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Mexique : un voyage pas comme les autres (1ère partie : Saint-Etienne / Paris)

Oui, ce voyage de l'autre côté de l'Océan Atlantique ne ressemble à aucun de ceux que j'ai connus auparavant. J'ai choisi cette destination pour le coeur, que ce soit d'abord pour la personne qui m'a attendu pendant plus d'un an, mais aussi quand même un peu pour la langue, et aussi pour changer de vie. Il y avait bien plus et bien autre chose que la raison pour me pousser à partir, car après tout, je n'étais pas dans une situation insupportable en France. J'avais une raison d'y vivre et d'y travailler mais je ressentais l'appel d'un ailleurs, le besoin de sauter par-dessus le vide pour vivre une autre vie, préparer d'autres projets, aimer différemment, me confronter à une autre réalité, qui allait colorer mes jours alors que ceux-ci étaient devenus linéaires. J'avais besoin de voir l'autre côté de l'écran cette maison d'où j'écris ces lignes aujourd'hui, de me réinventer, et de repartir sur d'autres bases.

J'ai quitté la Semerap, mon employeur, le 31 octobre et la petite commune de Bussières-et-Pruns le 4 novembre dernier. En fait, j'avais commencé à quitter ce monde en octobre 2024. J'étais rentré du Camino Primitivo avec une seule idée en tête, et une seule personne, celle qui est en face de moi en ce moment, était au courant de mes intentions. Petit à petit, puis de façon exponentielle au cours des dernières semaines, mes intentions se sont dévoilées. J'ai préféré garder le secret, pour éviter d'être assailli de questions qui n'allaient pas me faire dévier de ma route, pour rester discret, pour mieux construire ce projet qui a connu de multiples rebondissements, après que trois potentiels futurs employeurs n'aient pu m'embaucher. Finalement, cela s'est concrétisé, d'une manière que je ne pourrai dévoiler puisque certaines informations doivent rester en quelque sorte "secret d'Etat". Mais je suis bien arrivé au Mexique, et plus précisément à Santiago de Querétaro, et une nouvelle vie a commencé pour moi le 18 novembre.

Direction donc l'aéroport de Roissy Charles-de-Gaulle pour un nouveau départ. Je suis parti de Saint-Etienne avec émotion, et une température proche des gelées, à presque 6 h 40 du matin, dans la nuit, et à pied. Ce départ hors du temps pour un voyage hors du commun me ressemble. Je jette un dernier regard en arrière sur mon père et cette maison qui a été celle où j'ai grandi, celle où j'ai passé vingt-deux ans de ma vie, une génération. Je marche vers mon objectif, sans me retourner davantage pour ne pas être envahi par l'émotion qui ne demande qu'à submerger. J'ai de la peine à réaliser que ce voyage improbable se concrétise enfin, avec une sacoche remplie de documents précieux, un sac à dos bizarrement presque vide et une seule valise d'environ dix-sept kilos. Le chemin de Compostelle est passé par là et j'ai décidé de ne partir qu'avec mon essentiel (il me manquera d'ailleurs un adaptateur valable et du papier pour écrire suffisamment à l'arrivée), bien loin des soixante-dix kilos du Pérou, dix ans auparavant. J'ai laissé le passé en chemin, à Bussières-et-Pruns, à la déchetterie, dans la maison familiale, pour une nouvelle aventure. Quinze jours plus tard, je ne semble pas regretter ce choix de m'être séparé d'objets affectifs à dix mille kilomètres de là.

Sans se retourner, mais pas sans émotion

J'ai environ deux kilomètres à effectuer pour rallier la gare de Saint-Etienne Bellevue. La route est éclairée, je ne suis pas gêné par le trafic à cette heure encore assez matinale. Le bonnet vissé sur la tête, les gants pour me protéger du froid, je poursuis ma route tout juste gêné par le fait que les lacets de mes chaussures ont la fâcheuse tendance à se défaire. Je franchis le pont sur la RN 88 et je rentre dans la ville. Je suis la rue Robespierre, que je connais depuis que j'ai vu le jour, et je passe devant le fournil Saint-Honoré. Adriana souhaitait que je lui rapporte des pains au chocolat, comme lors du Camino Primitivo où j'avais failli perdre mes bâtons de marche à Hendaye juste avant de traverser la frontière. Je fais les calculs : la file d'attente dépasse la façade de la boulangerie, et je ne dispose que de quinze minutes pour rallier la gare. La veille, j'avais pris soin d'étudier le parcours le plus adapté. J'arrive finalement avec cinq minutes d'avance avant de monter dans le premier train du jour, une très longue journée, et ces cinq minutes précieuses me permettront d'avoir un déroulé par la suite assez confortable jusqu'à l'embarquement à l'aéroport.

Je pensais pouvoir étendre mes jambes, mais le train est bien rempli. Il a probablement démarré depuis Firminy pour rejoindre Lyon-Perrache et je pense alors que tout le monde va rejoindre la capitale des Gaules. Mais il n'en est rien. Des voyageurs montent et descendent à chaque arrêt jusqu'à Givors-Ville et, grâce à ce va-et-vient fréquent, je parviens à trouver une place somme toute assez confortable. A l'arrivée à Lyon, sous un soleil radieux, je dispose d'une demi-heure pour rallier le quai d'embarquement du OuiGo à destination de Lille Flandres. La vieille gare de Perrache, atypique, ne facilite pas les correspondances. Je le sais depuis longtemps. Ce temps m'est précieux pour repérer le point de départ du TGV, ce qui me permet aussi de passer chez Paul, certes plus cher qu'à Saint-Etienne, pour rapporter les précieuses viennoiseries. Je peux embarquer sous le soleil, sous un temps moins froid qu'au départ, mais les voyageurs mettent du temps à s'installer. Finalement, pour un voyage d'environ deux heures, je prends place sur la banquette plutôt que sur mon siège attitré, et, au bout d'un périple sans histoire et oubliable, je rejoins l'aéroport comme prévu, avec un peu plus de quatre heures de marge avant le décollage. 

J'avais initialement opté pour un départ de Madrid-Barajas, avec la compagnie Iberia, mais quelques semaines avant de réserver le billet, j'ai constaté que la compagnie aérienne espagnole avait fait monter les prix. J'avais aussi fait le choix d'attendre la confirmation du rendez-vous à l'Office de Migrations de Mexico pour prendre le billet. Deux semaines avant le départ (!), j'ai donc opté pour Air France, certes plus chère au départ, mais dont la politique de prix est stable. Surtout, cela me laissait un jour de préparation supplémentaire, et m'évitait un trajet européen plus long, et finalement, peut-être tout aussi coûteux. La compagnie nationale française m'avait laissé un très bon souvenir, avec une prise en charge impeccable en rapatriement d'Haïti, huit ans auparavant. Alors ce choix m'avait paru le plus judicieux. Je quitte la gare de Roissy Charles-de-Gaulle par l'élévateur pour rentrer dans l'aéroport et je vois rapidement le tableau des départs / arrivées avec les destinations mondiales. Je revenais alors dans un monde qui a toujours été un ménage de fascination et de crainte : mon rapport à l'avion est si particulier que je suis saisi à ce moment-là d'une émotion difficilement descriptible, et je la vis seul. Karima n'est pas là. Son fantôme apparaît une dernière fois ici, jusqu'au moment où je vais rentrer dans la cabine, quelques heures plus tard. Etrange sensation.


Un Boeing 777 d'Air France nommé "Saint-Etienne"
Aéroport de Roissy Charles de Gaulle - 18 novembre 2025

Retour à l'aéroport

Ma première idée est d'emballer la valise, la seule qui partira en soute. Je fais tout d'abord le tour du hall pour prendre connaissance des lieux. Je vais tout au bout, l'angoisse monte d'un cran mais je dois agir pour éviter d'être envahi par l'émotion. Il n'y a pas foule et ça me rassure, les guichets d'Air France sont partout. Je remarque le poste où je vais faire filmer la valise, je vais tout au bout du terminal pour ranger quelques affaires avant que celle-ci ne soit avalée quelques minutes plus tard par le tapis roulant. Un voyageur s'approche, il n'est visiblement pas français, et fait procéder à l'emballage. J'observe la scène, les deux employés du stand, et je me jette à l'eau pour quinze euros. Je n'ouvrirai le colis qu'à Mexico. Je me dirige ensuite vers les guichets et, vu que je n'ai pas mis les pieds dans un aéroport depuis 2017, je m'adresse à une hôtesse. Elle m'indique le bon guichet, je m'adresse à une autre hôtesse qui m'indique je dois imprimer ma carte d'embarquement à la machine située à l'entrée. C'est chose faite, je retourne la voir et vu mon côté penaud, elle exécute les formalités et habille la valise d'un "MEX" symbolique. Je peux passer et me diriger vers le guichet n°8 qui m'est attitré. Il n'y a personne, j'attends quelques minutes avant de réaliser... qu'il n'y aura jamais personne ! C'est bien un ordinateur qui me parle, alors je suis ses instructions : la validation des objets autorisées, la pesée (le poids est conforme à celle que la balance m'avait donné au départ), le contrôle par scanner et hop, la valise est avalée par le tapis roulant et disparaît.

C'est la première fois que je m'adresse à la machine à ce type d'endroit. Ce ne sera pas la dernière. Après quelques foulées pour rechercher le poste de contrôle, je passe par les portes automatiques des ressortissants européens. Je dois retirer la protection de mon passeport et scanner mon visage. Bizarrement tout cela me rassure. Je suis maintenant de l'autre côté, et je fois me rendre au terminal de départ, le 2 B, via un métro. Il n'y a pas plus de monde en ce jour de semaine classique, et j'arrive finalement à bon port. Dès la sortie, le panorama change. Du hall qui faisait face aux voitures d'arrivée, au-dessus de la gare, je me retrouve maintenant face aux pistes et aux avions, presque tous d'Air France. La double émotion mêlée revient : la fascination face à ces machines volantes est égale à la crainte qui m'a toujours accompagnée. Parfois, la première prenait le dessus sur la deuxième, surtout suite à un vol sans problème. La deuxième l'emportait dans d'autres circonstances. J'ai passé du temps à revisionner des décollages et des atterrissages, à lire un ouvrage apaisant, à me rassurer sur mes expériences passées et à me concentrer sur tout ce qui n'est pas "avion". Et je vais répéter jusqu'à l'embarquement ce que j'ai fait pendant des mois : me concentrer sur tout ce qui n'est pas relié à l'appareil. 


L'avion à direction de Mexico
Aéroport de Roissy Charles de Gaulle - 18 novembre 2025

J'avale un bon sandwich, ma dernière expérience culinaire sur le sol français, et un médicament pour lutter contre la nausée. Deux heures avant, le Boeing 787 est amené à la passerelle. Je le fixe un instant. Un avion de la Japan Airlines arrive aussi et je suis content de ne pas le prendre. Les minutes passent et l'embarquement est annoncé. Les fantômes du passé reviennent, ils m'accompagnent sans me hanter. Je ne suis pas le premier de la file, loin de là, je rentre avec les autres passagers et je pénètre dans la cabine. Je peine à cacher mes larmes derrière mes lunettes. L'équipage me souhaite la bienvenue à bord, je rentre tête basse et je lève peu à peu la tête. Dix ans plus tard après le Pérou, je quitte le sol français avec le même objectif mais seul. Ce ne sont pas des larmes de peur, mais d'émotion. C'est comme si Lima avait été changée en Mexico. Ce sont des destinations extraordinaires. C'est l'Amérique, l'Amérique Latine, un moment hors du commun dans une vie, un privilège, quelque chose d'exceptionnel, à part pour les hauts placés et les habitués. Cette fois, contrairement à la dernière fois, la Business Class n'est pas pour moi. J'ai droit à un siège plus étriqué (je vais d'ailleurs me battre avec l'espace tout au long du vol) et je dois laisser passer tous les passagers avant de m'installer. Comme il y a longtemps, j'ai choisi un siège couloir plein centre, pour ne rien voir, et pour ressentir le moins de sensations possibles. 

Un couple aimable de personnes âgées mexicaines est installé à côté de moi. La dame me demande d'échanger, à tort, ma place contre la sienne, mais je n'en fait pas cas car le fait de me retrouver en 21 G au lieu d'en 21 D ne fait que me changer de couloir. Les passages s'installent progressivement, les portes se ferment, la routine de sécurité sur écran peut se dérouler. Le 787 roule vers la piste, et sans s'arrêter complètement, accélère progressivement avant de prendre son envol. Sur un avion de cette taille, je ne ressens presque rien et je ne vois que le ciel à travers les hublots. Le décollage se déroule parfaitement. J'ai presque oublié que j'étais en vol. 


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