Haut de page

Le verre à moitié plein

L'article a été particulièrement difficile à lancer. Je suis à la veille du séminaire intermédiaire, soit le deuxième en Espagne et le troisième depuis le début du Service Volontaire Européen. J'ai du mal à réaliser que je vais retrouver l'Andalousie, quatre ans après. De cette région d'Espagne, qui est plus qu'une région, qui est plus qu'une communauté autonome, j'ai conservé des souvenirs merveilleux, même si je n'en ai vu qu'une partie infime. Le nom lui-même porte la lumière. Séville, toute blanche, festive, joyeuse, n'en est pas restée énigmatique, bien que marquée par une âme inoubliable. Mais il s'agira de se pencher sur Malaga, ou sa proche banlieue, à une heure de bus, au cours de ce séminaire qui sera peut-être mentalement plus court que le voyage, mais plus intense aussi.

Car il s'agit une nouvelle fois de traverser l'Espagne, après avoir pris le bus il y a quinze ans pour traverser un froid plateau castillan. En 2006 donc, je vomissais dans les avions de la compagnie Iberia, me vaccinant définitivement vis-à-vis de l'objet volant identifié le plus rapide du monde. De ce chapitre dont je vais encore écrire une page, je ne sais rien, même si j'ai le sentiment que le temps de visite d'une des plus grandes villes d'Espagne sera extrêmement compté, me rappelant ainsi les courtes échappées hivernales foréziennes où je me dépêchais parfois, avant que la nuit ne tombe. Car je ne vais séjourner en Andalousie que quatre jours, dont deux complets seulement, beaucoup trop peu pour humer encore l'âme de ce pays magnifique, qui gardera encore Grenade, Cordoue, Jaen, Huelva, Marbella et Cadix comme des territoires secrets. Sans compter les innombrables vicus qui le composent.

Vicus.

Encore un nouveau mot, dans une nouvelle langue. Ou plutôt, une ancienne, puisque ce mot qui signifie "hameau" en latin est la source étymologique de Vigo, plus grande ville de Galice. Revenons quelques temps en arrière. Deux jours seulement après mon retour en terre corognaise, j'ai souhaité partir à la découverte de cette ville de trois cents habitants, avec la charmante compagnie d'Anete, une jeune volontaire lituanienne qui réside à Padrón, entre La Corogne et Vigo.


Joie sur patins à glace au-dessus de la mairie de Vigo
9 janvier 2011

Il se disait que la ville avait plusieurs centres, plusieurs origines, plusieurs personnalités mais qu'on finissait par s'y attacher. Pour une fois, le train arrive en plein coeur de la ville (du moins, le coeur identifié) et ceci se révèle bien pratique pour pouvoir visiter et revenir à bon port à temps. Bon port, il s'agit presque d'un jeu de mots lorsque l'on sait que le port de pêche de Vigo est le plus important d'Europe. Vu du meilleur point de vue, car à première vue, Vigo vaut surtout pour ses quartiers aux ruelles tordues, ses maisons sans dessus-dessous et son castro, le port ne paraît pas si grand mais à y regarder de plus près, les cultures existent dans une bonne part de l'immense ría.

Les Islas Cíes, à peine deux jours après le départ de Saint-Etienne, relativisent la longueur des trajets et apparaissent comme une promesse. Montagneuses, elles ferment effectivement la ría, et barrent l'horizon, de manière assez incomplète toutefois pour ne pas pouvoir contempler l'infinité de l'océan qui n'a que l'horizon et par delà l'Amérique comme seules limites. Les visiterai-je un jour ? Réputées protectrices de la ría vis-à-vis des antiques envahisseurs, elles sont aussi célèbres pour être un véritable paradis de biodiversité. Pourtant, elles ont servi autrefois de repaire à la flotte anglo-hollandaise, qui bien cachée, piégea la flotte franco-espagnole chargée de piécettes au retour d'une quête américaine. Les vainqueurs sont repartis avec la majorité du butin mais il se murmure qu'une partie du trésor reste enfouie au fond de la ría.

Que retenir de Vigo ? C'est le début du verre à moitié plein, ou à moitié vide. Cinq heures suffisent-elles pour faire le tour d'une ville de trois cents mille habitants ? D'après les guides, nous avons visité l'essentiel, musées exceptés. Parfois, les musées apportent beaucoup sur la connaissance du territoire, des lieux, des hommes, comme au cours d'un après-midi pluvieux à Lugo. Alors il y a peut-être à repasser, Vigo ayant incontestablement du charme, avec ce quartier mystérieux du Berbès, son minuscule barrio historique, dont Majorette ou Burago semblent avoir répliqué les cathédrales voisines. Le repas pris au restaurant Oh Vigo ! s'est révélé décevant, tant par la saveur fade du repas que par l'accueil, tout juste formel. A 12 h 30 un dimanche, nous étions semble-t-il arrivés trop tôt. Passons. Notre dessert sera donc cette montée interminable de cent soixante mètres pour atteindre le castro, idéal pour les balades du dimanche en famille, avec une vue sur toute la ville, à 360°. Un bâtiment a malheureusement subi le feu. La mairie a poussé sur les ruines du castillo, dans le plus pur style moderniste des années 1970. Il reste au point le plus haut, heureusement, un beau jardin, très vert, très printanier, où se retrouvent de nombreux couples de tous âges et de tous horizons, pour partager le temps de quelques heures la douceur et l'intimité d'un rendez-vous amoureux. Il s'agit bien là d'un point typique des Espagnols, qui vivent souvent dans l'instant, aimant autant leur pays qu'ils contestent leurs politiciens, accordant une importance fondamentale à la famille, parfois malmenée mais primant par-dessus tout. Janvier nous rappelle malgré tout que le froid, même relatif, peut nous cueillir et nous préférons rentrer vers le centre, du moins l'identifié, plutôt que d'assister à un probable coucher de soleil enchanteur. Le port, les parcs ornés de statues où trônent les mouettes, les allées aménagées pour les skateurs, le modernisme de l'architecture donnent même, sur un espace relativement réduit, des allures de Barcelone, sans pour autant que Vigo ne se prenne pour la capitale catalane. Il y a donc tout pour faire de cette rivale n°1 de La Corogne une place forte, commerciale, industrielle, vivante, dont l'avantage est aussi de se situer (presque) sur la route de Braga, de Porto, du Portugal.

La nature ordinaire.

C'est un des slogans du Parc Naturel Régional du Pilat (en France, près de Saint-Etienne), ou l'art de réhabiliter et de préserver politiquement ces petits bouts de territoires mystérieux, qui n'ont rien de légendaires et de mythiques mais qui, parce qu'ils appartiennent à la même Terre, ont façonné l'histoire des gens. J'ai entrepris dimanche dernier d'achever le parcours du Río Mero, qui relie Cecebre à Perillo. Ces noms ne vous disent sans doute rien, car il s'agit de faubourgs de La Corogne. Déjà que peu de Français savent que La Corogne est en Espagne et encore pire au nord du Portugal...


Les couleurs de la campagne corognaise
16 janvier 2011

J'ai quelque peu sous-estimé la distance de cette autoroute pour joggers et bicyclettes mais il a bien fallu sept heures pour faire l'aller retour entre le Ponte Pasaxe (qui relie La Corogne à Oleiros), et la Presa de Cecebre (barrage hydro-électrique). Sept heures sans grande pause, c'est à peu près vingt-cinq kilomètres, soit ma troisième randonnée journalière la plus longue après le Charmant Som en 1995 (je n'avais que 13 ans) et l'ascension du Lac des Neuf Couleurs (vallée de l'Ubaye) en 2000. C'est donc la plus longue donc en plaine à ce jour. Le paysage n'était pas une récompense (le barrage n'a rien d'exceptionnel, ni le parcours) mais il faut reconnaître que le sentier est remarquablement tracé et toujours très propre. De cet effort solitaire, j'ai retiré des enseignements précieux par rapport à mon projet futur de relier la Loire à Saint-Jacques-de-Compostelle, sur mes capacités physiques, mes limites.

Des femmes de caractère.

C'est à partir de ce moment-là que sont venus se poser des questions essentielles sur mon avenir à moyen terme. La dernière semaine n'a pas été facile, entre jeunes au comportement perturbé par la pleine lune et un fichu rhume dû aux sautes de température et à l'humidité ambiante mais elle augure de jours meilleurs. Nous sommes en plein milieu, en plein chantier. Ma pratique de la langue est meilleure qu'en septembre, parfois excellente, mais souffre elle aussi de sauts désagréables. A moyen terme (horizon 2012), je ne suis pas tranché. Je ne peux pas concevoir ne pas enseigner, ne pas être au contact de jeunes, plus ou moins jeunes, mais plus jeunes que moi. J'ai aussi curieusement toujours été entouré de femmes de caractère. La professeur de français a maté la révolte des hormones cette semaine et les jeunes redoutent ses décisions radicales, dont ils ont pourtant besoin pour avancer. Sur le terrain, nous sommes complémentaires. Elle m'a montré une voie pour enseigner le français en Espagne. En Galice, en Catalogne et au Pays Basque, cela serait très compliqué car il faut un niveau C de pratique de la langue. Je lutte pour atteindre ce niveau en castellano, le titillant parfois mais j'en suis pleinement capable. Dans ces communautés aux revendications indépendantistes plus ou moins affirmées, l'apprentissage de la langue à ce niveau-là semble très difficile. Heureusement, il me reste la majorité du territoire espagnol... D'autres femmes de caractère m'ont conseillé de passer le CAPES-Agrégation de Géographie, qui n'est pas plus simple mais en français, langue maternelle. Avec l'espoir, mince mais réel, d'enseigner à terme en Espagne. Je garde le Doctorat au chaud, j'ai d'autres projets à long terme.

En bref, nous avons fêté ce week-end l'anniversaire d'une collègue volontaire italienne, Alice, de Santiago, avec vingt-cinq ans au compteur. Crêpes troyennes et gâteau stéphanois au chocolat, menu français donc, et premiers repères pris pour Maris, notre nouvelle colocataire estonienne. L'occasion aussi de partager des souvenirs communs de cet autre pays d'Europe.


Commentaires