Sur la route de Compostelle - Camino Primitivo (2024) - 5ème étape : Tineo - Colinas de Arriba (21 km)
La pluie s’est enfin arrêtée sur Tineo. Les prévisions météorologiques ont été respectées, et pour ce jeudi 3 octobre, annoncent un temps variable, frais, avec quelques éclaircies, et ces prévisions vont se vérifier tout au long de la journée. Elles vont d’ailleurs parfaitement coller au terrain, lui aussi variable, fait de passages dans toutes les conditions, d’une sente boueuse au bitume ensoleillé.
Nous ne sommes pas à notre aise dans cette auberge La Plaza, sans doute davantage nommée ainsi en raison de sa situation géographique plutôt que de l’espace intérieur, qui fait défaut. Nous ne le retrouvons que partiellement, surtout à l’aide du départ de nombreux pèlerins même si, au moment de notre propre départ, il en reste encore quelques-uns à se reposer. Le dortoir s’est vidé et, réveillé comme d’habitude assez tôt, je pars jeter un œil vers les chaussures plus haut. Adriana avait trouvé une petite place la veille pour les suspendre à l’envers au-dessus d’un des rares radiateurs, et par bonheur ce matin il est opérationnel. C’était la première fois que nous utilisions le talc, petite poudre blanche et vestige de l’entre-deux voies à Bordeaux, chez la pharmacie de Fanny. Le talc nous aidera d’ailleurs beaucoup sur le Primitivo, tout d’abord pour absorber l’humidité (il sera d’ailleurs très efficace sur ma peau fripée la veille au soir, mais aussi sur mon portefeuille) et à la fin pour absorber les odeurs corporelles des chaussures.
Pour ma part, je ne dispose que de peu de temps entre le moment où je me rends compte qu’il y a de nouveau de la place pour disposer mes chaussures sur le radiateur et le moment du départ effectif. Alors qu’elles avaient subi le passage dans la flaque épique, les chaussures d’Adriana sont sèches mais pas les miennes, qui restent encore humides. Je n’ai pas la possibilité de faire mieux, sinon de rajouter encore une couche de talc supplémentaire, et je devrai démarrer l’étape les pieds humides, ce qui n’est jamais bon. Mais, ce jour, la pluie ne tombera guère et le travail de séchage se terminera à l’auberge du soir.
Notre premier arrêt s’effectue tout juste après quelques mètres, à la boulangerie du village. Je dois désormais composer sans mon téléphone, et ceci pendant les onze étapes restantes, en plus du voyage retour ; et c’est là une donnée que je commence à intégrer. Mais, alors que nous nous élançons encore une fois assez tardivement sur cette étape bosselée de 21 kilomètres, nous devons patienter le temps que la boulangère revienne : elle est partie pour une raison indéterminée et est de retour « bientôt ». J’évalue notre attente à une quinzaine de minutes, et, après avoir pris commande visuellement devant la vitrine somme toute plutôt alléchante, Adriana se charge de récupérer notre petit-déjeuner. L’envie de pain au chocolat se faisait sentir.
Cela dit, alors que nous nous sommes à peine ravitaillés dans l’auberge (un thé ? un fruit ? un yaourt ?), nous partons pour cette étape dont le départ pourrait ressembler à la veille : il a fallu descendre pour atteindre le centre de Tineo, il nous faudra remonter avec un pourcentage assez fort (10 % ?) pour dominer la ville et, chargé de mon package de près de 8 kg, je peine à suivre le rythme mexicain ce matin-là. Je sais pourtant par expérience qu’il ne faut jamais forcer l’allure sur Compostelle, et que mes jambes doivent aussi trouver leur rythme pour être à leur aise. La pente s’adoucit, et peu à peu, nous finissons par atteindre le sommet de l’étape, à près de 900 mètres d’altitude, soit un dénivelé positif accompli d’environ 250 mètres. Le sentier est parfois étroit mais jamais dangereux, il donne simplement l’impression, dans cette alternance de forêt et de passage plus aériens, de nous emmener en pleine nature.
Un des derniers hameaux avant la montagne
3 octobre 2024 (Photo d'Adriana)
La lumière du jour, enfin
Nous croisons quelques pèlerins, dont la majorité sont espagnols, et le ciel, gris jusque-là, commence à se découvrir ce qui n’est pas pour nous déplaire. Malgré tout, l’étape de la veille a laissé des traces et, si nous sommes au sec pendant une grande partie de la journée, le chemin lui ne l’est pas et c’est en toute logique que nous continuons à affronter la boue et les pierres, mélange d’automne peu ragoûtant mais nécessaire pour suivre ce Primitivo. A la montée succède un long passage descendant, assez peu compliqué au vu de la pente mais davantage au vu des conditions du terrain, et, alors que nous arrivons à un croisement, nous peinons à comprendre la signalisation. Nous sommes dans la forêt et nous mettons un moment à intégrer la suite du chemin, car une borne ne nous semble pas bien orientée : l’une d’elles indique clairement la descente vers le monastère d’Obona, alors que l’autre semble revenir sur nos pas. Nous nous concertons, Adriana utilise toujours l’application Buen Camino et, résolu à écouter ce que me dit le terrain, nous arrivons à la même conclusion : il nous faut poursuivre notre descente dans la continuité de notre parcours effectué jusque-là.
Nous retrouvons la lumière à Villaluz, la bien nommée, à la sortie de la forêt, un peu avant la moitié de l’étape. Nous y marquons là une vraie pause, de plusieurs dizaines de minutes, et j’en profite pour essayer de sécher quelque peu mes pieds. Nous croquons dans notre réserve de pommes, aussi pour alléger le poids de mon sac (quelques centaines de grammes sont toujours bons à perdre) et découvrons que nous ne sommes pas les seuls à avoir faim : une petite chienne Jack Russell intrépide et bien grassouillette quémande de la nourriture aux pélerines de passage. A l’évidence, elle est d’ici et son maître ou sa maîtresse, qui demeurera inconnu(e), est complice de la situation. Celle-ci, visiblement habituée à voir passer des bâtons de marche, des coquilles Saint-Jacques et des chaussures de randonnée semble bien déterminée à obtenir sa gourmandise à tout prix. Et les pèlerines cèdent face à la petite bouille animale. Un chat s’aventure aussi peu après, pas du tout farouche, mais n’obtiendra pas le même succès.
La température toujours aussi fraîche dans ces contrées de moyenne montagne, nous nous remettons en route… sur la route et traversons plutôt à plat Berrugoso et Las Tiendas. Je reconnais là le passage de Luis et Désiré, deux andalous qui ont effectué le Camino Primitivo en août 2022 et qui ont remarqué à juste titre que le lieu-dit Las Tiendas (« les boutiques » en français) n’était composé que d’une seule maison. Je me sens en hauteur désormais (pourtant à ce moment-là à seulement 600 mètres d’altitude) mais vivifié par le ciel bleu enfin dominant, et par la vision sur les montagnes environnantes. Après une courbe à gauche, nous arrivons à Campiello, un peu après la mi-étape et là, Adriana avait coché l’auberge Casa Herminia. Beaucoup de pèlerins en avaient fait de même, et cet endroit me rappelle ma stratégie du Camino Francés : ne pas m’attarder, me ravitailler au cas où l’étape atteint ou dépasse les 20 kilomètres, pour arriver en tête de file à l’auberge l’après-midi, procéder au lavage du bonhomme et de son attirail pour prendre le temps de réserver l’auberge suivant l’étape du lendemain. Oui mais voilà, depuis avril, la donne a changé. Je voyage avec quelqu’un qui n’a pas les mêmes besoins ni la même anatomie que moi et, après tout, je ne suis pas là pour faire la course mais pour partager le chemin avec elle, car, de surcroît, nous habitons dans deux continents différents. Jusqu’à présent, il n’y a que le Camino pour nous réunir. Et, de plus, toutes les auberges sont réservées, alors je suis moins calculateur que je ne l’étais.
La borne ou le choix pour tous les pèlerins, pour nous ce sera "Hospitales"
Entre Borres et Samblismo - 3 octobre 2024 (Photo d'Adriana)
Un tremplin vers les hauteurs
Sans téléphone, je suis complètement ouvert à ce que le chemin me propose et me laisse plutôt porter par ce que je découvre. Mais la petite mexicaine a déjà tout coché et s’arrête stratégiquement pour refaire quelques provisions de mandarines, de cacahuètes et de yaourts. Je découvre à cette occasion une autre manière de prendre le petit-déjeuner, complètement différente des produits à base de pain et de farine, et jusque-là j’ai plutôt bien résisté. Il est vrai que la joie d’être sur le chemin et de le partager à deux me remplit pleinement ; je sais aussi qu’en cas de coup de moins bien, de l’un ou de l’autre, j’ai toujours des raisins secs, bananes séchées et trois pains au lait dans la poche supérieure du sac à dos. A Campiello, dans cette unique auberge dévoilant sa large terrasse, il y a du monde et les pèlerins répondent encore une fois à l’affirmative à l’un de mes théorèmes : la boisson et la nourriture attirent les gens, encore plus sur un tel effort physique de longue durée, si particulier soit-il ; pour récupérer, dialoguer, rencontrer, partager, se restaurer, parfois sécher les affaires, se soulager… Tous les moyens sont bons et il n’y a que quelques personnes bizarres de mon espèce qui y souscrivent moins. Même les cyclistes, plus nombreux sur ce chemin qu’en avril, s’arrêtent aussi.
Une fois passé Campiello, la fin d’étape approche. Elle va consister en une succession de petits villages où il n’y a pas de services à disposition. Toujours entourés d’autres pèlerins, mais cheminant plutôt à deux, sur cette étape dont la fin classique est Borres (d’autres pourraient poursuivre jusqu’à Pola de Allande), nous devinons maintenant la grande étape de demain : celle qui doit nous conduire à Berducedo par Los Hospitales et le Puerto del Palo, un des sommets de ce Primitivo. A l’horizon, au-dessus de Borres maintenant clairement visible, nous devinons des montagnes un peu plus élevées, et nous tentons de nous projeter. Après El Espín, nous atteignons donc Borres, après près d’une heure de marche, et la fatigue se fait sentir en nous, comme souvent lorsque nous approchons des vingt kilomètres. C’est là que le poids du sac commence à se faire sentir pour moi, que les douleurs dans les pieds commencent à résonner pour Adriana, et que mentalement, il est temps d’en terminer.
Nous profitons d’une dernière pause à la sortie de Borres, la troisième de la journée, pour nous désaltérer, et laissons partir quelques pèlerins en avant. Celle-ci est assez courte mais néanmoins nécessaire : une pente avec un dénivelé de soixante mètres nous fait face, certes un peu cachée mais visible, et il nous faut aborder cette dernière difficulté avec force. Nous venons de laisser il y a peu un carrefour important, majeur sur notre chemin : celui qui mène à Los Hospitales. Nous avions hésité dans notre préparation à choisir entre deux possibilités : celle de rejoindre Berducedo par Los Hospitales ou par Pola de Allande, sachant que la première possibilité est plus courte et plus facile que la seconde, mais qu’en temps de brouillard et / ou de pluie, celle-ci est fortement déconseillée. En effet, des pèlerins se sont égarés là-haut, à près de 1 200 mètres d’altitude, pendant plusieurs jours.
Adriana a eu l’idée géniale de réserver l’auberge Los Hospitales de Colinas de Arriba, par sa situation géographique. Située sur la route de Pola de Allande, cette auberge nous permettait quoi qu’il arrive de choisir l’option de la route à suivre la veille, sans modifier les jours de réservation à Berducedo. Pour l’atteindre, nous devions passer par La Mortera, en descente, avant d’arriver à une dernière butte finale, d’une quarantaine de mètres de dénivelé, nous menant à un plateau.
La vie à l’auberge : Une fois arrivés sur le plateau de Colinas, nous avons poursuivi notre route sur le chemin, délaissant sur notre gauche Colinas de Abajo (d’en bas) pour Colinas de Arriba (d’en haut). Nous traversons la route AS-219, qui connecte Luarca à Pola de Allande, pour trouver rapidement l’auberge… mais aussi la redoutable pente pour l’étape du lendemain. Une de mes inquiétudes était de savoir comment rejoindre la voie normale de Los Hospitales : j’ai ma réponse sous les yeux à l’arrivée.
Nous sommes accueillis à l’auberge par un jeune couple de trentenaires, et, pendant qu’Adriana remplit les formalités habituelles d’entrée, je remarque tout de suite que la construction de celle-ci a été financée en grande partie en 2022 par des subventions de l’Union Européenne. Cela me donne des idées, mais je n’en saurai pas plus au cours de la soirée. En bon géographe et cartographe, je suis aussi happé par la vision de l’itinéraire du Primitivo, et je la fais partager à Adriana : comme toujours, l’étendue du chemin paraît surréaliste et pourtant, grâce à notre foi sur cette expérience si spéciale, nous ne doutons pas d’y arriver.
Dans cette auberge, nous ne sommes pas les premiers arrivés, loin de là, car, toujours sur notre rythme de tout juste trois kilomètres à l’heure en raison de notre difficulté commune à affronter le terrain boueux et caillouteux, nous n’avançons pas très vite. Claudia est là, et aussi Susana (dont nous pensons que le prénom est Marta), un docteur qui vient de Gérone, ainsi que le groupe d’Israéliens avec qui nous voyageons à distance depuis plusieurs étapes.
L’auberge est effectivement moderne mais, alors que nous devions séjourner en chambre, nous nous retrouvons dans un dortoir à couchettes de quatre personnes, mais uniquement pour nous deux. Nous avions aussi la possibilité de maintenir notre réservation dans la chambre, mais il nous aurait fallu utiliser les sanitaires à l’extérieur, et finalement, Adriana tranchera pour l’utilisation de sanitaires qui nous sont propres. Elle s’est aussi arrangée pour discuter du prix avec nos hôtes, et pour moi, qui n’a pas pu sécher complètement les papiers à Tineo, le fait d’être seuls est une très bonne opportunité pour tout étendre et ranger un sac qui était encore resté humide. L’auberge est propre, moderne, fonctionnelle avec un repas communautaire à prix très raisonnable (12 euros), composé d’un plat combiné avec salade / tomate (une habitude donc aux Asturies ?) et un riz / poulet généreux, ressemblant à une paëlla, sans en avoir toutes les caractéristiques. Nous avons le ventre bien garni, mais, perchés à 760 mètres d’altitude, nous percevons un changement de temps notoire : avec la nuit, l’humidité et le brouillard sont de retour alors, après le dîner, nous ne nous éternisons pas à l’extérieur. Après un échange verbal pas toujours simple, notre hôte s’est chargé de laver et de sécher le linge, ainsi que de le disposer dans un panier à linge pour nous. J’ai tout de même l’impression, que le lendemain confirmera, qu’il veut tout contrôler. Nous nous endormons donc dans cette ambiance montagnarde, moderne mais un peu rustique, en pensant à l’étape du lendemain, celle qui doit nous emmener vers les sommets…
De Tineo à Colinas de Arriba (Google Earth)
Profil de l'étape : Le parcours est assez bien représentatif du Camino Primitivo. La distance moyenne de 21 kilomètres se fait ressentir une fois passé Borres, car le parcours vallonné, et débutant d'emblée par la sortie de Tineo en ascension, ne laisse guère de répit. Heureusement, la succession des hameaux, notamment Villaluz, Borres et Campiello, permet au pèlerin de reprendre des forces avant d'arriver sur le plateau final.
Par ici la suite ! 6ème étape : Colinas de Arriba - Berducedo (21 km)


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