Sur la route de Compostelle - Charente / Pays Basque à pied (2021) - 5ème étape : Saint-Seurin-de-Cursac - Gauriac (14 km)
Le soleil s'est levé depuis un bon moment au gîte L'Estuaire. Sur le papier, une longue étape nous attend encore jusqu'à Saint-André-de-Cubzac, la première vraie ville-étape sur notre périple. Suite aux efforts de la veille, nous nous sommes effondrés avant de pouvoir remettre un peu en état la chambre avant de partir. Je me réveille avant Karima, le sommeil plus léger et je suis sensible au trafic routier qui se trouve juste derrière le mur de la chambre (oui, il y a des gens qui emmènent leurs enfants à l'école ou au centre de loisirs - nous sommes mercredi - et qui vont travailler après !). Rapidement, je réfléchis à plusieurs propositions avant qu'elle ne se réveille, tout en sachant que nous n'avons pas de réservation pour le soir :
- Soit nous tentons de rester sur place pour nous reposer un jour de plus, mais nous ne savons pas si c'est possible, il n'y a rien d'autre à faire sur place et la réservation a été relativement onéreuse.
- Soit nous rejoignons Saint-André-de-Cubzac par la voie verte et par la route, et nous raccourcissons l'étape de plusieurs kilomètres.
- Soit nous raccourcissons l'étape d'environ dix kilomètres et tentons de dormir à Bourg, en prenant un jour de retard sur notre programme (je penche alors plutôt pour cette solution).
- Soit nous rejoignons Saint-André-de-Cubzac par la voie verte et le chemin de Compostelle, qui longe davantage l'estuaire (plus plat), mais au risque d'afficher le même kilométrage au compteur que le jour précédent, avec une arrivée probable de nuit chez ?... car nous n'envisageons pas une nouvelle nuit sous tente à ce moment-là.
Je ne suis pas enthousiaste à l'idée d'opter pour la première solution et après échange avec mon épouse, nous partons finalement sur la deuxième option. Contrairement à hier, ce ne sera pas cette fois le meilleur choix pour notre chemin.
Nous prenons tout de même un petit déjeuner copieux. Karima se transforme progressivement en infirmière et veille à panser les bobos. Nous partons vers 9 h 45 sans plus attendre en direction de la voie verte que nous avions laissé de côté la veille et nous la rejoignons après quelques centaines de mètres, avec Blaye en ligne de mire. Cette fois, la voie verte commence par descendre jusqu'à l'estuaire. Un automobiliste s'arrête et nous indique un gîte jacquaire à Saint-Martin-de-Lacaussade. Nous l'écoutons poliment mais il est évident que nous n'allons pas nous arrêter aussi près du départ, alors que nous sommes en pleine matinée. Au cinquième jour de marche, nous commençons à nous rendre compte du superflu que nous avons emporté. Les ampoules n'ont pas attendu ce jour pour se manifester et je paie rapidement le prix des efforts démesurés des jours précédents. Même en descente, je peine à suivre le rythme et je suis régulièrement dépassé par nombre de joggers et cyclistes qui empruntent cette voie, même un jour de semaine.
Un passage à Blaye... mais qui avait l'odeur du jour d'avant
Vers 11 heures, nous atteignons finalement Blaye. Je suis inquiet tant par la route qu'il reste à accomplir (je pense alors qu'il reste vingt-quatre kilomètres), que par notre état physique. Si Karima tient le cap et semble avoir récupéré des douleurs finales de la veille, elle n'a pas suffisamment dormi cette nuit-là et poursuit ses réveils nocturnes à 3 heures du matin. Je suis tout de même attiré par la pointe de cette petite ville, qui est agitée en ce jour de marché. Comme il s'agit d'une étape essentielle sur notre parcours, Karima prend un temps pour faire tamponner la créanciale à la mairie. Nous faisons une courte pause près de la citadelle de Vauban (Alexis nous avait dit hier qu'il n'y avait que cela à voir là-bas... et l'estuaire bien sûr). Nous n'avons pas l'objectif de la visiter. Surtout, comme sur l'étape précédente, il nous faut trouver où dormir pour le soir. Je téléphone alors à l'office de tourisme local qui nous indique plusieurs numéros. Après plusieurs appels, notre hôte du soir répond et, sans autre solution, j'accepte la chambre disponible même si la voix au bout du fil ne me rassure guère.
A Blaye, il y a de quoi manger mais, fait rigolo, je vois qu'une boulangerie "Johann" se trouve prochainement sur notre route à Plassac et que, d'après Google, elle est censée être ouverte ! Comme il est encore un peu trop tôt pour manger, que nos sacs sont bien remplis et que nous ne sommes qu'à l'endroit où nous devions être la veille, je milite pour prendre la route, un peu triste de devoir laisser le chemin de Compostelle pour la journée.
Nous prenons donc la D 669. Les derniers nuages qui pouvaient donner de l'eau s'en vont définitivement de notre parcours à ce moment-là mais nous conservons tout de même les vestes car nous n'en sommes pas tout à fait sûrs. Je suis à peine rassuré par le fait que nous allons suivre une route goudronnée toute la journée, avec le flux routier qui va avec, entraînant davantage de risques d'accident, mais aussi de bruit et de mauvaises odeurs. Pourtant, pour rejoindre Saint-André-de-Cubzac de jour, c'est le meilleur choix. Karima a de meilleures jambes et trace la route. Nous atteignons Plassac et nous ne trouvons pas de trace de la fameuse boulangerie. Karima trouve la façade de l'établissement qui est visiblement fermée. Une postière s'arrête et Karima lui demande alors si la boulangerie (ou un autre endroit) est ouvert pour manger. La réponse est négative. Les nerfs se réveillent de son côté, les douleurs des pieds aussi, et de mon côté, j'essaie de tenir la cadence et de soutenir le rythme. Je me dis alors que bien lancés, nous arriverons peut-être assez tôt au bout, ou du moins à Bourg, pour trouver de quoi manger et prendre une vraie pause ? Mais la suite ne va pas nous être favorable. Je me suis concentré sur la carte de Google Maps, qui ne montre pas le relief, et je ne me suis pas rendu compte que la D 669, si elle a perdu les voitures qui vont en direction de Bordeaux, gagne alors en pente, en plus d'un tracé qui se tort, donnant encore davantage l'illusion d'une route qui va serpenter dans les collines. Avec les vignes qui sont de retour, nous avons alors l'image des étapes précédentes, et dès lors, la voie verte si paisible a laissé la place à un chemin de croix sur une route qui n'en finira pas. La découverte se transforme en souffrance. Pourtant, je veux tenir le cap. Je sais que la journée sera difficile mais il faut s'en tenir à ce que nous avons choisi, malgré l'énervement de Karima qui voit alors : "Vingt kilomètres de goudron."
Nous ne sommes plus "de vrais pèlerins"...
Dans mon esprit, je suis prêt à plusieurs aménagements, dont celui que nous avons effectué hier et le matin même, c'est-à-dire, prendre un raccourci. Mais je ne suis pas prêt à prendre un moyen de transport autre que nos propres jambes (ou un vélo, mais nous ne sommes pas équipés pour). Karima a repéré sur cette route une ligne de bus et, à bout de nerfs avant d'être à bout de forces, me propose de le prendre. Il me faut un temps avant de l'accepter à contre-coeur. Je m'arrête tout d'abord à un premier arrêt, au milieu de nulle part. Le panneau est un peu abîmé, en tout cas difficilement lisible, hormis quelques horaires. Je comprends que le bus ne s'arrête que toutes les quarante minutes environ en ce début d'après-midi. Karima entend qu'il va s'arrêter dans quarante minutes et, tout juste, deux minutes plus tard, il nous dépasse ! A ce moment-là, je me dis encore qu'une bonne adresse avec un repas régénérateur pourrait encore changer la donne. Mais cette bonne adresse ne vient pas, nous tombons sur un nouvel arrêt et cette fois, nous allons attendre le passage du prochain bus. Il arrive un quart d'heure plus tard. Le chauffeur nous indique de mettre les sacs en soute. Karima propose alors de s'arrêter quelques kilomètres avant pour terminer le chemin mais, au vu de notre état global et de ma méconnaissance du secteur, je préfère dire au chauffeur qu'il faut nous rendre au terminus, soit Saint-André-de-Cubzac.
Alors, je vis la situation un peu comme un échec. Très vite, celui d'abord d'avoir fait un mauvais choix le matin, celui ensuite d'avoir mésestimé un état de forme et surtout de ne pas avoir contrôlé le nombre de kilomètres à effectuer au cours des jours précédents. En bus, nous allons forcément beaucoup plus vite et nous rejoignons la civilisation et le monde réel, que nous avions plus ou moins quittée - c'est mon ressenti à ce moment-là - en descendant du train à Jarnac. Evidemment, nous arrivons à Saint-André-de-Cubzac en milieu d'après-midi et nous rentrons donc en ville (onze mille cinq cents habitants). Je ressens comme une sensation d'inachevé : celle d'avoir abandonné en partie cette étape. Conscients d'avoir tout d'un coup du temps (!), ou en tout cas d'avoir la sensation d'en avoir, nous nous arrêtons au Café de l'Hôtel de Ville où nous entendons pour la première fois l'accent du sud-ouest dans la bouche de la serveuse. Avons-nous changé de région depuis notre montée à Gauriac ?
Après une vraie pause là-bas, nous rejoignons Maïté, notre hôte du soir donc, qui nous confond à notre équipement de pèlerin. Elle est toute surprise de nous voir arriver si tôt, et nous lui répondons que nous étions "en chemin" lorsque je l'avais eu au téléphone quelques heures plus tôt. Et pour cause ! J'éprouve alors une drôle de sensation, celle d'être fatigué mais pas comme au terme d'une étape prévue, celle d'avoir un peu trahi ce que j'avais imaginé aussi. Bon, faisons comme mauvaise fortune bon coeur, me dis-je alors, prenons le temps que nous avons, tirons un trait sur cette journée hors chemin et préparons la suite, en espérant pouvoir repartir sur la voie de Tours ! Maïté a la gentillesse de laver le linge (avec les 12°C annoncés cette nuit, va-t-il sécher ?) et elle nous accueille, ainsi qu'un étudiant en CAP fleuriste visiblement habitué des lieux, sans repas, mais nous le savions à la réservation. Nous partons alors pour le Café de la Gare, délestés de nos sacs, mais pas des ampoules, et arrivés sur les lieux, nous prenons conscience que nous n'avons qu'un seul téléphone portable (le mien)... et donc un seul pass sanitaire ! Il faut revenir sur nos pas (mille six cents mètres aller-retour), ce que je peine à faire. Karima me laisse en route et me retrouve ensuite après avoir récupéré son téléphone chez Maïté. Au Café, nous retrouvons... la ville, avec sa population autrement habillée que nous, ses serveurs qui veulent afficher un certain standing, et le tarif qui va avec. Demain, c'est sûr, il n'y aura pas de mauvaise surprise, je vais davantage contrôler le trajet et nous savons déjà que nous dormirons à l'hôtel. Et surtout, nous allons reprendre notre marche vers Compostelle.



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