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Un épilogue

C'est la fin d'une histoire d'un an et demi. Si le projet SVE s'est déroulé en Espagne pendant neuf mois, sa genèse a nécessité sept à huit mois supplémentaires. Tout avait réellement commencé lorsqu'un jour de janvier 2010, à la recherche d'une possibilité de rebond à la suite d'une thèse universitaire d'une durée de six ans et deux mois, j'avais décidé de franchir la porte de l'AFIJ (Association Française pour faciliter l'Insertion des Jeunes Diplômés) à Saint-Etienne. Là-bas, j'ai pris connaissance d'un forum sur l'Economie Sociale et Solidaire à Lyon, avec un aller-retour gratuit jusque dans la capitale des Gaules. Arrivé à Lyon sans prétention, j'ai rencontré Audrey Perron et l'ADICE Rhône-Alpes, toutes fraîchement implantées à Grenoble. L'aventure était alors lancée avec ma future association d'envoi.

Le SVE, un parcours pour une aventure.

Une semaine après être rentré, le SVE n'a pas fondamentalement changé ma vie mais il a servi à me déterminer pour le futur. Il y a deux façons de voir les choses mais je retiendrai la positive. La première serait celle d'être un pion minuscule dans un programme mineur de l'Union Européenne, permettant de boucher une case dans la liste des programmes accessibles. Effectivement, lorsque vous disposez d'un appartement et que vous êtes une dizaine, avec un espace réduit, vous vous demandez quelle place, quel rôle vous jouez d'autant plus que vous n'êtes pas rémunérés. Rester sur cette image serait faire bien mauvaise publicité au SVE et je suis convaincu, d'autant plus en étant géographe, qu'il s'agit d'une vision bien incomplète et erronée de la situation. Le SVE, c'est d'abord une aventure dans lequel vous pouvez vous engager si vous avez entre dix-huit et trente ans, l'âge étant la seule condition d'accès. Ensuite, il vous appartient et j'insisterai sérieusement sur ce point, de contacter une association d'envoi des plus sérieuses.

J'ai longtemps cherché une association d'envoi à Saint-Etienne et j'ai appris pendant mon projet qu'il en existait désormais une. Aller à Grenoble lorsque l'on a des revenus temporaires et faibles n'est pas chose aisée mais l'appel de l'Espagne était trop fort pour y renoncer. L'affaire était ficelée.

L'heure des choix.

Rien ne dit que vous allez partir. Il faut être mobile et comprendre que le projet idéal, taillé pour vous, n'existe pas. Pourtant, vous allez l'aimer. Quand j'ai revisionné ma présentation de thèse hier soir, j'ai eu l'impression de ne plus rien y comprendre. Le SVE doit vous enrichir personnellement, peut vous enrichir professionnellement mais il ne doit pas vous dérouter (despistar en espagnol, peut-être plus approprié). Notre chemin de vie n'est en effet pas toujours goudronné mais bien souvent caillouteux, comme les pistes du désert. En mars, dans le grenier d'un chalet de Valloire (Isère), en train de préparer une veillée pour une classe de neige, Audrey Perron m'a appelé pour me signifier que je partais neuf mois à La Corogne. Un cadeau m'était tombé du ciel. J'avais vécu ma soutenance de thèse le 7 décembre 2009 comme un aboutissement, un soulagement et j'étais dans un jour de transe, dans une bulle, hyper-concentré, avec un sentiment d'invincibilité très particulier. En ce jour de mars et jusqu'à mon départ, il y avait une joie intérieure, véhiculée par le fait de vivre une expérience de longue durée dans un pays que j'aime profondément. Rien ne fut facile pourtant jusqu'au 15 septembre, date du départ.

Un rêve à prolonger.

Quelque part dans notre vie, il y a une volonté de vivre quelque chose d'exceptionnel, de privilégier le plaisir, le bien-être, à l'opposé du néant, de la mort. Bien sûr, en comparaison de ce qui se passe ailleurs en Europe ou dans le monde, la France a - matériellement - une situation privilégiée. Nous vivons dans une société où l'exigence, la rapidité, les prouesses technologiques sont à l'ordre du jour et j'ai à peine quitté ce monde en Galice. Le plus important est d'avoir en permanence cette sensation de nouveauté, d'anti-routine, qui fait que l'on peut être plus heureux là où l'on n'a pas fait le tour de la question. Le français est trop facile, comme l'allemand est trop facile pour les Allemands et Autrichiens ou l'italien pour les Italiens... Communiquer en langue étrangère, pour peu que l'on en maîtrise les rudiments, est jouissif...

Je compare souvent cette situation avec le joueur de tennis qui apprend à varier ses prises de raquettes, à effectuer un smash de revers, à changer ses services. A quoi bon jouer et essayer de prendre du plaisir si le jeu consiste simplement à toucher la balle avec la raquette ? Quel sentiment auriez-vous si vous étiez seulement capable de faire passer la balle au-dessus du filet avec Rafael Nadal en face ? Vous auriez l'impression de vivre dans un autre monde et d'être perdu. Parfois, dans le SVE, vous pouvez effectivement vous retrouver dans des situations périlleuses : que faire si, dans un contexte non anglophone, personne ne vient vous chercher à l'aéroport d'Erevan (Arménie) ou à la gare de Vigo (Galice) ? Que faire lorsque vous découvrez les prix en lats affichés dans un supermarché d'un petit village letton, un soir d'hiver, avec -25°C ? Cette situation aventureuse m'est inconnue mais cela signifie qu'il ne faut pas se croire arrivé.

Bien sûr, le SVE n'est pas que la langue et celle-ci prend d'ailleurs des proportions plus ou moins marquées en fonction de votre projet. Parfois, ce fut cette fois mon cas, le projet indiqué en anglais est d'ordre générique et vous pouvez vous retrouver quelque peu surpris à l'arrivée. J'ai cela dit disposé d'une marge de manoeuvre dans mon champ d'action et le Colegio Andaina m'a laissé un mois complet pour m'adapter. La situation peut être différente. Vous pouvez vous retrouver dans une situation où vous ne percevez pas toujours votre indemnité à temps, où vous mourrez d'ennui ou au contraire vous êtes surexploité. Ce n'est pas parce que j'ai vécu un rêve que la situation est similaire pour tous. L'humain a ses défauts, les pays ont leurs réalités mais celui qui ne tente rien n'a rien et le jeu du Service Volontaire Européen en vaut largement la chandelle.

L'exotisme, le plaisir de la langue font partie du rêve. Celui de rencontres de personnes merveilleuses l'est aussi. Ceci, vous ne pouvez pas le savoir à l'avance, vous ne pouvez pas l'inclure dans vos objectifs à réaliser par ordre de priorité. Vous pouvez simplement l'espérer. Peu de volontaires vous diront qu'ils n'ont rencontré personne d'intéressant, porteur de valeurs humaines remarquables. Ce n'est pas qu'il n'y a pas de gens formidables en France mais ils sont à portée. Combien de fois, en ville, dans le train, les bouches ne se délient pas et restent cousues ?
Citer les personnes dans le projet serait une injustice. Ce n'est pas tous les jours que l'on rencontre un jeune barman travaillant essentiellement de nuit déguisé en suédoise, un clown amoureux de l'Italie dévalant les rues en monocycle ou une autre volontaire avec qui l'on partage l'appartement et qui organise des journées géantes de concours de jonglage. Les personnes sans artifice sont aussi très bien, car elles peuvent un jour décider de vous inviter à revenir pour faire cinquante kilomètres de marche à leurs côtés, entre le port militaire du nord de l'Espagne et un sanctuaire à boutiques rempli de légendes.

Le dernier ingrédient du rêve, c'est le décor. Chacun a son rêve. Nombre d'images de plages des Seychelles aux eaux turquoises ont été véhiculées, ou d'autres répondent au nom de Cancun, Tahiti, Saint-Martin ou Marrakech. Tout dépend de ce que l'on vient y rechercher. J'ai autant rêvé dans un café-bibliothèque nocturne dans l'Alto Bairro lisboète que devant le stade Santiago Bernabeu éclairé, en passant par la fabuleuse muraille d'Avila. La plage de Santa Cristina, quotidien des habitants de Perillo, restera aussi dans mon rêve. Je ne vais pas symboliser la France comme un retour à la réalité mais j'ai retrouvé mes chantiers personnels, mes réalités financières... qui étaient en sommeil dans l'univers dans lequel j'étais.

Le coq annonce le réveil.

Dans ce train pour Grenoble, en ce dernier jour du SVE, je suis toujours en phase de réveil. Le rêve touchait à sa fin en Castille, là où nous nous étions arrêtés. Il y a parfois des phases où vous vous réveillez en vous vous remémorant très bien les derniers instants de votre nuit, ce à quoi vous êtes fiers d'avoir échappé s'il s'agissait d'un cauchemar ou au contraire déçus s'il s'agissait d'un fantasme. Medina del Campo n'était donc que l'aube. Les derniers jours ont été incroyables, car j'avais prévu de partager une dernière fête en quatre langues. Remercier tous les élèves aurait été impossible, vu le nombre, alors j'ai souhaité honorer le corps enseignant. L'Espagne a ses magasins français (Alcampo alias Auchan, Carrefour, Leclerc) et donc de la nourriture française importée (vin, fromage, pâtisserie essentiellement : conservable à longue durée). Il n'en fallait pas plus pour un goûter organisé le 14 juin, veille du départ, permettant de revêtir une dernière fois le costume de Napoléon, pacifique. Voir arriver une vingtaine d'enseignants et la direction, alors qu'ils étaient en pleine période de corrections a été une grande émotion. J'ai écrit un message long comme le bras, en quatre langues au dos d'un poster représentant un jeune couple s'embrassant au pied de la Tour Eiffel. Voilà l'image que je voulais laisser de la France car peu ou prou, aux yeux de trois cents quarante personnes, j'étais le seul représentant de mon pays pendant neuf mois. Je me suis senti étranger, différent des autres mais ce ne fut jamais une sensation désagréable. Dieu sait qu'aujourd'hui je me sens un peu galicien, peut-être davantage qu'espagnol, tant cette province isolée d'un coin de la péninsule et celle langue pleine de "x" m'ont habité. Ce 14 juin, avant cette fête, j'ai quitté les élèves lors d'un match de football avec les 6°EPO. C'était la dernière classe, un dernier jeu. L'adieu a été simple. Les élèves de 1° et de 2° ESO m'avaient préparé une grande cartulina chacun. J'ai pris la pose, accompagné de plein de "¡ No te vayas !" ("Ne t'en vas pas !") ou de "¡ Llévame contigo !" ("Emmène-moi avec toi") en partie sincères...
J'ai entendu parler des derniers projets, pour le 17 juin, pour San Xoán que j'ai dû manquer, je n'étais donc déjà plus là. Les adieux aux colocataires, les promesses de retour furent émouvantes.

Je sonnai le départ à 16 h 30 à Perillo, sachant que j'allais arriver 28 h 08 minutes et cinq trains plus tard. J'ai filmé le dernier passage en train devant la Ría do Burgo, pour l'immortaliser avant de quitter la Galice, dans le Trenhotel pour Barcelone, sous un ciel variable, pour ne pas l'oublier. J'ai vu les montagnes à A Rua - Petin, celles que j'ai toujours recherchées mais jamais escaladées. La nuit est tombée.

Je n'ai bien sûr jamais été aussi chargé. J'ai quitté le cocon douillet de la Cama Gran Clase et je suis rentré dans une autre phase du voyage. Comme les sept fois précédentes, Barcelone est ensoleillée, chaude, bruyante. Je croise un couple de Canadiens que je prends pour des Belges à la gare. Pour une fois, le train de Figuières arrive à l'heure mais je manque de peu de rater le TGV, par la faute d'un retard pris en France et d'une correspondance courte, à Montpellier pour Lyon. J'ai retrouvé la France, c'est-à-dire toutes les conversations inintéressantes que je ne pouvais pas suivre de l'autre côté de la frontière, ainsi que des attitudes contestataires et impatientes. Ces mêmes attitudes sont enviées en Espagne car elles ont contribué à faire bouger les choses en France. Je ne compte plus les fois où l'on m'a demandé de l'argent sur le trajet ou de donner pour une association d'enfants handicapés dont je ne sais si elle est fictive ou réelle.

L'ADICE m'a concocté un plan dès le 16 juin : un train pour la semaine d'évaluation à Sommières, au Cart précisément, là où j'étais déjà venu le 6 septembre 2010, plein d'illusions et de promesses dans la tête. La surprise fut de monter dans le train à 6 h 48, comme s'il n'y avait pas eu de coupure. La non-surprise fut le plaisir de retrouver deux anciens volontaires et d'en découvrir onze. Le Cart et Sommières, à taille humaine, sont franchement recommandables (gastronomie, convivialité), à l'exception des Vidourlades...

Nous sommes le 22 juin à Grenoble, j'effectue avec l'ADICE le bilan du SVE. C'est la fin d'une histoire, un épilogue mais les Carnets d'Ailleurs continueront à s'écrire, toujours en français et plus que jamais en espagnol...

Merci à Ania et aux membres de l'association InGalicia qui nous ont permis de promouvoir le Service Volontaire Européen et aussi de disputer un match de football entre Galiciens et le reste du monde. 

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