Alsace : un conte de Noël spécial
Ecrit à Bussières-et-Pruns,
Nous sommes en décembre 2008. Je vais avoir vingt-sept ans et je suis entré dans ma dernière année d'études. A cette époque, j'ai passé le BAFA il y a tout juste un an à Barcelone et je profite de chaque période de vacances scolaires (où je ne travaille pas dans les cantines scolaires et dans les études surveillées) pour voyager en Europe et me faire un peu d'argent de poche. Je suis encore Tanguy et plus très loin de la sortie.
Animateur désormais aguerri avec une dizaine de séjours de vacances au compteur, et assez âgé parmi mes collègues, je tente l'expérience d'un encadrement de personnes en situation de handicap adultes (ce sera le seul pour moi à ce jour) dans l'association Vacances au Présent. Je ne me souviens pas du mode de recrutement si ce n'est que l'association existe toujours aujourd'hui et elle est toujours basée à Fontaine, dans la banlieue grenobloise. Comme il s'agit d'un encadrement d'adultes, le Bafa n'est pas une obligation pour l'encadrement, mais, si je suis heureux d'avoir vécu cette expérience du point de vue de la découverte du public et de la région, elle reste dans mon souvenir comme une épreuve très dure pour le sommeil. Le revers de la médaille est qu'il y a souvent des encadrants peu ou pas qualifiés qui sont recrutés à (très) bas coût pour s'occuper de personnes un peu laissées pour compte, comme au mois d'août, à une époque où les foyers d'accueil sont fermés. En tout cas, c'était la situation de 2008.
Pourquoi l'Alsace ? Je ne m'étais jamais rendu dans la région, et il y avait la perspective d'effectuer un (court) crochet en Allemagne. J'ai conduit le minibus de la région lyonnaise à la région lyonnaise, avec un intermède par le siège isérois, avec un timing serré et une consommation de carburant décomptée à la goutte. Un peu sec pour une entrée en matière après un Noël neigeux fêté en famille. Je me souviens du briefing et du moment où nous avons accueilli les adultes sur ce qui devait être le parking de la Doua. Certains groupes de personnes en situation de handicap attendaient d'être au complet, et partaient ensuite sur leur lieu de séjour directement avec leurs encadrants. De mon côté, j'ai attendu très tardivement (la fin d'après-midi il me semble), avant que la directrice du séjour, Claire, n'arrive sur le parking d'embarquement et me demande de prendre le volant pour l'Alsace. Elle venait juste de recevoir son classeur de direction de trois cents pages. La première nuit promettait déjà, avec des températures proches de zéro et une longue route vers Kertzfeld, lieu de notre séjour. A vrai dire, je n'ai pas trop le souvenir du voyage aller, mais davantage de l'arrivée où nous avons été accueillis par une charmante propriétaire. Et la tombée de la nuit, surtout en ce 27 décembre, était déjà passée par là depuis longtemps.
Une expérience particulière.
Il fallait garder de l'énergie pour s'installer et il en faut lorsque vous avez avec vous un tel public, que nous avons découvert, plein d'humanité, mais avec ses besoins particuliers. Par exemple, un couple ne sait pas forcément faire sa chambre, surtout lorsque ce n'est pas la sienne. Le lendemain, nous avons découvert un paysage alsacien figé, givré et la température de la semaine n'a jamais été positive pendant tout le séjour. Il a fallu aménager des temps pour chacun dans ce bel espace, proposer des temps d'activité forcément réduits : je me souviens de quelques points marqués au scrabble par le même couple en difficulté devant la chambre à préparer, mais l'essentiel était bien ailleurs : participer et surtout profiter du temps de vacances qui leur était offert. Même confortablement logés, nous n'étions que deux encadrants, avec la pauvre Claire qui devait jongler entre l'organisation d'un séjour qu'elle découvrait à peine, les besoins de remplir un réfrigérateur pour sept personnes, le cahier des charges qui imposait la visite de certains incontournables et les joies de la vie quotidienne avec le groupe.
Les quais de l'Ill à Strasbourg, un après-midi de réveillon - 31 décembre 2008
Car il faut bien accorder des temps particuliers à ces adultes, certes globalement plutôt autonomes, mais qui ne se connaissent pas et sont parfois "sans filtre". Malgré tout cela, nous sommes tout de même parvenus à visiter les fameux incontournables et à découvrir une Alsace hivernale, givrée, brumeuse quand il n'y avait pas de brouillard mais finalement globalement accueillante. Nous avons pris le temps de prendre un café et d'écouter le fort accent de la gérante à Benfeld. Nous avons arpenté le centre historique de Colmar et ses maisons à colombages. Nous nous sommes aussi rendus à Ebermunster pour voir l'Ill et l'église, rivière que nous avons retrouvée plus tard dans la capitale de région, Strasbourg. J'ai été frappé par le style moderne de la gare, et saisi également et logiquement par les vapeurs du vin chaud, qui réchauffe en cet hiver 2008 glacial. Le groupe a vraiment apprécié la visite du centre de Strasbourg, et du marché de Noël, animé, où il a profité d'une sorte de "quartier libre". Il faut dire que c'était le dernier jour de l'année.
Un pays bien givré entre deux nations, mais si chaleureux, avec une incursion en Allemagne.
Il restait le clou du spectacle : prendre le bac à Rhinau et passer de l'autre côté du Rhin à Kappel, pour entrer en territoire allemand, juste quelques dizaines de minutes. Nous sommes allés jusqu'à Kehl. Pour beaucoup, la traversée du fleuve par le bac était une découverte et à vrai dire, je n'avais pas le souvenir d'en avoir connu avant. Depuis, j'en ai connu une autre sur le Saint-Laurent, avec les baleines en ligne de mire, incomparable. Mais le Rhin en Alsace est déjà un fleuve respectable. Le bac avance et ne fait pas de bruit, et le groupe s'émerveille devant ce spectacle du quotidien. Dans cette ambiance de pré-réveillon, nous abordons la ville de Kehl et je me retrouve devant quelques personnes en sachant que je ne pourrais pas échanger beaucoup de mots, sauf peut-être en anglais. La seule image de l'Allemagne qui s'offre à moi est celle que je connais depuis la France : carrée, rigide et austère. De ces quelques minutes, de ce laps de temps infime dans une vie, je garde le souvenir d'une ville propre, sage et silencieuse, d'autant plus que nous étions en hiver et que la nuit était tombée, comme si nous étions presque en permanence de l'autre côté du cercle polaire. Nous en avons profité pour prendre quelques photos avec toutes les personnes accueillies près d'une statue, et nous sommes rentrés à Kertzfeld, gagnés par la fatigue.
L'austère église aux cloches incessantes - Kehl (Allemagne) - Décembre 2008
Avec Claire, nous avons mis un dernier coup de collier pour le réveillon. Après tout, il fallait bien que l'on donne nos dernières énergies pour ce public fort sympathique, alors nous avons sorti tous les jeux de société possibles et Claire a passé une première nuit blanche. Je n'ai dormi que trois heures, avant d'aborder le jour de l'an avec un seul objectif : faire l'inventaire et tout ranger ! Ce n'était pas une partie de plaisir car il fallait passer du temps avec tout le monde dans chaque chambre, mais également s'occuper de ceux qui étaient déjà prêts et attendaient le repas du soir. La nuit tombée, nous nous sommes lancés dans un dernier rush, une nouvelle nuit blanche cette fois pour tous les deux, avec la préparation des repas à prendre le lendemain car c'était dimanche, et nous n'avions plus le budget pour acheter quoi que ce soit en route ! Alors nous avons donné notre maximum pour préparer salades, verrines et sandwiches. Au petit matin, nous avons pris congé de notre hôte, en l'ayant remercié pour l'accueil et nous avons embarqué pour Lyon, sur une autoroute brumeuse. J'ai pris le volant en prenant soin de rouler le plus longtemps possible, au moins jusqu'à l'Isle-sur-le-Doubs, pendant que Claire dormait dans une ambiance feutrée. Ensuite, je suis tombé dans les bras de Morphée, épuisé par le manque de sommeil des deux derniers jours.
Nous avions atteint notre objectif : permettre à un groupe de personnes en situation de handicap, adultes, de passer de bonnes vacances, et de partir à la découverte d'une région, l'Alsace, avec le bonus allemand en prime. Cette région, si ballottée par l'Histoire, m'est apparue à ce moment-là si paisible et je me souviens que le passage en Allemagne était étonnamment facile, comme un pied de nez à ce qui s'était produit là un peu plus de soixante ans auparavant. Nous avions à peine vu l'autre côté au pont de l'Europe avant de franchir la frontière fluviale, quelques jours plus tard. Mais, au-delà d'avoir été dilué par les années, je ne peux conserver qu'un souvenir partiel et rempli d'effluves, entre les vapeurs du vin chaud strasbourgeois et la brume d'un mois de décembre givré. Cette région gagnerait à ce que je la redécouvre sous un jour plus chaud, plus vert, et à ce que je la raconte à nouveau dans le cadre d'une autre expérience.


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