Sur la route de Compostelle - France / Espagne à pied (2024) - Retour en France (2ème partie)
Il est environ 6 heures du matin à l’Hostal Balea de Saint-Sébastien. J’ai préparé mon sac à dos la veille, prêt à partir. Je n’ai juste qu’à quitter la chambre, encore complètement endormie, ou sinon faisant semblant. Je passe simplement quelques minutes au bloc sanitaire. Une autre personne est tout de même réveillée, je la salue cordialement, et je m’en vais. Il s’est peut-être écoulé tout juste un quart d’heure.
Les rues de Saint-Sébastien, en ce samedi 27 avril, sont éclairées. Il fait encore nuit. Pour moi elle a été assez courte, mais je vais pouvoir bientôt me reposer. Je suis encore équipé comme un pèlerin, je n’ai pas voulu ranger la coquille dans le sac, je vais l’emmener avec moi jusqu’au bout, jusqu’à la maison. Je me guide, une fois n’est pas coutume, avec Google Maps, alors que jusqu’à la veille, j’avais suivi les petites flèches jaunes. Je suis le fleuve Urumea vers l’aval, et je découvre, au détour d’une rue plus sombre, la gare d’accueil pour prendre le Topo.
Le Topo, c’est le surnom donné à l’Euskotren, qui relie au plus long les villes de Bilbao, la plus grande ville du Pays Basque, et Hendaye, en France, juste de l’autre côté de la frontière. Je suis seul à cet endroit et le jour se lève à peine. Je prends mon billet, grimpe à l’étage dans cet espace impersonnel et rejoint le quai. Je vais attendre là trois quarts d’heure, jusqu’à l’arrivée du Topo, qui ressemble davantage à un train de banlieue, voire à un métro. Je l’emprunte donc jusqu’à Hendaye pour mon dernier voyage espagnol. Il y a un groupe de jeunes français dont l’un est particulièrement turbulent et / ou souhaite se faire remarquer. Il se fait interpeller par le service d’ordre, qui le ramène au calme assez rapidement.
Long is the Road
A Hendaye, l’ambiance est paisible. Je passe le portique à la sortie de la gare, ce qui me rappelle que j’ai bien fait d’acheter mon billet physiquement. Je fais le parallèle avec une sortie de gare à Barcelone il y a plusieurs années, où, bien chargé, j’avais dû demander au service de sécurité d’intervenir pour m’ouvrir car le billet ne correspondait pas à ce que la machine demandait. Je dispose d’à peu près d’une heure devant moi, alors j’en profite pour prendre un petit déjeuner là et emporter un pan bagnat à la boulangerie d’à côté, car ensuite, mes correspondances ne me permettront guère de m’arrêter pour déjeuner. Il y a tout un groupe de jeunes qui attend visiblement le cas, mais la queue qui s’est formée à l’intérieur de la boulangerie ne m’inquiète pas outre mesure.
Je suis curieux néanmoins de découvrir cette frontière que j’ai passé quelques dizaines de minutes auparavant, alors je retourne en arrière à pied, et traverse le pont routier Saint-Jacques (!), comprenant alors qu’une autre voie de Compostelle passe là sur le fleuve Bidassoa, qui fait office de frontière entre France et Espagne. Je rentre donc pour la dix-huitième fois en Espagne et je vais faire un petit tour à Irún, une ville plus grande qu’Hendaye, moins chère aussi bien sûr, malgré la présence de commerces des deux côtés.
Le fleuve Bidassoa, entre Hendaye à gauche (France) et Irún à droite
27 avril 2024
Le trajet va durer à peu près quatorze heures, sans véritable histoire. J’entends parler pour la dernière fois en espagnol dans le TGV Hendaye – Paris Montparnasse, car une famille se déplace apparemment dans la capitale pour y passer une semaine de vacances. Je descends du train à Bordeaux, pour une correspondance de vingt minutes à la gare de Saint-Jean, suffisante pour rejoindre ensuite un autre train pour Limoges, où je fais la connaissance d’une pèlerine à vélo plus âgée, de Riom (!) soit là où je travaille. Nous parlons bien sûr un temps du chemin, et cette pèlerine, enseignante dans la vie de tous les jours, a déjà effectué plusieurs périples à travers l’Europe.
A Limoges, nous n’avons que six minutes de correspondance. La pèlerine avise le contrôleur de ce temps réduit, mais il fait signe que tant que nous n’avons pas passé Périgueux, il ne peut pas nous renseigner ni intervenir pour faire attendre le train suivant quelques minutes. Il n’interviendra d’ailleurs pas. De mon côté, avant d’arriver à Limoges, je me suis connecté sur SncfConnect pour prendre connaissance des voies d’arrivée et de départ, ainsi que du plan de la gare de Limoges. J’en informe ma pèlerine du jour, la dernière personne avec qui j’échangerai sur ce séjour. Arrivé à la gare, nous sommes donc bien renseignés (merci l’application) et nous pouvons prendre le train suivant sans peine.
J’ai malgré tout couru, avec tout mon chargement sur le dos, mais je me suis rendu compte assez vite qu’il n’y aurait pas de souci. Le contraste de ce temps qui court est saisissant avec celui qui va passer ensuite, dans un train me ramenant, un samedi après-midi de printemps plutôt couvert, vers le centre de la France. Je suis dans une rame avec un certain nombre de personnes âgées, silencieuses, la mine inexpressive et, ayant connu le mouvement pendant plus de trois semaines, je ne me sens pas à ma place dans cet immobilisme roulant. Il n’y a qu’une seule voiture dans ce train régional, et les minutes seront longues jusqu’à Montluçon.
Là-bas, je dispose d’une dernière correspondance d’un peu plus d’une heure de nouveau, suffisante pour visiter la ville que je ne connais pas bien. J’en profite alors pour me balader sur l’Avenue Max Dormoy, en face de la gare, et sur le Boulevard de Courtais, qui forme un boulevard de ceinture du centre administratif de la ville. Je ressens immédiatement que je suis en France, au-delà de la langue et des conversations qui viennent évidemment frapper mon oreille. L’allure des bâtiments, mais aussi le langage corporel, notamment des serveurs qui œuvrent en terrasse, est saisissant et me ramène dans ma culture d’origine. J’achète quelques provisions pour le moment et pour la soirée, car il ne reste plus grand-chose à la maison, et repart ensuite prendre mon dernier train vers Aigueperse.
Le dernier tronçon à l’arrivée, de deux mille huit cents mètres à pied, est étonnant. Equipé comme un pèlerin, et malgré les kilos sur le dos, j’ai l’impression de le réaliser avec facilité. Les mètres se font sans peine et mon corps, peut-être frustré de ne pas avoir marché depuis deux jours, peut enfin se déployer. Ces deux jours m’ont permis d’effectuer mentalement la transition avec le retour à la vie sédentaire.
J’écris ces lignes presque deux mois après mon retour. En réalité, mon chemin continue. Je suis toujours sur le chemin. Bien que je ne les eusse pas perdus, il m’a regonflé de vie, d’espoir, d’amour, presque de foi. Plus que jamais, ce n’est pas la destination qui est importante, mais le chemin. Ce n’est pas vous qui faites le chemin, c’est lui qui vous fait. Le plus difficile est de fermer la porte de sa maison au départ, ou de quitter l’auberge. Le reste n’est qu’une histoire qui vous est racontée au fil de vos pas, un costume que vous enfilez pour vous retrouver plongé dans un voyage qui va vous emporter là où vous ne pouvez pas imaginer, même si votre itinéraire est tracé. Malgré son histoire millénaire, le Chemin ne garde pas de mystères, il ne fait que révéler ceux qui sont enfouis en vous.



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