Algérie : au nom de tous les miens
(Ecrit à Bab Ezzouar, dans la wilaya d'Alger).
J'avais perdu la bonne habitude d'écrire en cours de route. C'est le deuxième jour d'un séjour d'une semaine. La Maison Familiale de Saint-Laurent-de-Chamousset (Rhône) s'est accordée une pause d'une semaine dans son rythme effréné. Comme j'y suis salarié avec ma fiancée Karima, cela tombait bien. L'heure avait sonné de réaliser ce voyage si particulier, que j'avais imaginé il y a dix-sept ans, au cours des racines les plus profondes de ma famille, côté père. Car côté mère, les racines sont elles aussi bien enterrées, mais dans la Loire, à moins de remonter à des temps immémoriaux.
Sur les traces de mon grand-père
Finalement, l'histoire de ce voyage en Algérie ne se date pas. Mon grand-père en est la pierre angulaire, car c'est lui qui a franchi en son temps la Méditerranée. Il a posé ses valises en France et a fait son bout de chemin. La mer a fait la déconnexion familiale. Elle est bien trop longue pour pouvoir y implanter un pont. Le résultat a fait que la famille a été morcelée. Et il s'agissait de recoller ces quelques morceaux. Mais aussi de voir au-delà.
Notre famille a conservé un bout de terre en Kabylie, dans la région de Béni-Ourtilane. Et puis son histoire s'est déplacée dans la capitale, à Alger. C'est ce chemin que j'ai tenté de retracer, en marche arrière.
En tant que citoyen français, il n'est pas possible de voyager en Algérie sans visa. Ce visa n'est pas simple à obtenir. Il coûte 85 €. Un certain nombre de documents sont nécessaires : une attestation d'hébergement en Algérie, des justificatifs de domicile, un passeport à jour six mois avant la date de fin de validité. Dès le passage au consulat, j'ai senti que les Algériens étaient nombreux. Le consulat de Saint-Etienne est beaucoup plus ouvert mais pour autant le précieux sésame est difficile à obtenir. A Lyon, la délivrance du visa est particulière. J'ai fait ma demande devant un employé du consulat qui avait laissé la courtoisie chez lui. Et treize jours plus tard, j'ai obtenu le visa sur le passeport presque à la volée, à un moment où il ne fallait pas que la porte se referme... Dans le couloir du deuxième étage, au consulat de Lyon, toutes les portes sont fermées et les employés nous prennent rapidement de haut. L'agence Air Algérie de Lyon manque aussi manifestement de personnel. J'ai commis l'erreur de me tromper de dates dans le choix des billets sur le site Internet de la société. J'ai dû aller à l'agence de Lyon, pour modifier les dates, attendre une heure devant un guichet unique et régler 120 €. Le ton est donné.
Place au voyage en lui-même. Le retour devant mon grand-père, huit ans après (!), m'a permis de faire le point sur la famille vivant de l'autre côté de la Méditerranée. Air Algérie a mis en place un avion bondé de monde, avec une demi-heure de retard due à un mouvement social à l'aéroport d'Alger. 1 h 45 de voyage sans histoire m'a permis de découvrir un visage bizarrement familier. Je n'avais jamais mis le pied sur le sol africain et j'ai commencé par voir un rivage vert, gris, humide ; bien loin du Sahara pourtant proche. Le premier visage de l'Algérie est un visage banal mais désorganisé. L'attente à la sortie de l'avion a été longue, il y eut le passage au contrôle des passeports et l'attente d'une heure à la récupération des bagages. Pourtant, c'est un plaisir d'attendre, de voir ce qui va se passer de l'autre côté.
L'Algérie, du tiers-monde à la modernité
Je dois remercier Farid, mon cousin, pour le réseau extraordinaire qu'il a en Algérie. Il a tenté il y a quatre ans d'établir l'arbre généalogique de la famille et il a retrouvé la souche stéphanoise dont je suis issu. L'aéroport d'Alger, pourtant grande capitale, n'apparaît pas énorme. Nous l'avons quitté rapidement, accompagné par deux connaissances de Farid, dont un de ses étudiants en anglais, pour rejoindre "Le Village", un quartier populaire, dans la banlieue est d'Alger (Bab Ezzouar). Il y a plusieurs kilomètres de distance et pourtant tout paraît proche. Nous découvrons alors un appartement, à 100 € par mois, qui serait difficilement louable en France. C'est un peu le Tiers-monde, bien que cette appellation n'existe plus. Il n'y a pas d'eau chaude, des toilettes turques, des fils électriques qui pendent, des prises décrochées, un plafond qui se détache... et c'est du même tonneau dans les douches publiques. La douche coûte d'ailleurs 60 dinars (environ 0,05 €). Tout le quartier est ainsi. Tout est de bric et de broc.
Terrain de football à Bab Ezzouar (banlieue est d'Alger)
2 mars 2014
A première vue, l'image paraît peu rassurante. Les rues sont sales, poussiéreuses, boueuses, puisque le goudron ne résiste pas à l'épreuve du temps. Les trottoirs sont défoncés, les mauvaises herbes sont envahissantes. Les chats malades n'ont peur de rien ni de personne. Le soir, beaucoup de jeunes sont dans la rue à vaquer à des occupations diverses. Sauf à Alger, ou un soir de semaine, tout est vide. Il faut dire que la semaine commence le dimanche, puisque le vendredi est saint et donc... comme férié.
Le marché est à ciel ouvert et les petites affaires sont monnaie courante. Nous sommes allés jusqu'au stade de football du quartier. A côté, le stade de Furiani en 1992 paraîtrait sans doute moderne. Il n'y a qu'une seule tribune en l'état, les autres sont en réfection. Tous les regards se portent sur moi. Je ne porte pas mon nom sur mon visage européen. Et pourtant je ne suis pas étranger.
Karima devant la Grande Poste d'Alger
3 mars 2014
Il reste à découvrir Alger, de nuit puis de jour le lendemain. La ville est grande certes, mais pas écrasante. Le blanc est tout de même imposant. Dans une cité aujourd'hui apaisée, l'histoire est à chaque coin de rue, au pied d'une statue, devant le Milk Bar. Le blanc est symbole de paix et pourtant il marque une guerre de huit ans. La France est là dans chaque enseigne, dans toutes les grandes artères, dans l'architecture, dans les journaux, dans les voix de nombreux passants, à la radio. L'arabe passe quand même en premier dans les ruelles, dans les gargottes. Là, ni l'anglais, ni l'espagnol, ni le... galicien n'y peuvent quoi que ce soit. Dans les marchés, les petites boutiques, les prix sont très accessibles. La baguette coûte dix dinars... mais dans les grands centres commerciaux, les prix sont identiques à la France. Les loyers sont modestes mais la propriété est hors de prix. Les étudiants sont aisés, profitant de l'essence à très bas coût (dix dinars le litre !) et les bourses gouvernementales, non remboursables, se montent à cinquante mille dinars par mois !
Le code de la déroute
Les réseaux de transports sont très disparates. Il y a trois millions et demi de véhicules à Alger et les difficultés de circulation sur la route en sont la conséquence. Il y a les heures de pointe et puis plus rien. Youcef nous guide dans son taxi au jour le jour. Pour conduire en Algérie, il nous dit qu'il ne faut surtout pas respecter le code de la route. Et c'est vrai. La bande d'arrêt d'urgence est la quatrième voie. L'autoroute qui mène à Tipaza est coupée par des engins de chantier mais la circulation est tout de même autorisée ! Régulièrement, nous voyons des gens traverser l'autoroute et des élevages de brebis juste de l'autre côté de la barrière. Les autobus ont trente ans d'âge. Un jeune contrôleur vient récupérer les pièces lorsque les gens descendent.
Le réseau est plus moderne côté rail. Les trains sont assez modernes, en tout cas en apparence, mais sont relativement lents. Le métro est par contre large, moderne et très pratique. Tout comme le tramway (RATP), il est géré par les Français, le temps de former et de passer la main dans quelques années aux Algériens.
Ruines romaines à Tipaza
4 mars 2014
Le temps des élections va arriver dans quelques semaines. Les journaux, dont le quotidien El Watan (La Patrie), critiquent ouvertement la candidature du président sortant, Abdelhaziz Bouteflika, malade et vieillissant. Pourtant, l'autoroute de Tipaza est bardée de petits drapeaux nationaux. Le drapeau porte les couleurs de l'islam (vert), de la paix (blanc) et du sang des martyrs (rouge). Le soir, alors que je suis arrêté près de l'école où travaille Farid, je suis abordé par un groupe de jeunes fiers de leur pays. Ils rappellent qu'il faut encourager l'équipe nationale qui joue le lendemain contre la Slovénie à Blida. C'est qu'il y eut un conflit en 2009 à la suite d'un barrage qualificatif de l'Algérie contre l'Egypte. Le président a demandé la mise en place d'un pont aérien pour aller jouer sur terrain neutre au Soudan. La route entre les deux pays n'est effectivement pas la plus sécurisée du monde. Des intérêts égyptiens et algériens ont été attaqués des deux côtés.
Retour vers le passé à Tipaza
Tipaza, à soixante quinze kilomètres à l'ouest d'Alger, a été l'occasion de visiter de belles ruines romaines et de prendre une bonne bouffée d'air frais. L'occasion de constater aussi qu'il y a largement de quoi mettre en valeur ce patrimoine historique et de mettre en place des circuits, des aménagements et... des guides. Les informations essentielles nous ont en effet été apportées par un jeune responsable de la sécurité, dépendant du ministère de la culture, dans un franco-arabe curieux. Là une basilique, une tombe de musulmans... et de chrétiens sur laquelle il importe peu de marcher selon lui ! Ce fut aussi le lieu de voir que la mer avait largement grignoté sur la ville romaine. C'était un des rares moments de beauté esthétique du séjour... même s'il y eut de vrais moments de beauté émotionnelle, au contact des enfants comme des personnes les plus âgées.
Ighil Nait Malek, Beni Ouartilane, Petite Kabylie : la quête de mes origines
La route, encore. Des policiers de partout, des barrages routiers, la peur du terrorisme après une décennie noire (les années 1990) et de guerre civile. Et quelques mots sur les langues. Pour terminer ce séjour, le clou du spectacle, après d'excellents repas et découvertes familiales... le déplacement à Ighil-Nait-Malek, dans le village de Beni-Ouartilane, dans la petite Kabylie. Le village de mon arrière-grand-père, des mes ancêtres médiévaux. Cinq cents cinquante kilomètres aller-retour au départ de Bab Ezzouar. La pluie au programme, en tout cas dans les montagnes et sur l'autoroute Est-Ouest déjà à refaire...
Karima et Farid à Ighil Nait Malek (Beni Ouartilane)
7 mars 2014
Dans ce pays de villages de briques non achevés, de casses automobiles, de Taxi jaune 505 Peugeot, de voitures spéciales pour le tiers-monde, de 4L, de pressoirs à huile antiques, se cache mon village originel. Car la Kabylie est un pays de tribus, le village est un ensemble de clans, et les Benmalek auraient été les premiers à s'installer. Du village traditionnel demeurent de vieilles maisons de pierres, la mosquée qui culmine au sommet, le Rocher Percé, et beaucoup de questions : où se cache le cimetière ancien ? Que sont venus chercher nos ancêtres ici, après être allés à Bejaïa (Bougie) et être partis de M'Sila, aux portes du Sahara, vers le Xème siècle ? Même les anciens du village, aux yeux d'un bleu clair extraordinaire, n'ont pas la réponse... Et si nos ancêtres avaient lutté contre les Français, dont je porte aujourd'hui la nationalité ? C'est avec ces questions en tête mais aussi plein de souvenirs que j'ai repris l'avion pour Lyon, avec presque deux heures de retard, grâce à Air Algérie...


Commentaires
Enregistrer un commentaire