitale. Cette fois, nous commençons sérieusement à ressentir les efforts de la journée et espérons atteindre Orthez sans trop tarder.

Oh, nous n'avons pas trop d'inquiétude sur la fin quoique nous ayons décidé, à peu près à cet endroit, de laisser parler notre coeur plutôt que la raison. C'est sur cette ligne de crête que nous projetons vraiment de rajouter deux étapes à notre parcours, et de nous rapprocher ainsi de Saint-Jean-Pied-de-Port, fameux point de passage pour tout pèlerin ou presque en marche vers Compostelle. Toutefois, si c'est possible, et cela dépend d'abord de la SNCF, il nous faut pouvoir modifier la date de nos billets retour. Dans ce cas, selon le souhait de Karima, nous prendrions un nouveau jour "off" à Orthez, avant d'enchaîner sur deux étapes supplémentaires, l'un dans le Béarn, l'autre dans le Pays Basque. Du coup, il faut pouvoir arriver à la gare avant 18 heures, heure de fermeture annoncée du guichet, quoi que nous puissons peut-être oeuvrer sur Internet ou au guichet automatique.

On s'est donc mis un peu d'adrénaline. Nous mettons une bonne heure à avancer sur cet interfluve où il ne se passe rien de particulier, et, en entamant la descente finale dans la forêt, nous hésitons un temps à emprunter la variante qui promet un beau panorama. Cette variante étant incertaine au niveau des appuis au sol, nous préférons avancer tout droit. Nous arrivons au bout d'une ligne de bus (je pense alors qu'il y a un réseau de bus dans cette ville d'Orthez, qui dépasse les dix mille habitants) et pénétrons peu à peu dans la ville, dont l'entrée est progressive. Nous passons dans des quartiers anciens, un peu tortueux, découvrons de quelques dizaines de mètres la tour Moncade et nous nous projetons vers l'office de tourisme pour valider notre créanciale (au cas où nous ne puissions pas modifier notre trajet retour, prévu le lendemain matin tôt). En avançant, je boîte de plus en plus du fait de ma cheville gauche privée de cartilage et qui commence à me dire que l'étape pèse en longueur. Nous pénétrons dans le centre-ville, toujours aux allures médiévales et nous allons devoir nous y faire : il n'y a pas de quartier récent dans cette ville ! Tout a donc l'air de dater de plusieurs siècles, d'être "dans son jus". En fin d'après-midi, nous arrivons donc devant l'office de tourisme où je suis accueilli assez chaleureusement. Après le tampon posé, j'y vais une deuxième fois pour demander s'il y a bien un réseau de bus dans cette ville et là, stupeur, il n'y en a pas ! Il va donc falloir rejoindre l'hôtel Kyriad, excentré, avec nos jambes qui commencent à crier à ce moment-là...

Nous prenons la direction de la gare. Je peine un peu à suivre mais nous arrivons finalement à destination. Il est 17 h 45. Nous expliquons notre souhait à la guichetière, qui en appelle une autre "en renfort", mais nous avions pris notre trajet initialement sur deux tronçons : Orthez - Pau et Pau - Pont-du-Château, pour des raisons tarifaires que seule la SNCF pourrait expliquer. Ce découpage va compliquer la tâche, et voyant l'heure défiler, les guichetières nous abandonnent finalement juste avant 18 heures car... l'heure c'est l'heure ! Plutôt préoccupés par notre souhait de changer nos billets, nous passons sur cet épisode et finalement, la machine est plus compréhensive que l'humain et nous parvenons à nos fins, sur le même trajet, donc au départ d'Orthez. Auparavant, j'avais étudié les moyens de transport et compris que sur cette voie de Vézelay, il y avait possibilité de rentrer le soir de Saint-Palais, où nous envisageons alors de terminer notre parcours. Pour le trajet, l'affaire est entendue, il reste alors à pouvoir savoir où dormir : pas question de partir de nouveau d'Orthez sans le savoir. Je me dis alors qu'il y a peut-être possibilité de dormir trois nuits sur quatre à l'hôtel Kyriad, que le cas de Saint-Palais est réglé, et qu'il ne reste plus donc qu'à trouver où séjourner à Sauveterre-de-Béarn, pour la fin de la première de ces deux étapes supplémentaires. Là-bas, à ce moment-là, il y a deux options : une chambre d'hôtes, sans garantie de disponibilité, et le camping du Gave, trois étoiles, ouvert jusqu'au 31 octobre. La tente me rappelle alors au bon souvenir et me dit qu'il serait bon de justifier son transport jusque là une deuxième fois, d'autant qu'elle pèse près de trois kilogrammes. J'appelle donc la gérante, et il n'y a pas de problème de disponibilité à cette saison : il y aura de la place, surtout en emplacement libre ! C'est donc parti pour une nuit au grand air, une deuxième, mais avec les équipements du camping à disposition. Et pour manger, a priori, il y a de quoi faire à l'arrivée. J'y reviendrai donc dans l'étape suivante...

Tout est donc désormais calé pour un retour dans trois jours. Je suis soulagé. Le chemin reprend du sens, et je vais entrer, vingt-et-un ans plus tard, au Pays Basque. Il ne nous reste plus qu'à gagner l'hôtel Kyriad avec nos dernières forces. Nous y parvenons au crépuscule. Je suis un peu inquiet par les avis laissés sur Google mais je suis confiant au vu de la solidité de la chaîne hôtelière. Nous n'avons pas l'accueil de la veille mais je me dis que c'est normal, c'est plus impersonnel, c'est un hôtel d'une chaîne hôtelière... Nous pouvons réserver deux nuits consécutives mais pas trois nuits sur quatre, hormis le fait de poser une option sur cette nuit. Dont acte. Nous posons simplement nos affaires, et nous partons en quête de satisfaction du dernier besoin primaire : manger ! Un petit restaurant, La Table du Sud, ne paie pas de mine mais c'est a priori le plus proche et les avis laissés sur Google sont excellents. Va pour le petit restaurant, donc. Une bonne pioche ! Un accueil très agréable, une carte simple mais une cuisine savoureuse, un très bon rapport qualité / prix, je me suis régalé ! Nous repartons donc cette fois le ventre plein, de nouveau en direction du Kyriad, pour une nuit qui ne va pas être celle que nous avions escompté passer là-bas. Mais ça, c'est pour le prochain épisode...


Profil de l'étape : Avec 22 kilomètres, le parcours reliant Argelos à Orthez retrouve une distance digne du chemin de Compostelle. Sans être montagneuse, l'étape est vallonnée, avec deux montées d'emblée qui pourraient peser dans les organismes. S'en suit une traversée de la large vallée du Luy de Béarn, avec une plaine étendue jusqu'au pied de Sallespisse. Dans ce paysage du sud de la Chalosse, les prairies occupent le fond des vallées et les forêts les parties sommitales, qui font figure de collines de basse altitude. La descente sur Orthez est assez longue et il reste encore deux kilomètres à parcourir dans la ville pour rejoindre l'hôtel Kyriad, situé lui sur la route de Pau, dans une dernière montée.






Commentaires